En lisant l’article, une tentation intellectuelle s’impose immédiatement : celle de l’ironie malheureusement, lugubre. Car s’il existe un parfait exemple de ce que l’Histoire n’est pas, c’est bien ce fatras pseudo-métaphysique déguisé en réflexion stratégique et historiciste. Dans cet éloge malhabile de la fatalité historique, l’Histoire devient à la fois agent, cause, juge et Dieu omnipotent, capable de pousser Hitler à l’opération Barbarossa et de souffler aux leaders hindous la libération de l’Inde, tout en se ménageant quelques fulgurances divines pour justifier Hiroshima et Nagasaki.
Résumons : l’Histoire, dans cet article, ne raconte pas les faits. Elle pense, agit, veut. C’est une divinité polymorphe, au service d’un discours creux pseudo-providentialiste.
Mais de quoi parle-t-on ici ? De stratégie, de guerre froide, d’équilibre géopolitique ? Non, cet article plonge dans une fascination incantatoire qui ne rend justice ni à l’Histoire en tant que discipline scientifique, ni à l’expérience humaine elle-même.
Analysons ces dérives pour mieux comprendre pourquoi elles sont, à la fois, inutiles et nuisibles.
1. L’Histoire instrumentalisée : une marionnette providentialisteL’une des grandes faiblesses de cet article réside dans sa personnification abusive de l’Histoire, jusqu’à lui attribuer une conscience et des desseins divins. L’auteur écrit, sans ciller : « Si l’Histoire pouvait parler, elle aurait dit : ‘Cela devait être ainsi.’ » Mais l’Histoire n’est pas une entité consciente. Elle n’est ni une prophétie accomplie, ni un oracle des temps anciens. Elle est un champ d’étude humain, faillible, construit, qui cherche à reconstituer les enchaînements des faits et des causes. Lui attribuer des intentions, c’est sombrer dans une mystique qui confond analyse et déterminisme, faits et fictions métaphysiques. Ce glissement est dangereux, car il justifie tout, même les pires horreurs, au nom d’une prétendue fatalité.
2. Une lecture morale de l’amoral : l’apologie douteuse de la souffranceL’auteur semble également fasciné par une justification quasi-cosmique de la souffrance humaine. À l’évocation des dizaines de milliers de morts d’Hiroshima et de Nagasaki, il assène, sans sourciller : « Ils sont vivants dans quelque contrée de l’univers. » Cette tentative de relativiser l’horreur par un recours maladroit à la métaphysique est non seulement insultante pour les victimes, mais révèle une dangereuse tendance à absoudre les violences les plus extrêmes au nom d’un prétendu « plan supérieur ». Si les martyrs de l’Histoire sont déjà justifiés dans une sphère céleste, pourquoi condamner les atrocités humaines ? Pourquoi chercher à prévenir les guerres ? Cette lecture fataliste est une abdication morale.
3. Une géopolitique vue par un mythe : le simplisme du bien et du malLe texte propose une lecture binaire des affrontements d’antan entre les blocs soviétique et occidental. Les États-Unis et l’ex-URSS ne sont plus des acteurs historiques soumis à des impératifs matériels, idéologiques et stratégiques, mais deviennent les pantins d’une « Histoire » qui les utiliserait pour le « développement du monde ». Ce simplisme masque la complexité des événements, réduit les nuances des luttes et ignore les contradictions internes de chaque camp. Pire encore, il évacue les responsabilités humaines au profit d’un déterminisme abstrait. L’Histoire, dans cette lecture, dédouane les acteurs réels de leurs choix.
4. Le dogme de la « Nécessité historique » : un piège rhétoriqueL’idée selon laquelle « tout devait être ainsi » est une arme rhétorique dangereuse. Elle permet de justifier rétroactivement tout événement, depuis les colonisations jusqu’aux guerres mondiales, sous prétexte qu’ils relèveraient des « nécessités de l’Histoire ». Mais cette vision postule un finalisme inexistant. L’Histoire n’a pas de plan. Elle n’a pas de but. Ce sont les humains qui, en construisant leurs sociétés, leurs cultures et leurs idéologies, donnent du sens aux événements. Le recours à une « Nécessité historique » est une paresse intellectuelle qui évacue les véritables causes matérielles, sociales et politiques des événements.
5. Une négation des sciences humaines : le rejet de la méthodeEnfin, cet article insulte implicitement l’Histoire en tant que discipline scientifique. Là où l’historien cherche des sources, des traces et des preuves, l’auteur invoque des pensées mystiques et des intuitions quasi-théologiques. Là où l’historien explore les limites de son savoir, l’auteur de ce texte impose des certitudes absolues. Ce mépris pour la méthode historique trahit une volonté de transformer l’Histoire en une religion de substitution, avec ses dogmes, ses martyrs et ses miracles.
Conclusion : une critique nécessaire des discours mystificateursIl est impératif de rejeter cette lecture mystificatrice de l’Histoire. Elle ne fait que légitimer les rapports de force, déresponsabiliser les acteurs et infantiliser les peuples en leur faisant croire que leurs souffrances sont inscrites dans un « grand plan ». L’Histoire n’est pas une divinité. Elle est une construction humaine, laborieuse, inachevée. Et c’est précisément cela qui en fait toute sa valeur. Elle ne nous dicte pas ce qui doit être, mais nous aide à comprendre ce qui a été, pour mieux agir sur ce qui sera. Tout le reste n’est que bavardage idéologique.
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