Mais revenons-en à l’essentiel : le narco-terrorisme. Après les attentats du 11 Septembre 2001, Washington doit réviser ses priorités. Pour l’opinion américaine, la guerre à la drogue doit céder la place à la guerre à la terreur. Pour ne pas perdre tous ses crédits, la DEA (l’agence fédérale antidrogues), déjà sérieusement mise en cause en 1999 par la Cour des comptes américaine, forge alors un concept sur-mesure : le « narcoterrorisme »,« consacrant l’union de deux démons américains, la drogue et le terrorisme, qui se renforcent mutuellement et constituent un « mal » doublement effrayant », selon les mots du chercheur Laurent Laniel, qui a publié un excellent article sur le sujet en 2003.
Comme le rapporte Laniel, moins d’un mois après les attentats de New York, l’administrateur de la DEA, Asa Hutchinson, affirme devant le Sénat :
« Les renseignements de la DEA confirment l’existence d’un lien entre les taliban qui gouvernent l’Afghanistan et le terroriste international Oussama ben Laden. Bien que la DEA n’ait aucune preuve directe de l’implication de ben Laden dans le trafic de drogues, le sanctuaire dont il bénéficie est basé sur le soutien que les talibans fournissent au trafic de drogues [...]. La DEApoursuivra avec ardeur son effort [...] contre les organisations de trafic de drogues qui contribuent au terrorisme mondial. »
Et son discours porte. En décembre, George Bush déclare :
« Il est particulièrement important que les Américains sachent que le trafic de drogues finance la terreur, qu’il soutient les terroristes, que les terroristes utilisent les profits de la drogue pour [...] commettre des actes meurtriers. Arrêter de prendre de la drogue, c’est se joindre au combat contre la terreur en Amérique. »
La boucle est bouclée. Loin de nuire à la guerre à la drogue, la guerre au terrorisme viendra donc la renforcer grâce à ce subtil glissement sémantique. Très vite, des organisations comme les Farc en Colombie, le Hezbollah au Liban, le PKK en Turquie, Al-Qaeda seront qualifiées de « narcoterroristes », oubliant au passage que les alliés des Américains contre ces « forces du mal » sont bien souvent tout autant impliquées dans le trafic de drogues, quand ce n’est pas l’armée américaine elle-même, comme on l’a vu pendant le conflit vietnamien ou en Amérique centrale. Oubliant également, que, lors de leur dernière année au pouvoir, les Talibans avaient fait chuter la production d’opium en Afghanistan. Conclusion de Laurent Laniel :
« Les liens entre trafic de drogues et organisations armées subversives ou étatiques n’ayant rien de nouveau, la « nouveauté » réside bien ici dans leur instrumentalisation par l’Exécutif américain afin de justifier officiellement la poursuite de la « guerre à la drogue » au nom de la lutte antiterroriste. »
Reste maintenant à savoir si la DEA tentera de faire passer Ben Laden pour un petit dealer en herbe afin de récolter sa part de la victoire.