40ème jour de grève de la faim pour Roland Veuillet ou l’impuissance face à l’arbitraire aujourd’hui en France
Depuis le 6 novembre 2008, soit depuis 40 jours, pour la troisième fois, l’ancien conseiller principal d’éducation du Lycée Dhuoda à Nîmes, Roland Veuillet, est en grève de la faim dans sa voiture devant le rectorat, rue de Marseille à Lyon, académie où il a été muté d’office par le ministre, en 2003. Il proteste contre cette sanction arbitraire. Il demande que son dossier soit à nouveau examiné et que justice lui soit rendue. Son argument est simple : le dossier administratif sur lequel s’est fondée la procédure disciplinaire, était illégal ; il en découle que la sanction l’est aussi. R. Veuillet a perdu 19 kilos. Des établissements scolaires de la région de Lyon commencent à s’émouvoir avec grève, occupation nocturne de locaux et pétitions : l’une d’elles qui a recueilli plus de 1000 signatures, a été transmise au rectorat. Mais recteur et ministre ne veulent rien entendre.
« L’affaire Roland Veuillet » qui a commencé en 2003 (1), est, à vrai dire, révélatrice des mœurs d’une administration de l’Éducation nationale indifférente à la loi quand elle y a intérêt.
La liberté d’expression syndicale méprisée
Elle ne respecte pas d’abord la liberté d’expression syndicale. Elle a, en effet, reproché à Roland Veuillet d’avoir soutenu les surveillants grévistes en février 2003 qui protestaient contre la suppression des maîtres d’internat/surveillants d’externat (MI/SE) remplacés par les fameux « assistants d’éducation ». Il avait refusé de jouer les briseurs de grève et de remplacer les grévistes par des élèves majeurs – appelés pudiquement « maîtres au pair » ! - comme lui demandait par oral le proviseur.
Une procédure disciplinaire avait été aussitôt ouverte par le recteur de Montpellier d’alors, M. William Marois (2). Roland Veuillet avait comparu devant un conseil de discipline qui ne s’était pas prononcé pour une sanction ! Mais comme le pouvoir de décision lui appartenait, le recteur en avait quand même infligé une, le 9 mai 2003 : une mutation d’office. Envoyé à Lyon, loin de sa famille, Roland Veuillet n’a pas cessé depuis d’essayer d’obtenir l’annulation de cette sanction injustifiée.
Un dossier administratif illégal
Or, en prenant connaissance de son dossier administratif, il a découvert qu’en violation de la loi, des centaines de documents à caractère syndical y avaient été systématiquement versés : des rapports hiérarchiques rendaient compte de son activité syndicale ; et les tracts ou affiches qu’il avait pu distribuer fort légalement dans l’établissement, étaient soigneusement réunis (3). Or, l’article 18 de la loi portant droits et obligations des fonctionnaires n°83-634 du 13 juillet 1983 est formel : « Il ne peut être fait état dans le dossier d’un fonctionnaire, de même que dans tout document administratif, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l’intéressé. »
Cette constitution d’un « casier administratif » est, en fait, une vieille tradition policière de la maison. En juin 1982, un an auparavant, un arrêt du Conseil d’État avait déjà annulé une notation administrative où il était fait mention ouvertement des « convictions » de deux professeurs (4). La loi de 1983 ne paraît avoir rien changé aux habitudes de cette administration-voyou, puisqu’en 2003, vingt ans plus tard, elle n’en fait qu’à sa tête et viole toujours impunément la loi. Il faut dire que la loi du 12 avril 2000 qui interdit aux victimes la communication des dénonciations de leurs délateurs, lui a même permis de créer de facto un « casier administratif clandestin ».
Le mépris envers le Conseil supérieur de la fonction publique
Instance d’appel en matière disciplinaire, le Conseil supérieur de la fonction publique a été évidemment saisi par Roland Veuillet. Sans doute n’exerce-t-il qu’une fonction consultative. Il reste qu’il n’est pas anodin de constater que, le 25 janvier 2005, il ait recommandé d’annuler la sanction infligée, « les faits reprochés (n’étant) pas suffisamment établis par les pièces du dossier ». Mais non tenu de suivre l’avis formulé, le ministre l’a méprisé et a maintenu la mutation d’office.
Les contradictions au sein de la juridiction administrative
De son côté, le tribunal administratif de Lyon saisi d’une requête en annulation, l’avait rejetée le 15 juillet 2004. Mais, appel étant interjeté devant la cour administrative d’appel, il n’est pas non plus inintéressant de relever que, lors de l’audience d’octobre 2006, le commissaire du gouvernement – peu suspect de complaisance par fonction - a conclu à l’annulation de la sanction après avoir dénoncé la conduite de l’administration. Il a salué, en effet, « (le) professionnalisme et (le) dévouement de M. Veuillet » « en gérant, comme il l’(avait) fait, le problème de la surveillance de l’internat dans le double contexte d’une grève des surveillants et d’une indisponibilité, ou d’un absentéisme, des personnels de direction. »
En revanche, il a parlé « des attitudes plus que désinvoltes de la part des personnels de direction du lycée Dhuoda » ; il s’est même étonné que « par un étrange document dit « avis du conseil de discipline » daté du 7-5-2003, le recteur (se soit) cru autorisé à traduire l’absence de proposition de l’instance disciplinaire par une position en fin de compte favorable au prononcé d’une sanction indéterminée et (qu’) il (ait) matérialisé l’avis favorable prétendument émis en lui adjoignant une motivation dont il ne résulte nullement du procès-verbal du conseil de discipline qu’elle soit l’émanation dudit conseil ». Le commissaire du gouvernement a donc recommandé l’annulation du jugement du tribunal administratif et des arrêtés de sanction et de nomination. Pour autant, le 7 novembre 2006, la cour ne l’a pas suivi. Il est, à vrai dire, peu fréquent que ce deuxième degré de juridiction fasse de la peine à l’administration de l’Éducation nationale.
Une impuissance à combattre l’arbitraire par des moyens pacifiques ?
En marge de ces procédures, Roland Veuillet a cherché de façon inédite à faire connaître son combat contre l’arbitraire par des courses à pied personnelles de plusieurs milliers de kilomètres. En désespoir de cause, il en est venu à la grève de la faim. La première à la rentrée 2004 a duré 38 jours. La seconde, commencée le 24 décembre 2006, n’a cessé qu’au 56 ème jour. Entre temps, le 9 février 2007, il avait été hospitalisé. Comme on pouvait l’attendre d’une administration qui méprise la liberté d’expression, le 14 février suivant, il a été interné en hôpital psychiatrique, mais libéré 24 heures plus tard, car un psychiatre ne voulait pas assumer la responsabilité de cet internement arbitraire.
Chaque fois, les grèves ont pris fin sur d’apparentes ouvertures du ministère, comme la nomination d’un médiateur. Mais, chaque fois, le ministère n’a voulu rien entendre, et encore moins les demandes répétées de plusieurs syndicats venus soutenir Roland Veuillet.
On reste abasourdi devant cette affaire. Il est tout de même remarquable que les instances consultatives saisies aient, chaque fois, conseillé d’écarter la sanction, mais, qu’à chaque fois, les instances décisionnelles (recteur, ministre, juridiction administrative) aient méprisé leur avis !
« L’affaire Roland Veuillet » tend ainsi à montrer dangereusement qu’il n’est plus possible en France de se protéger pacifiquement contre une hiérarchie qui ne respecte pas la loi quand elle y a intérêt. Cette politique est d’une gravité extrême. Quelle issue est donc laissée aujourd’hui aux victimes de l’arbitraire ? Est-ce l’affrontement violent qui est recherché ? Paul Villach
(1) Paul Villach « Grève de la faim et fringale d’arbitraire à l’éducation nationale », AGORAVOX, 26 février 2007
(2) C’est ce recteur, aujourd’hui à Bordeaux, qui, toujours en poste à Montpellier, l’année suivante, a montré quel respect il avait pour la loi et les règlements. Il a infligé à un professeur nîmois, en mai 2004, un blâme mémorable. Car le tribunal administratif l’a annulé comme illégal, le 7 décembre 2006, estimant que les fautes de services alléguées par le recteur étaient inexistantes ! Pour faire bonne mesure, selon le mot savoureux du commissaire du gouvernement en audience, il a constaté qu’ « il y (avait) un souci » : la procédure avait été purement et simplement violée. Un grief allégué en ouverture de procédure avait changé de nature sur l’arrêté de blâme. La totale ! Cette conduite édifiante n’empêche pas pour autant que cet individu soit toujours en poste pour la honte de l’institution. Et l’on s’étonne après que les établissements scolaires souffrent d’actes de délinquance ! D’où vient l’exemple ?
Ce recteur modèle est en outre l’auteur d’une circulaire du 2 mai 2002 intitulée « Aide aux personnels en difficulté » ? Qu’on ne se méprenne pas ! Sous ce titre humanitaire, se cache, en fait, le bréviaire du petit inquisiteur administratif pour répondre par la psychiatrie et la justice à l’opposant. Dans le même sac sont ainsi mises les incriminations suivantes : « pratiques frauduleuses, racisme, imprégnation alcoolique » et « difficultés d’adaptation, isolement excessif, hyperactivité et dépendance au travail (sic !), refus d’obéissance ». Ces derniers griefs, on le voit, sont assez imprécis pour permettre aux chefs d’établissements de les interpréter à leur guise.
La « fiche 23 », intitulée « Procédures disciplinaires », signale que le dossier d’accusation peut comprendre des témoignages de parents et d’élèves, « intégrés sous la forme de copie anonyme de telle sorte que leurs auteurs ne puissent pas être identifiés ». Voilà pour les droits de la défense !
(3) Le site de Roland Veuillet : http://roland-veuillet.ouvaton.org/
(4) Conseil d’Etat, 16 juin 1982, Recueil Lebon, tables, p. 653.
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