(Fiction ?)
« Pascal L. ou la vraie vie libérale »
« Étudiant, ton avenir t’appartient ! Investit dans ton éducation grâce à WLC et Crédits Sans Frontières ! » Tous les matins, en arrivant au 13e étage de la tour WLC, Pascal L. salue mentalement le jeune homme au premier plan de l’affiche 4x3 qui semble l’interpeller.
Pascal L. dirige le département Communication de la branche européenne de World Learning Company (WLC), dont le siège social est à Houston, aux USA. En quelques années, la firme texane s’est hissée au troisième rang d’un marché devenu hyper-concurrentiel. Le chiffre d’affaires annuel de l’éducation représente plus de 5 % du PIB mondiali et World Learning Company entend bien s’y tailler la part du lion.
Au moment de la déréglementation, WLC a saisi l’opportunité sans tergiverser. Elle détient à présent des parts de marché dans pratiquement toutes les branches de l’industrie de l’éducation. WL Teacher dispense formation initialeii et continue aux enseignants recrutés par les universités et les écoles privéesiii de WLC. Lesquelles n’acceptent que des étudiants ayant réussi les tests préparatoires chez WL Studyiv.
Enfin, conception des programmes scolaires, élaboration des méthodes d’enseignement, contrôle des performances et gestion des établissementsv sont regroupés au sein de WL Services. Libérer la concurrence exigeait de libéraliser les droits d’inscription mais aussi d’encadrer strictement la réglementation internationale des subventions à l’éducation publique.
Un nouvel horizon s’ouvre pour les affaires. En partenariat avec Crédit Sans Frontières, WLC propose aux étudiants des prêts plafonnés à 50.000 €. Mais le taux de chômage élevé persistant ces diplômés impacte la croissance du secteur.
Pour relancer la consommation de prêts, Pascal L. s’apprête à inaugurer « sa » campagne de communication : « investissez dans votre avenir ». L’idée lui en est venue en écoutant la radio. Sandy Godfrey, la directrice générale de l’université australienne Deakin, expliquait à ses futurs clients - des parents et des élèves : « Je sais que beaucoup d’universitaires estiment que l’éducation devrait être gratuite et universelle, mais la réalité est qu’elle a une valeur marchande. Investir financièrement dans son éducation, c’est se garantir des revenus et assurer son avenir ».
En attendant une amélioration de la conjoncture, WLC étudie une possible diversification dans « l’éducation indigène ». La Banque Mondiale lance un appel d’offres sur l’Afrique, autant en profiter !
Le raisonnement est simple : dans les pays gangrenés une pauvreté endémique, seule une meilleure productivité du capital humain peut enclencher le cercle vertueux de la création de valeur. « L’usage productif de la main-d’œuvre étant la principale ressource du pauvre, l’éducation, surtout au niveau du primaire contribue à augmenter la productivité du travail des pauvres », expliquait un expert de la Banque Mondiale lors du congrès des industriels de l’éducation.
Pascal L. fut d’autant plus sensible à l’argument que le créneau porteur du développement durable lui permettait d’implémenter une campagne de communication basée sur la dimension éthique et citoyenne de WLC [...]
Ce caractère ininterrompu du processus de libéralisation enlève toute garantie de voir un secteur du domaine des services lui échapper à terme.
L’OMC a répertorié plus de 160 activités de service que l’AGCS doit permettre de libéraliser dans ses 150 pays membres. Ce qui n’aura pas été libéralisé aujourd’hui pourra l’être demain dans le cadre du même traité.