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Marcel Chapoutier Marcel Chapoutier 2 décembre 2008 18:20
L’état du Sarkoland cherche à trouver un énnemi intérieur aussi commode que fabriqué afin de justifier une politique sécuritaire qui nous donne l’impréssion d’être en état de siège dans un pays attaqué de toutes parts par des terroristes de pacotille. Voilà la réalité de cette politique criminalisant les citoyens qui osent contester l’ordre Sarkolandais...


Lettre d’Isa depuis la prison de Lille-Séguédin (mai 2008)
 
En janvier 2008, Isa et Farid sont arrêtés par les douanes à Vierzon en possession de chlorate de soude, de plans de la prison pour mineurs de Porcheville et de manuels de sabotages. L’ADN d’Isa, prélevé pendant la garde-à-vue correspondrait (soit disant) avec celui retrouvé sur des engins incendiaires sous une voiture de police en mai 2007 à Paris.

Le 20 juin, le frère d’Isa, Juan, est arrêté à son tour et directement incarcéré à la prison de Fresnes, au motif que son ADN aurait également été identifié dans l’affaire de mai 2007. Il a ensuite été transféré à Rouen. Ces affaires sont instruites sous juridiction anti terroriste (voir « Anti terrorisme encore » paris.indymedia.org/article.php3 ?id_article=102138).

Ce texte a été écrit par Isa en mai 2008 alors qu’elle venait de se faire transférer de la maison d’arrêt de femmes de Fleury-Mérogis à celle de Lille-Séquédin. Aujourd’hui elle se trouve à la prison de Rouen où elle vient de sortir de 10 jours de mitard pour avoir été classé « meneuse » par l’administration pénitentiaire pour un blocage de la cour de promenade suite au tabassage d’une prisonnière (voir « Solidarité avec les prisonnières en lutte de Rouen » http://grenoble.indymedia.org/index.php ?page=article&id...=7201).

« Je me décide enfin à écrire, 4 mois et demi après mon incarcération en mandat de dépôt, parce que cette cage gigantesque mais étriquée qui nous traque dehors et dedans, m’écœure d’un dégoût incommensurable. Comment ne pas penser à la chasse policière qui se rabat sur nous, dehors, comme un poison qui se répand, déterminé à étrangler la révolte et asphyxier les solidarités. Comment oublier nos proches qui se font suivre et épier, arrêter, contrôler. Comment ignorer la politique d’un pouvoir qui, soucieux de survivre à sa propre nuisance et médiocrité, bâtit la légitimité de sa gouvernance sur le sentiment d’insécurité et sur la division de ses sujets... La crainte d’un crime macabre et de hordes de barbares, tantôt spontanés, tantôt organisés, est indispensable à l’Etat pour justifier une stratégie répressive, sécuritaire et policière qui pérennise ses pleins pouvoirs. Les citoyens peuvent dormir tranquille, l’Etat veille et condamne les pédophiles criminels, les terroristes assassins, les malfrats sanguinaires, qui foisonnent dans nos quartiers... La menace est partout. Et les mots sont puissants pour créer le danger.

La réalité est que l’économie de la peur est un marché fructueux et très épanoui. Les caméras de surveillance pullulent, ainsi que les sociétés privées de surveillance. Les nouvelles technologies excellent en matière de sécurité et de mouchards. De même, la police grouille dans nos rues et dans nos gares, la justice est mécanique et expéditive ; les prisons de toutes sortes fleurissent et se surpeuplent.

C’est évident le monde est partagé entre les honnêtes gens d’une part ; et puis les pauvres, les chômeurs, les sans papiers, les immigres, les jeunes, les grévistes, les sans permis, les escrocs de la sécu, les fraudeurs, les petits trafiquants du marché noir, les voleurs de pomme, les agités qui outragent et se rebellent, les insoumis qui refusent l’identification et le fichage, les alcooliques, les drogués, les adeptes de pétards et de fumigènes, les prostituées, les dépressifs, les bagarreurs, les faucheurs, les casseurs, les saboteurs, les fainéants, les curieux de lectures subversives, les vagabonds.... Dans un monde gouverné à la faveur des honnêtes gens, on ne peut accepter un écart de conduite coupable et la lutte pour accéder à cette classe est vorace et se mesure au mérite. Travaille avec zèle, dénonce ton voisin, élève tes enfants à la grandeur de l’identité nationale, suit avec docilité les directives du « parti ».

Existe-t-il réellement une conscience du monde aussi servile et exiguë ? Est-ce le triste ordre qui nous régit ? Nous ne sommes pas dupes et n’entrons pas dans ce jeu. Nous n’incarnerons pas ces épouvantails. Nous ne serons ni des boucs émissaires ni des martyrs. Dans une société où il est bon de se taire et de rester à sa place, la révolte peut être combattue à coups de matraque, de murs et de barbelés, d’irradiations au discours dominant et calomnieux, elle ne sera pas vaincue. Les idées et la pensée critique n’ont ni maître ni frontière et les esprits libres auront toujours la rage de vivre du carcan éternel des oppresseurs exploitants et des exploités opprimés.

En 4 mois, j’ai exploré la Maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis et le quartier des femmes de Lille-Séquedin. D’ici un mois, je devrai fouler le centre pénitentiaire de Rouen... Que dire de cette expédition disloquée et inattendue qui nous arrache les pieds de la terre et la tête des nuages pour nous compartimenter, nous morceler, nous réduire en mille espaces temps, en mille lieux et réalités, en un fouillis de « soi », d’image de soi, visages multiples, difformes ou amnésiques... Comment définir ce parcours du moi incertain entre police, justice, prison ?... Chaque pas est une progression dans une jungle de cages imbriquées les unes dans les autres comme des poupées russes, muettes et censurées. Et chaque pas doit être un retour en soi pour recomposer les pièces dispersées de l’esprit, et détruire les barreaux qui s’ébauchent dans les tréfonds du corps. Ce serait une folie que ma situation pénale et carcérale me colle à la peau ! Nier notre propre conscience pour une paranoïa d’Etat est un acte suicidaire !

Je ne sais pas exactement comment s’articulent le pouvoir et les responsabilités entre les instances judiciaires et pénitentiaires. Toujours est il que mon transfert à Séquedin a été motivé « officiellement » par des dessins que j’avais fait de ma cellule et de la cour de promenade, susceptibles de nuire à la sécurité de l’établissement (prétexte) ... Alors qu’un rêve d’évasion est sans doute la plus juste cause qui peut tenir éveillé un prisonnier (enfin, de là à franchir le pas, la réalité est complexe... !). Il paraîtrait que mon transfert immédiat en région parisienne serait empêché par ce genre de querelle : la délicate question des détenus particulièrement surveillé (DPS) ... Voilà, du coup, si jamais je n’étais pas libérée d’ici là, un transfert à Fresnes serait envisagé au mois de septembre ... Entre temps la seule solution intermédiaire qui m’est proposé pour me rapprocher de Paris est Rouen. Ce que j’ai accepté étant donné que la maison d’arrêt est plus accessible pour mes proches... Mais je ne cesserai de rappeler la précarité et l’illusion de mes droits de prévenue présumée innocente ; qui semblent pourtant tout à fait concordant avec l’incarcération, une enquête à charge et puis ma supposée dangerosité. Cela entraîne un contrôle renforcé, justifie l’éloignement et l’isolement vis-à-vis des proches et de la défense.

Pour illustrer l’insignifiance de cette condition je pourrai par exemple raconter comment j’ai passé 2h30 dans une cage à lapin d’un fourgon de la gendarmerie avec les mains menottées, quelques trous d’aération, à peine la lumière du jour, sans boire ni manger, jusqu’à arriver au tribunal de Paris, discuter quelques minutes avec l’avocat que je n’avais pas vu depuis ma dernière extraction, et enfin être interrogée devant le juge avec un mal de crâne infernal ; en sachant qu’il faudra envisager le retour de la même manière... C’est une représentation tout à fait précise du sens de nos droits. Et c’est bien connu.

Pour revenir un peu en arrière, rentrer en prison a été un bouleversement terrible. Après 5 jours d’un cauchemar sous tension, en garde à vue, avec des accusations lourdes et dans des proportions que je n’aurai même pas soupçonné, l’attente interminable a commencé... Jusqu’à quand ?? Au bout de 2 mois j’avais cependant retrouvé un certain équilibre, lier des connaissances... Seulement on a préféré me casser encore un peu, dans la logique punitive et vengeresse, et j’ai atterri à Lille-Séquedin, prison moderne surgie de la terre il y a 5 ans.

Une fois encore c’était l’effondrement des repères. Je rentrais dans un environnement en apparence plus sécurisé, lisse, propre mais glacial. De larges couloirs éclairés, ponctués de caméras sous des globes de protection, une petite cour sans âme sous vidéosurveillance, tapissée de goudron et cerclée d’une double rangée de grilles et de barbelés, une cellule munie d’une douche, d’une télé d’office et de 5 prises électriques ( !)... Et pour peupler de fantômes cet espace morne, une rationalisation et discipline des mouvements, attachées à réprimer la vie dans ses moindres recoins. L’esprit du lieu a fort bien marié le confort et la propreté au service de l’ordre. Les flux et les effectifs sont réduits au minimum et strictement réglementés (3 tours de promenade pour 150 détenues, des activités limitées et à petit nombre). Les temps de promenade n’excèdent pas la limite obligatoire (1h15 par demie journée). Les échanges et solidarités entre détenues (à part les trafics de cachetons) sont particulièrement compliqués à mettre en œuvre dans une ambiance où la répression est diffuse (même un papier et un stylo sont interdits en cour de promenade)... Et à ne pas s’y confondre, si un service de buanderie est proposé c’est pour éviter le désordre et la confusion du linge aux fenêtres ; pour empêcher que les prisonnières puissent se « réapproprier » et détourner l’espace dans lequel ils survivent...

D’ailleurs dans cette nouvelle prison gérée en partie par une société privée (la SIGES -filiale de SODEXHO-) qui s’occupe du travail, la buanderie est le pole d’activité essentiel pour les femmes. Je crois que 1,5 tonne de linge est traitée par jour, provenant des différents centres pénitentiaires de la région. Pour les hommes, il s’agit de la cuisine. Sur le même principe Séquedin fournit des repas en barquettes à toutes les prisons de la zone. Les salaires sont inférieurs à 200 euros pour les femmes (pour un temps plein), 100 de plus pour les hommes.

Depuis l’ouverture d’un EPM (établissement pour mineur) à Quièvrechain, le quartier mineur de l’établissement a été fermé. Aujourd’hui en travaux, il est en phase de devenir un quartier ultra-sécurisé. Alors l’ouvrage sécuritaire se poursuit aveuglément : une nouvelle file de barbelés vient d’être ajoutée au mur d’enceinte, les tuyaux souterrains d’évacuation des eaux ont été grillagés, etc... Je compare cette platitude pacifiée à l’ambiance de la Maison d’arrêt des femmes de Fleury qui a son histoire, ses luttes , ses évolutions, ses acquis... Et puis ce qui caractérise les vieux centres pénitentiaires comme les douches « collectives » ou la distribution d’eau chaude le matin... Le dimanche après-midi la promenade s’étend sur 3h avec une autorisation de « pique-nique ». Et jamais une surveillante ne poserait un pied dans la cour de promenade... En fait le front est plus présent dans l’absolu.

A Séquedin, c’est comme si la division et l’effacement avaient opéré. On entend rarement les détenues frapper sur les portes des cellules à l’unisson. Mais j’espère que le quartier des femmes se secouera dans l’avenir pour refuser la résignation, conquérir de nouveaux « droits » et libertés, ici et ailleurs. Et enfin, partout, mettre à bas ces lieux de l’enfermement. A l’heure qu’il est j’attends toujours, mais avec plus de confiance et avec une compréhension progressive des mécanismes qui tentent de nous gérer... La lutte continue ! »

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