Bonjour Isabelle,
Apprendre à « faire société », excellent programme... Mais
où donc l’enfant en trouverait-il le modèle ?
Du point de vue de la norme, de l’identité définie par
le non-dit culturel ambiant, la base de notre vie est l’individu : toute notre vision de la nature humaine est définie selon lui, ses droits, sa nature, ses idéaux de réussites, etc...
Nous admettons couramment que nous vivons dans une société
« individualiste », sans même remarquer la contradiction
entre ces deux termes.
Et comparé aux nombreuses familles monoparentales d’aujourd’hui, des parents encore unis font figure de milieu privilégié, presque fabuleux !
Il fut un temps où un couple seul n’aurait pas été considéré comme « famille », et où, dans les communautés « normales »,les enfants étaient entourés de multiples personnages de statuts et d’âges différent ;
mais l’identité humaine même était vue et vécue autrement
puisque dans les recensements d’alors on comptait par
« feux » et non par individus.
A ces époques là on pouvait en effet parler de « faire société », car il existait bel et bien une société qui, par
ses multiples voix, parlait aux enfants.
Mais la nature des enfants n’a pas changé en huit cents
ans : celle d’un écho qui renvoie ce qu’on lui a donné.
Et l’état de nos enfants actuels ne fait rien d’autre que
nous renvoyer le message réel qui se trouve derrière nos
mots : toujours plus ; nous ne sommes pas là pour donner et
nous grandir par des responsabilités mutuelles, mais pour nous en mettre jusque là, par pouvoirs et consommations, et aussi en refusant que qui que ce soit puisse nous limiter et nous « bouffer » la vie, au nom de notre
« indépendance » individuelle.
Nos enfants sont parfaîtement normaux, c’est nous qui ne
le sommes plus... Vouloir leur donner ce que nous ne
possédons pas est forcément voué à l’échec ; et le citoyen-roi ne peut enfanter qu’un enfant-roi.
Paradoxalement, je crois que les jeunes qui font le plus
« société », ce sont justement les jeunes qui s’essayent en bandes dans les quartiers défavorisés : l’humanité
qui s’en dégage est d’autant plus barbare qu’elle est
authentique.
C’est précisément ce que nous ne pouvons tolérer ; car elle nous renvoie à ce qui nous fait nous détourner de ce miroir qu’est la société pour nous recroqueviller dans ce refuge qu’est l’individu : la peur de nous-même.
Cordialement Thierry