En dictature aucun débordement n’est toléré hors de la doxa. C’est comme une cocotte minute, le peuple est sous pression, l’omerta et la peur maintiennent l’ordre en place. Une petite fissure risque à tout moment de se transformer en fuite irréparable. L’ordre est strict.
Dans nos démocraties contemporaines, le peuple est plutôt anesthésié (par la possession et le confort, par les produits chimiques qu’il ingère, par la télévision, par son travail, par la routine...). Même si la colère et l’injustice résident au fond de lui une épaisse couche de graisse maintient ces émotions.
A partir de là, l’expression d’une opinion dissidente est moins dangereuse. Ce qui compte c’est le dosage : il ne faut pas que trop d’individus se manifestent ensemble et puissent entraîner la masse. Ce qui est génial, c’est que cette gestion se fait de façon presque automatique, il est rare que le pouvoir intervienne lui-même.
Ceux qui le servent sont automatiquement bien servis par la machine, et plus ils sont influents plus ils sont à l’aise (patrons de syndicats, éditorialistes, producteurs...). La machine aime à entendre le doux ronron de sa propre opinion. Elle s’auto-félicite, elle aime à s’adorer dans le miroir de ses pairs. C’est un piège d’ego et d’orgueil, qui sert le pouvoir.
Ceux qui contestent auront le traitement inverse. Tout sera difficile. La moindre de leurs affirmations demandera des preuves d’une profondeur et d’une solidité que l’on exige jamais de leurs contradicteurs. Le moindre fait sera décortiqué, la moindre faille considérée comme la preuve d’une manipulation, la défiance sera permanente. Si, malgré cette différence de traitement, le dissident parvient à prouver indiscutablement ses assertions, il subira en général l’ostracisme, la calomnie, la caricature et l’éviction. Sa vie ne sera pas confortable.
Ces conditions générales limitent naturellement le nombre d’opinions dissidentes capables d’atteindre significativement le grand public, et cela sans que le pouvoir ait eu besoin de lever le petit doigt. C’est furtif et génial.
Il est donc possible de tolérer certains programmes un peu « border-line ». Cela comporte plusieurs avantages :
On peur remarquer cependant que les émissions border-line sont régulièrement sabrées au pic de leur audience : Culture Pub ; Là-Bas si j’y suis relégué de 17h à 15h, heure de moindre écoute ; Lundi investigation (C+) policé et Paul Moreira ejecté ; Arrêt sur Images nettoyé avec Paul Amar placé en ersatz. De même Ardisson a été obligé de s’excuser publiquement après avoir popularisée l’ouvrage de Thierry Meyssan sur le 11 septembre etc.
Les individus eux aussi sont menacés dès lors que leur audience devient un peu étendue.
C’est comme s’il y avait une sorte de loi distance/quantité. Plus les propos que vous diffusez vont loin dans leur contenu moins on vous autorise une audience importante et vice-versa. Si le magazine Nexus, ou la Radio ici et Maintenant avaient l’audience de Ce soir ou jamais, je doute qu’ils eussent pu se maintenir aussi longtemps...
Quand quelque chose commence à marcher, que ça commence à se savoir, le pouvoir doit agir. C’est assez rare au final.
On peut remarquer que le même système est à l’œuvre un cran au dessus, au plan international, sous l’autorité des Etats-Unis. Lisez John Perkins pour les détails concrets. Notre pays doit subir de son supérieur, pour l’intérêt de ce dernier, la même pression qu’il met lui-même sur ses subordonnés, cette fois-ci pour son propre intérêt. Vous voyez l’imbrication ? C’est une structure fractale, holographique.
Nous avons des systèmes imbriqués de contrôle automatisé. A chaque échelle le pouvoir n’agit qu’à la marge, lorsqu’un débordement menace de se produire. Il fait de la correction d’erreurs... Sinon le mécanisme avance tout seul.
A quoi cela fait-il penser ? A une automobile. A la réplication de l’ADN. A un flux de données informatiques...
Notre façon de vivre collectivement ; notre façon de comprendre et d’interpréter le monde ; notre manière de façonner la matière ; répondent exactement au même schéma. On pourrait même parier que ce shéma se retrouve dans nos psychologies, dans notre intimité.
Cela invite à pousser plus loin la réflexion n’est-ce pas ?
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