Jeff n’avait rien à dire.
Enfin, plus rien à dire, pour être exact.
Il se demandait du reste
depuis quand exactement c’était arrivé, cette aphasie. Parce qu’avant, c’était
pas le dernier à y aller de son commentaire. D’un ricanement, de son jeu de mots
dans le jeu de quilles.
Ouais, avant, il avait la
petite phrase péremptoire, facile, qu’il faisait tinter dans la conversation
comme un glaçon dans le Martini.
Et puis il avait arrêté
le Martini.
A présent, c’était du jus
de tomates, mais la tomate, ça fait des renvois aigres mais même pas doux.
A sa bouche, il mâchait
une allumette qui devait être la prothèse du cigarillo qui lui manquait tant,
comme la jambe de l’amputé qui fait encore mal.
Non, il n’avait rien à
dire. Et il allait le dire. Il ne s’exprimait plus que par un haussement d’épaules
(pas forcément les deux en même temps).
Ou encore une géographie
circonflexe du sourcil.
Et basta.
Le week end dernier, on l’avait
juste entendu dire, à la nouvelle d’un qui s’était mis à la baille tout seul
comme un grand sur son île, avec les spots et la musique à fond : « ça, c’est pas un départ de pédé ».
Et puis c’est tout, on l’avait
plus entendu en reparler, des « chevaux
de la mer qui fonçaient la tête la première le long du casino désert. »
Ou alors par signes. Des
trucs qui parlent de la mémoire et de la mer.
Il avait écrit quelques
mots dans une bouteille, le Jeff :
« Sous mon maquillage roux
S’en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout ».
Il n’a rien à dire, Jeff.
Ou alors qu’il est le « fantôme Jersey, celui qui vient les soirs de
frime »
Il dit juste qu’il faut
se rappeler de « ce chien de mer qu’on
qu’on libérait sur parole,
et qui gueule dans le désert des goémons de
nécropole. »
Epicétou.