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15440 visites 19 avr. 2012 | 8 réactions | Najat Jellab + Partager
2983 visites 24 avr. 2012 | 74 réactions | Najat Jellab + Partager
1452 visites 23 jan. 2014 | 21 réactions | Najat Jellab + Partager
Sans Pouivet, juste avec Kant et Hegel vous auriez pu commencer par soutenir qu’est objectivement beau ce qui contient une necessité intrinsèque (la necessité ici au sens mathematique), par exemple ce qui repond à des regles de sysmetire, de proportion, d’harmonie, elements mathematisables donc objectifs....
Christian
Je vous prie tout d’abord d’excuser ma réponse si tardive et impromptue, mais quoique distraite par mille et une choses, j’ai gardé à l’esprit vos dernières remarques de sorte que je ne puis m’empêcher d’y répondre.
Je commencerai par rappeler qu’être rationaliste n’empêche pas d’être croyant, et même qu’être rationaliste permet de fonder la croyance. Vous vous dites ami de la raison et donc rationaliste , mais ami de la raison ne signifie pas et ne suffit pas pour être ami de la sagesse ! Cependant que l’on peut etre ami de la raison tout en étant ami de la sagesse, philosophe. Et j’ajouterais même, en repensant à Kant que la première est une propédeutique à la seconde, laquelle se doit de « déblayer et d’affermir le sol, afin d’y élever le majestueux édifice de la morale » comme se proposait Kant de la faire dans sa Critique de la Raison pure. Par votre opposition science/religion, vous me faites justement penser à tous ceux qui, incapables de saisir une liaison entre la Critique de la Raison pure et la Critique de la Raison pratique,. voyaient entre elles, une opposition radicale, une contradiction insoutenable. Ils condamnaient l’illogisme du philosophe qui, après avoir démoli, par la raison spéculative, l’entier édifice du dogmatisme, prétendait maintenant le reconstruire, avec plus de solidité, grâce à une raison pratique.. Vous raisonnez donc vous aussi comme si la. diversité même des usages qu’admet la raison, suivant les objets qui l’occupent, n’impliquait pas son unité. C’est en pensant à cette incompréhension que je vous écrivais il y a longtemps déjà que la raison pure (celle que vous défendez) n’était pas la raison pratique, celle de la morale et de la religion.
Si vous vous donnez la peine de vous abreuver à la taverne de Maitre Kant, vous pourriez trouver de quoi non seulement étancher votre soif de Raison mais également de quoi goûter à la Religion. Vous devriez lire les Critiques mais aussi ce texte récapitulatif de sa pensée la Religion dans les limites de la Simple Raison
Certes,
si une connaissance scientifique n’est pas reproductible et transmissible, elle
n’est pas reconnue comme vraie. En ce sens, lorsque la raison essaie de rendre
compte du monde des phénomènes, elle se doit de les expliquer par des lois
physiques comme si Dieu n’existait pas, et comme si nous n’étions pas libres
car bien qu’elle ait des principes qui lui sont propres, elle les applique aux
données des sens dont elle est esclave et qui l’asservissent au mécanisme et
aux lois du déterminisme.
Dans l’ordre moral, au contraire, la raison se trouve à la fois indépendante et autonome : elle ne collabore plus avec des données étrangères, elle crée à la fois sa forme et sa matière, elle est Raison pure, transcendentale ; ce qui me semble-t-il est proche de l’ego transcendantal unifié et donateur de sens auquel aboutit l’epochè dans la démarche phénoménologique de Husserl. A la différence près que chez Husserl ce même ego transcendental fonde également la connaissance scientifique..
La
raison, chez Kant, se saisit d’abord elle-même comme raison pure pour atteindre
ensuite son Créateur, l’Être parfait, qui voit tout, qui peut tout, qui est
éternel et présent partout. Sa certitude au sujet de cet Être est aussi absolue
qu’au sujet d’elle-même. Il faut cependant reconnaître qu’elle ne saurait se
communiquer, puisque c’est au fond de lui-même que tout homme doit la chercher,
Mais conviction subjective n’est pas conviction arbitraire et l’on peut penser
que tout homme doit y arriver infailliblement, s’il la recherche avec sincérité.
Et je ne résiste pas au plaisir de rappeler que c’est là le sens de ce qu’est être
« musulman » comme Abraham l’était et comme il est dit dans le
Coran : à savoir que chaque homme a en lui cette certitude, comme je
vous l’écrivais précédemment., l’idée de Dieu est une intuition, donnée à
l’homme par Dieu lui-même.. Pardon pour cet outrage à la philosophie des
Lumières mais après tout le monde des Idées fait fit des frontières….
Je vous invite donc à ne pas faire preuve de la même l’hostilité dédaigneuse que manifestaient les détracteurs de la Religion dans les limites de la Raison car cet ouvrage est la « conclusion » de toute la pensée kantiennne et il se relie très étroitement à la Critique de la Raison pratique, comme celle—ci se rattache à la Critique de la Raison pure. Je vous entends donc d’avance naturellement, accuser Kant de mettre sa philosophie aux gages de l’Église et de la superstition religieuse comme Pascal a pu le faire alors que vous savez également que le pari de Pascal est une déduction de la raison et d’un calcul arithmétique. Chez Kant comme chez Pascal, le cœur est supérieur à la raison en ce que celle-ci est une propédeutique à celui-là puisque le but ultime est de définir une philosophie métaphysique, un « idéalisme transcendental » dirait-on avec Husserl. Et pour en revenir à ce dernier, quand on lui demandait quel était la question philosophique la plus importante, Husserl répondait : Dieu… « A aucun moment la théologie chrétienne ne peut être invoquée comme fondement de la téléologie husserlienne » écrivez-vous, citant Francoise Dastur. Mais cette formule assertive n’est là que pour intimider d’éventuels esprits comme le mien qui se risquent sur un tel terrain, mais cela prouve également que d’autres que moi, sans doute plus « philosophes » y ont pensé….
Comme nous l’avons déjà dit, l’issue de la crise suppose que soit réhabilitée dans ses droits originaires la raison. Cette réhabilitation consiste en une conversion à soi, un retour fondateur à la conscience transcendantale intentionnelle et donatrice de sens, par la mise entre parenthèses du monde. Mais vous ne saisissez peut-etre pas l’extrême radicalité philosophique de Husserl : cette conversion phénoménologique se confond avec une « vocation » totale de la personne. Husserl ne cesse d’insister sur le fait que c’est bien une décision volontaire débouchant sur un choix de vie total qui est réclamée par le geste méditatif. En ce sens, le philosophe n’est pas le fonctionnaire expéditif que vous décrivez mais bien un missionnaire tout entier dévoué à sa « tâche infinie ».
A partir de la crise se construit un véritable projet philosophique de battre la science sur son propre terrain, pas forcément directement dans une perspective religieuse, mais au moins dans un sens spiritualiste. Le premier à faire cela, c’est Bergson. La science ne connaît que la surface des choses, avance-t-il. Seule une connaissance d’un autre type – intuitive, directe – nous donne les moyens d’aller à l’intérieur des choses : la connaissance de la durée, qui nous amène au centre de l’élan vital, à l’esprit du cosmos. Le deuxième sera Husserl. Son idée est que, sous la science, on trouve la Philosophie comme science rigoureuse, « science des sciences ». Celle-ci donne ainsi accès à un ordre de réalité que la science ne peut atteindre.
D’autre
part, lorsqu’il est question d’origine chez Husserl, il ne s’agit pas du
« commencement », mais du « fondement » car il se place en
deça de l’histoire des faits, de l’histoire que l’on dit « réelle »
ou « empirique ». Il entend dévoiler une l’historicité en tant qu’a priori, il pense
l’historicité sur un mode transcendental, contrairement à un Michel Foucault
pour ne citer que lui et dont je pense que par antihumanisme vous seriez plus
proche, je vous dirai plus loin pourquoi. Toujours est-il que de la même façon,
les Livres révélés portent sur le sens originaire qui préside à l’apparition de
l’homme, en deçà de ses commencements empiriques, ce sont donc des Livres
fondateurs et non historiographiques..
Etre ami de la raison n’est pas être ami de la sagesse.
La sagesse, la philosphie, au-delà de la raison est une aspiration au divin. C’est le cas chez les philosophes que je viens de vous citer et il est tout naturel à mon esprit de suivre cette même aspiration. Nous devons croire en Dieu, à l’immortalité et à la liberté, sans réclamer une certitude mathématique ni une vue claire de ces objets. La conviction s’impose à chacun de nous infailliblement : jamais une âme vertueuse n’a pu supporter cette idée que tout finisse avec la mort, et ses nobles aspirations l’ont toujours élevée à l’espoir de l’existence de Dieu. Cela me rappelle les propos de Sartre à qui avant de mourir on avait demandé s’il était toujours convaincu de la non existence de Dieu et qui avait répondu : j’avais oublié l’espoir…
Sauf que je n’attends pas d’être sur mon lit de mort pour me souvenir de la condition de mon corps mortel et de la nécessité de cet espoir et de la morale qu’il fonde.
Le Dieu des philosophes n’est pas celui des religions dites-vous, mais Dieu est justement un emprunt des philosophes à la religion comme des religieux ont pu emprunter à la philosophie des concepts et formes de raisonnement tel Thomas d’Aquin à Aristote par exemple.
Vous critiquez sévèrement la notion d’humanisme, Montaigne serait-il donc totalitaire
? L’humanisme, ce n’est rien d’autre qu’avoir en tête l’injonction delphique
« connais toi toi-même ». Ce n’est certes pas prétendre savoir ce
qu’est l’homme, même si la question « qu’est-ce que l’homme ? »
est bien évidemment centrale, en revanche, l’humanisme tente de mettre l’homme
et le développement de ses capacités au centre des préoccupations, en sachant
que même s’il ne connaît pas la réponse, cela ne l’empêche pas de poser la
question..
« L’Homme est la mesure de toute chose » écriviez vous en citant Protagoras mais je ne me suis jamais revendiquée de la culture sophistique comme humaniste, c’est même un antihumanisme et c’est vous qui devriez vous sentir proche de Protagoras qui par agnosticisme affirme qu’il n’y a aucune loi transcendante et que les sociétés humaines sont à elles-mêmes leurs propres dieux..
Vous me dites que vous définissez l’homme par sa liberté qui tient à son humanité chaotique, laquelle laisse nécessairement surgir cette liberté puisque le chaos n’obéit pas aux lois du déterminisme. Mais ne pas obéir aux lois du déterminisme signifie certes que toute cause ou effet est le fruit du hasard (le contraire du déterminisme) mais n’est certainement pas condition suffisante de liberté. Par exemple, si un fils d’ouvrier devient à son tour ouvrier également, par antihumanisme, vous considérerez que l’absence de promotion sociale est le fruit de son choix libre car non déterminé. En tant qu’humaniste, je serai obligée de prendre en considération ce que des disciplines humanistes m’apprennent sur ses environnements sociologique, culturel, idéologique, lesquels obéissent eux à des lois déterminées qui ont eu raison du sujet qu’il est, alors qu’il aurait peut-être aspiré à devenir joueur de golf professionnel et qu’il y serait parvenu si son environnement avait crée les conditions nécessaires. J’entends votre objection qui ressemblerait à ceci : il existe bien des cas individuels démontrant le contraire et je ne saurais vous contredire, mais ce ne sera toujours pas le fruit du hasard..
Si, en revanche, vous voulez « sortir de l’humain » - je n’ai malheureusement de Francis Ponge que de lointains souvenirs estudiantins mais je crois que vous choisissez un mauvais argument d’autorité en le citant « on ne peut aucunement sortir de l’homme », écrivait-il pour dire que tout préoccupé qu’il fût par les choses et les objets, il s’agissait toujours de faire parler l’homme qui ressent les choses, et n’est-ce pas le propre du Parti Pris que d’être subjectif et donc référent à un sujet ? - vous êtes en contradiction avec vous-même. Car si vous vous réclamez de la phénoménologie comme vous le prétendez, c’est que vous acceptez l’idée d’un sol offert par un cogito conçu comme identité de soi à soi et que vous vous donnez pour point de départ un sujet fondateur — un ego transcendantal unifié et donateur de sens — contrairement à une approche philosophique dans la lignée de Michel Foucault par exemple qui lui cherche à mettre en évidence un sujet éclaté, fuyant hors de soi, ce qu’il a repris notamment à Nietzche. : « l’idée d’une expérience limite, qui arrache le sujet à lui-même, voilà ce qui a été important pour moi dans la lecture de Nietzsche, de Bataille, de Blanchot » lit-on dans les Dits et Ecrits II, n. 212 de Foucault.. Arracher le sujet à lui-même, n’est ce pas ce que vous appelez « sortir de l’humain » ou encore le désubjectiver en historicisant le transcendantal autant qu’il est possible, et en le vidant de toute substance ? Voilà pourquoi vous ne pouvez pas vous dire antihumaniste et vous réclamer de la pensée de Husserl.
il suffit de ne le prendre que pour ce qu’il est : une application de plus à son Iphone... personne ne vous oblige à appeler ni à suivre tout le répertoire de vos contacts et pourtant vous le gardez qd mm...Je ne comprends pas non plus cet acharnement contre facebook sous pretexte que zuckerberg se fait des gros sous... ce n’est pas parce que je vois un petit pop up me proposant d’acheter je ne sais quoi que je vais sauter dessus... et enfin cette obsession de la sécurité de ses données et de sa vie privée me laisse perplexe, je ne vois pas pourquoi il faudrait s’y abonner sous une fausse identité, à moins d’etre recherché par Interpol... la vraie vie privée étant celle de la pensée et de la consceince, ce qu’aucune machine ne vous enlèvera...
Christian,
Alors ça c’est pas de bol, parce que dans mon temple, en plus de Socrate et de Mohammed, se trouve ce pauvre naïf de Husserl… Mais je vais commencer par expédier les quelques autres questions avant d’en revenir à lui.
Quand je dis aimer les vielles peaux, je dis bien justement qu’elles nous enseignent toujours davantage au fur et à mesure qu’elles vieillissent, c’est bien pour cela que nous les recevons différemment. Le wahhabisme que vous me suggérez d’admirer, est au contraire, la perception lisse, qui ne connaît que la lecture du VII e siècle, d’un Coran encore plus jeune de quatorze siècles. Il me semble que l’ allégorie est claire, non ? Mais peut-être qu’il est difficile à votre esprit de s’élever à la poésie, sans doute devrais-je davantage veiller à n’employer que des mots et expressions univoques. Mais comment avez-vous pu enseigner les Lettres ? Pardonnez-moi ce cri, il implique un jugement qui sort du cadre de notre discussion...
« Un philosophe digne de ce nom, se fout complètement de la religion » dites-vous, puis vous ajoutez « je n’ai pas plus besoin d’une religion que d’un cheval » …C’est vous le philosophe ? Si telle est votre prétention, voici un premier point fort utile, à noter dans un petit carnet :
- la question de la religion, de Dieu (ou des dieux) a occupé la philosophie depuis ses origines.
Même si l’on ne souscrit pas à la thèse de Heidegger selon laquelle toute la métaphysique est une onto-théologie, c’est-à-dire à la fois une ontologie et une théologie, il n’en reste pas moins que cette dernière a imprégné et même dirigé la pensée philosophique.
A la question de savoir pourquoi une machine consciente vous donnerait un ordre digne du Dieu de l’Ancien Testament, ma réponse est : pourquoi pas ? Qu’est-ce qui l’en empêcherait ?
Mais je salue votre honnêteté à vous définir comme un antihumaniste comme je le pressentais, ce qui suffit amplement à justifier votre aspiration pour le chaos. Ne feignez pas de n’avoir pas compris, encore une fois.
Vous ne pouvez pas être antihumaniste et prétendre ne pas souscrire à l’idée de surhomme. Tout comme il n’y a pas de bourreau tendre, il n’y a pas d’antihumaniste qui ne croie à l’avènement du surhomme.
Vous ajoutez ensuite, qu’on ne peut pas se réclamer de l’humanisme, en essayant de faire de l’humanisme une idéologie aux concepts et valeurs figés, totalitaristes. L’humanisme consiste à mettre l’homme au centre du discours - contrairement à des disciplines telles que la finance ou la technologie et dans les corpus desquelles, il n’est nulle part question de l’homme- et à admettre la primauté de celui-ci et de ses droits fondamentaux. Je ne vois pas en quoi vous pouvez comparer ces principes à ceux du stalinisme par exemple...
J’en arrive maintenant aux considérations husserliennes.
Je ne crois pas du tout qu’il soit un philosophe difficile, au contraire, je trouve qu’il n’y a pas plus « évident » que Husserl, et c’est bien parce que je pensais que vous l’aviez lu (puisque vous me l’aviez dit précédemment) que je vous le citais, sans quoi je ne me serais pas permis de vous faire passer pour un ignorant ni n’aurais perdu mon temps.
« Il n’est nulle part question dans la Krisis d’une critique du rationalisme et encore moins de l’idée de progrès. Vous devez confondre avec Heidegger » me dites vous…Ce qui me fait sourire c’est que c’est vous qui me disiez dans le message précédent que cela faisait longtemps que vous l’aviez lu : je veux bien vous croire.
Aussi, reprenons : dans la Krisis, l’immense effort husserlien consiste à ressaisir le destin de l’Europe, et ressaisir ce destin passe par une refondation du rationalisme lequel s’est fourvoyé dans le naturalisme et l’objectivisme mathemathisé qui naît avec Galilée. je vous cite quelques passages de la Krisis , (trad G. Granel. Gallimard), pardon si parfois, les passages cités sont un peu longs...
Le principe même de la rationalité moderne (celle qui a engendré la crise) est de n’avoir pas à réinterroger ses fondements pour légitimer ses développements actuels et futurs, et de se considérer comme seule norme et méthode de vérité. Je ne vais pas reprendre ici ce que je vous écrivais déjà dans le message précèdent, mais ce qui est engagé par Husserl sous le titre général de Krisis, est bien une crise de la raison elle-même, et c’est pourquoi vous avez tort de considérer le terme de crise dans une acception atténuée, cette crise de la raison n’est pas seulement conjoncturelle, dans la mesure où elle advient à une période déterminée de l’histoire de la rationalité scientifique, elle est aussi structurelle, puisque cette rationalité est reconnue porter en elle-même la possibilité de sa propre « aberration » (p372) , jusqu’à devenir, comme « rationalité unilatérale », « un mal »(p373).« L’orientation unilatérale » du rationalisme dans le naturalisme et- ou l’objectivisme des sciences modernes est précisément ce qui fait obstacle à l’édification d’une véritable « science de l’esprit »(p381), cette science que Husserl entendait édifier par la phénoménologie transcendantale. C’est dire que, dans la rationalité moderne, la raison se retourne contre elle-même. C’est là ce qui explique « l’obscurité devenue insupportable dans laquelle l’homme se trouve quant à son existence propre et à ses tâches infinies »(p380).
Les « tâches infinies » pour Husserl constituent une réponse à la question du sens ultime de l’existence humaine, et la personne individuelle concrète du philosophe, en bon missionnaire face à cette tâche infinie, n’est ni sujet ni objet de réalisation mais uniquement un fonctionnaire dans un contexte qui le transcende, il est donc bien « fonctionnaire de l’humanité ». Jusque là je pense que vous serez d’accord avec moi.
Poursuivons : « avec la première conception des idées, l’homme devient peu à peu un nouvel homme. Son être spirituel entre dans ce mouvement d’une réélaboration perpétuelle.(..) C’est en lui d’abord (et par la suite également au-delà de lui) que s’élargit une humanité particulière, qui, vivant dans la finitude, projette sa vie vers le pole de l’infinité. Du même mouvement apparaît un nouveau mode de formation de la communauté et une nouvelle figure de la permanence de la communauté dont la vie spirituelle, qui doit son caractère de communauté à l’amour, et la production des idées et la normation idéale de la vie, porte en soi l’horizon futur de l’infinité : celui d’une infinité de générations qui se renouvellent à partir de l’esprit des idées » (page 356).
Cette humanité particulière qui « projette sa vie vers le pole de l’infinité », c’est ce que Husserl nomme aussi l’intersubjectivité transcendantale. L’« infinité », ce terme que je citais plusieurs fois, et qui n’a pas manqué de susciter votre indignation, n’était pas de moi mais bien de Husserl, il est si récurrent que ce serait à mon tour de vous demander si vous avez bien lu ce dont vous me parlez ;« infini », « communauté », « être spirituel »… ce champ lexical ne vous rappelle donc rien ?
Vous me demandiez ce que je mettais sous le mot infini, en fait votre question aurait du être que met Husserl sous ce terme : l’infinité de la tâche, c’est l’intuitivité que Husserl revendique comme principe d’exploration du réel et qui constitue l’illimitation de la rationalité.
Or Husserl entend aussi réhabiliter la doxa, et pose le problème de la croyance métaphysique en identifiant croyance et opinion. Or pour « la doxa si méprisée », Husserl revendique le titre de « fondement de l’épistémè (paragraphe 44 page 177). Il s’agit pour Husserl d’ébranler l’impérialisme de la raison objectivante et de penser un sujet affecté par ses impressions, de dénoncer le rationalisme objectiviste de la science, pour revenir au Lebenswelt, c’est-à-dire aux choses de la vie, et de passer à la subjectivité transcendantale qui le fonde. Cette démarche philosophique ouvre la voie à ce qu’il appelle l’intersubjectivité transcendantale, qui ne serait que l’autre nom du messianisme, mais ce serait trop pour vous, je vous en épargne la démonstration…
J’ajoute un point sur le terme de « communauté », il s’agit bien entendu de celle des savants, des connaissants : selon Husserl cette communauté doit répondre à deux exigences : celle d’être ouverte aux « non connaissants », en privilégiant l’apprentissage, et celle d’une impersonnalité, anonyme de la connaissance. Il ne peut donc pas y avoir de mythification ni d’un philosophe ni d’une idée, la communauté phénoménologique qu’il souhaite a ceci de commun entre ses membres que chacun d’entre eux est en quête, à sa manière, de la même chose que chaque autre. Le message phénoménologique s’adresse à tous, et tous sont égaux dans cette ascèse philosophique, en bon humaniste, Husserl prône donc sa vulgarisation …
Husserl inscrit sur l’horizon apocalyptique de cette année 1936 la promesse d’une renaissance, mais il ajoute que le renouvellement de l’humanité dépendra de sa capacité à se remémorer l’essence de son rationalisme qui n’est pas sans assumer un caractère platonicien car elle lie étroitement cette nouvelle humanité qu’il appelle de ses vœux avec sa capacité à assumer la nature infinie de son destin spirituel.
« Le plus grand péril qui menace l’Europe, c’est la lassitude. Combattons ce péril des périls en « bons européens », animés de ce courage que même un combat infini n’effraie pas. Alors de la flamme destructrice de l’incrédulité, du feu où se consume tout espoir en la mission humaine de l’Occident, des cendres de la pesante lassitude, ressuscitera le phénix d’une nouvelle intériorité vivante, d’une nouvelle spiritualité : ce sera pour les hommes le gage secret d’un grand et durable avenir car seul l’esprit est immortel » (p382, 83)
Et c’est ma lecture de Husserl qui en fait un mystique, dites vous … ?
Je vous concède qu’il faut lire un peu plus que la première page pour trouver ces passages.
Les dimensions religieuses de Husserl sont si peu « camouflées » que c’est Husserl lui-même qui définit Dieu comme l’aspiration ultime de toute vie humaine : il écrivait à son assistante Edith Stein, en 1925 : « La vie de l’homme n’est rien d’autre qu’un chemin vers Dieu. » (cité dans Edith Stein, par Elisabeth de Miribel Seuil p. 113)
« Dieu est l’entéléchie et en dehors de lui il n’y a « rien », il est ce qui conforme le tout, et la matière irrationnelle n’est pas une chose fabriquée, mais précisément de la matière. Et le monde tient son être de Dieu, et n’est en dehors de cela « rien ». Et Dieu n’est qu’en tant que principe de perfection directeur et qui prête âme, etc. » ecrit il dans le Manuscrit F I 24. Vous pouvez retrouver ce passage dans un article de Jocelyn Benoist « Husserl : au-delà de l’onto-théologie », in Autour de Husserl. Vrin p. 198).
Dieu est donc bel et bien convié au banquet phenomenologique de Husserl, n’en déplaise au philosophe que vous êtes… Cependant, dans la mesure où dans la philosophie de Husserl, c’est l’intersubjectivité transcendantale, c’est-à-dire la communauté universelle de l’humanité tout entière, qui assume la fonction de constitution transcendantale d’un monde commun, Dieu n’est au fond que l’Idée de cet absolu communautaire., une sorte d’Idéal régulateur…
« Au reste, Husserl s’amuserait beaucoup de votre prétention à utiliser son oeuvre pour justifier votre plaidoyer en faveur du religieux : le premier chapitre de la Krisis s’intitule « Elucidation de l’origine ». » disiez vous….
J’espère que je ne vous apprends rien en disant qu’il s’agit ici de l’origine de la crise (et non de l’origine du monde) car en bon philosophe, Husserl diagnostique une crise, mais pour cela il en établit la généalogie, avant de proposer une thérapeutique. L’Origine remonte bien à Galilée, et même plutôt aux Grecs, telle est la généalogie de la crise (et non du monde excitant dont vous parlez, en tout cas pour Husserl, le résultat est loin de susciter l’excitation) . Et pour remédier à cette crise, il propose retrouver l’infini comme je vous l’écrivais auparavant.
Mais sans doute faut il avoir quelque fibre « mystique » pour saisir ce philosophe qui vous parait difficile : la phénoménologie comme science descriptive des états de conscience sous entend un état méditatif, et même contemplatif. Elle se nourrit aussi de fictions et conserve la teneur de ce qu’elle tire de l’intuition. La réduction phenomenologique permet d’accéder à une autre dimension du réel et il n’y a aucune opposition doctrinale entre la réduction phénoménologique et l’expérience mystique, la seule différence fondamentale est que la seconde implique une adhésion immédiate une croyance de type fusionnel, et la première est régie par l’absence de toute présupposition, et se veut une analyse des phénomènes qui se donnent à moi. Mais Husserl compare lui-même expressément la réduction phénoménologique à la conversion religieuse dans la Krisis(paragraphe 35, p140) même si cette comparaison n’est vraie que structurellement et non dans le contenu.
Quand je vous citais Freud au milieu d’un paragraphe sur Husserl, je vous rappelais la thématique de la crise commune dans ces deux œuvres, car je pense que le caractère contemporain de la Krisis et du Malaise dans la Civilisation mérite que l’on se penche sur les points communs aux deux oeuvres. C’est bien un certain état de « maladie » de la civilisation qui est visé dans les deux oeuvres. Parlant de « la crise de l’existence européenne » et de ses « innombrables symptômes »(p382), Husserl dit en effet que « les nations européennes sont malades »(p384) ; et, déclarant se soucier de « la santé spirituelle européenne »(p372), il interroge la pertinence d’ « une médecine scientifique des nations et des communautés supra-nationales »(p348) — ce qui n’est pas sans rappeler la question que Freud pose, à la fin de son essai, sur la possibilité de comparer les névroses individuelles et les névroses sociales (Malaise dans la civilisation, p. 247).
Mais je ne sais comment, alors que je ne faisais que vaguement pointer une orientation possible de réflexion, vous en avez déduit que je faisais de Husserl un adepte de Freud. Sans doute avez-vous mal lu ou n’était-ce qu’une tentative maladroite de discréditer mes propos.
Du point de vue scientifique, je ne suis pas plus hostile à la psychanalyse qu’au marxisme, ils constituent ce que Karl Popper appelait des théories infalsifiables, c’est-à-dire dont on ne peut prouver ni qu’elles sont vraies ni qu’elles sont fausses. Mais elles constituent des hypothèses valides de pensée et de travail.
Par ailleurs, Freud lui-même avait bien spécifié dans son Introduction à la Psychanalyse, que ses travaux n’avaient d’intérêt que parce qu’ils aidaient ses patientes névrosées, ils avaient donc une valeur empirique et pratique. C’est d’ailleurs propre à la médecine que d’avoir des traitements qui marchent sans que l’on ne sache toujours pourquoi ils marchent.
N’ouliez pas, non plus, que c’est la psychanalyse qui vous permet de ramener toute révélation ou toute prophétie à la schizophrénie (comme vous l’avez fait dans de précédents messages), c’est à dire à la division illusoire du sujet, et de faire penser comme hallucination, ou archétype de l’inconscient collectif tout phénomène « mystique » . Cela est vrai évidemment de Freud, imprégné au dernier degré de l’idéologie positiviste sous sa forme la plus brutale, mais aussi de Lacan et même de Jung. J’aurais donc pensé que vous auriez quelque affinite avec cette discipline.
Enfin, je constate que vous exécrez Freud, Heidegger, Nietzsche, Platon, Girard, Dieu….
Est-ce une maladie française ou parisienne que d’exécrer tout le monde sans même avoir le talent de personne ?
Oh oh, sans rancune J
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