« C’est un peuple solitaire : il ne se confond pas avec les nations » (Nombre 23.9)
« Le messie, fils de David, ne viendra que lorsque les mauvais juges et les mauvais policiers disparaîtront du peuple d’Israël » (Chabbat, 131 a)
Suprême péché : l’antisionisme… Mortellement mortel. Celui pour lequel aucune absolution n’est concevable. Celui qui est censé discréditer et disqualifier sans appel l’interlocuteur. En assimilant l’antisionisme à un « néo-antisémitisme » (sic), BHL, tout comme ses confrères en ex-nouvelle-philosophie, rabat une question politique et historique, le sionisme, sur une question raciale et théologique, l’antisémitisme.
L’équivalence entre antisionisme et antisémitisme, martelée comme une « évidence » philo-médiatique, est l’enjeu, non d’un complot sans doute, mais d’une campagne d’intimidation où les voix de Pierre-André Taguieff, d’Alain Finkielkraut, d’André Glucksmann, de Pascal Bruckner, et plus récemment, d’Eric Marty et de Danny Tron, s’unissent dans une touchante harmonie chorale.
Pour peu que l’on attache plus d’importance au sens des mots qu’à leur résonnance, la différence entre antisionisme et antisémitisme est pourtant radicale. Le terme racial d’antisémitisme est apparu, selon le dictionnaire historique de la langue française, en 1879, dans une période d’expansion coloniale et impérialiste. Hannah Arendt le montre bien dans les deux premiers volumes des Origines du totalitarisme.
L’antisémitisme demeure bien un terme du lexique racial et du racisme colonial.
L’antisionisme, lui, exprime une opposition politique au projet consistant à résoudre la question juive par la création d’un Etat juif, en Palestine ou ailleurs. Cette opposition au sionisme n’est pas le fait exclusif d’une gauche radicale. Elle fut aussi celle de religieux, réfractaires à l’idée d’un Etat voué à se séculariser au point de devenir un « Etat-goy », de philosophes comme Buber ou Scholem, de militants bundistes, d’internationalistes comme Abraham Léon, Jacob Monetta, Marcel Liebman, Isaac Deutscher, Ernest Mandel, Henri Curiel, Daniel Singer, et des milliers d’autres. Ou Hannah Arendt qui juge « désastreuse » l’absence de séparation en Israël entre la religion et l’Etat, et voit dans le sionisme « la forme juive du nationalisme tribal » (voir l’article de Judith Butler dans La Revue internationale des lettres et des idées n°2, nov.2007)
Daniel Bensaïd, Un nouveau théologien Bernard-Henri Lévy, Fragments mécréants 2, Nouvelles éditions Lignes, 2007