Affaire Sud Radio : judéophobie et judéomanie
Auteur : Jean Robin
Maintenant que les esprits sont un peu moins échauffés, et que les décisions ont été prises par les différents intervenants, il est intéressant de faire un point sur cette affaire, dont je suis (Jean Robin) en plus à l’origine. Justement, je ferai tout mon possible pour mettre de côté l’aspect personnel, et tenter de la juger avec mon sens critique habituel, mais je ne garantis rien évidemment, n’étant pas aussi objectif sur moi-même que sur les autres.
Un résumé de l’histoire en images pour commencer :
Lorsque j’ai publié mon article le 26 août à 14h, je ne pensais pas déclencher un tel effet domino. Et pourtant, les conséquences sont là : une polémique nationale, des centaines d’articles, des dizaines de réactions, une mise en demeure de Sud Radio par le CSA, une mise à pied d’Eric Mazet par Sud Radio, une réputation d’antisémitisme pour la radio, et j’en passe.
Je ne reviens pas sur le fait qu’aucun média, à quelques exceptions près (Agoravox, Arrêt sur images, Radioactu), n’a daigné mentionner ce site ni son directeur de publication comme source de l’information : ce n’est qu’une preuve supplémentaire de l’amateurisme des médias de masse.
Pour le reste, il me semble que cette affaire démontre au moins 2 choses : l’une, que la judéophobie est loin d’avoir disparu de notre pays ; l’autre, que la judéomanie règne encore en maître dans notre pays.
Une judéophobie indéniable et condamnable
Les auditeurs qui ont appelé Sud Radio pour affirmer que DSK était soutenu par les juifs (“qui dominent le monde”), ou par un lobby juif, ont tenu des propos très clairement antisémites, et ce pour plusieurs raisons. Les personnalités qui ont soutenu DSK publiquement l’ont fait en leur nom, et non au titre de leur judéité (quand elles étaient juives) ou au titre de celle de DSK. Je n’ai entendu personne dire “je suis juif, DSK aussi, et c’est pour cela et uniquement pour cela que je le soutiens.”
Ce sont ces allégations à mon avis illégales qui auraient dû inciter Eric Mazet à ne pas relancer le débat sur ces bases, qui sont forcément biaisées, surtout pour un débat avec des auditeurs dont on ne connaît pas à l’avance les idées ni la manière qu’ils ont de les formuler. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté la station, je n’écoutais pas vraiment ce genre d’émissions avant de travailler à Sud Radio, or la plupart du temps on est au café du commerce. Moi qui cherche plutôt à tirer les débats vers le haut, je me suis retrouvé dans le rôle de contribuer à les tirer vers le bas… Il existe des intellectuels qui ont travaillé de nombreuses années sur un thème, autant les inviter eux en priorité (à condition d’assurer une diversité d’opinions parmi ces intellectuels), et faire intervenir quelques auditeurs en plus, pourquoi pas, afin d’avoir une approche potentiellement plus proche du terrain et moins parisianiste.
Quant à l’attitude d’Eric Mazet, elle fut très maladroite, surtout cette insistance à vouloir absolument des antisémites en ligne, cela ressemble fort à un suicide professionnel quand on connaît l’état du débat en France sur tout ce qui touche aux juifs. La liberté d’expression n’excuse pas tout, et ne signifie pas être irresponsable. Je n’irais évidemment pas jusqu’à dire qu’il est antisémite, mon avis importe d’ailleurs peu, mais il est sûr qu’il est responsable de toute cette polémique. Toutefois, et j’en arrive à la judéomanie que révèle également cette histoire, son limogeage par Sud Radio, et la mise en demeure du CSA sont pour le moins excessifs selon moi.
Une judéomanie tout aussi indéniable et condamnable
L’ampleur qu’a pris cette polémique, et les conséquences qui en sont sorties, m’apparaissent très exagérées. Certes, il y a eu un manque de maîtrise d’antenne, mais de là à faire d’Eric Mazet un bouc-émissaire de toute cette histoire, non. Les dirigeants de Sud Radio font sauter un fusible facile, au lieu de regarder leurs responsabilités en face, et ils jettent en pâture l’honneur d’un journaliste qui a travaillé 15 ans pour eux.
Par ailleurs, le lobby juif existe, bien entendu, mais d’une part il est multiple, et d’autre part il est incarné par des organisations très bien identifiées, qui mettent en avant leur défense des juifs dans leur ensemble et/ou d’Israël.
Il est multiple car, comme l’a notamment déclaré Philippe Karsenty à notre micro : “il y a deux lobbies juifs en France : un sioniste, et un antisioniste“. Les antisémites n’ont que faire de ce distinguo, ils préfèrent nier la réalité et mettre tous les juifs dans le même sac.
Les organisations identifiées comme juives sont notamment le CRIF (même si le mot “juif” n’apparaît pas dans sa dénomination), le Consistoire, l’UEJF (Union des Étudiants Juifs de France), l’UPJF (Union des Patrons Juifs de France), et quelques autres. Par exemple, l’UPJF revendique cette appellation de “lobby juif” : « L’UPJF, comme toute organisation, a besoin d’argent, et pourquoi cet argent, c’est très simple, c’est parce que nous avons des actions à faire. […] Nous avons pour habitude, à l’UPJF, d’autofinancer nos actions et de ne rien demander à personne. Alors j’en profite, parce qu’on m’interroge souvent, sur les Américains.
« Eh, dites donc, à l’UPJF, vous avez des aides extraordinaires du lobby américain. » Oui, c’est vrai. Je vais vous dire : nous avons encaissé, et comme ça tout le monde le saura et on aura fini de discuter, nous avons encaissé l’année dernière 150 000 € en provenance de l’American Jewish Congress, qui est notre partenaire. Ça ne vise ni à financer nos actions, ni à financer des hommes politiques, ce sont simplement des actions de formation de nos cadres. […] A l’UPJF, nous avons décidé de nous servir de cet argent pour faire ce qui n’a jamais été fait dans ce pays et quand l’UPJF a dit « Nous voulons devenir un lobby juif pro-israélien », tout le monde s’est moqué de nous. Nous voulons avoir autour de nous des jeunes qui vont prendre la relève, que nous allons former, et à qui nous allons adresser la meilleure formation grâce à ces fonds, pour devenir demain les fers de lance d’un lobby juif pro-israélien dans notre pays, la France. » Claude Barouch, Président de l’UPJF, Radio J, Libre Antenne, 6 mars 2005
Voici ce que j’écrivais dans mon livre “La judéomanie, elle nuit aux juifs, elle nuit à la République”, paru en août 2006, à propos de cette expression devenue taboue de “lobby juif” :
“C’est le cas par exemple du « lobby juif », employé comme nous allons le voir par des juifs eux-mêmes, mais qui ne doit être employé théoriquement par personne car ce serait un symptôme indéniable d’antisémitisme, voire pire (se référer aux mots précédemment étudiés) de la personne qui le prononce.
En d’autres termes, « lobby juif » est de ces expressions qui, si vous osez les employer, vous transforment automatiquement et instantanément aux yeux de tous en une personne qui cherche par tous les moyens, y compris les plus bas et les plus vils, à démontrer que les juifs ont la main sur le monde, les centres de pouvoirs, et décident pour tout et pour tous via des personnes bien placées qu’ils manipulent tel des marionnettes.
Il se trouve que le grotesque de cette accusation, loin de la disqualifier, la fait apparaître très sérieuse à ceux qui la formulent, et trop souvent à ceux qui se laissent intimider par une telle accusation.
Si vous avez la chance de trouver un esprit suffisamment évolué qui soit prêt à en débattre avec vous, voici le genre de réponse que vous pourrez obtenir à la question : « Pourquoi cette expression est-elle taboue, alors qu’on peut parler le plus librement du monde du lobby des agriculteurs, de celui des gays, ou de celui des opérateurs de téléphonie mobile ? »
On vous répondra très probablement, dans un premier temps, que les juifs ont subi un génocide, la Shoah, qui fit six millions de morts (au cas où cela vous aurait échappé). Nous avons vu dans le chapitre précédent la faiblesse intrinsèque d’un tel argument, de par l’abus qu’il en est trop souvent fait. Par ailleurs, il n’y a aucun espèce de rapport entre le lobby juif et la Shoah, le premier étant un phénomène économique et politique, le second étant un génocide.
Si la personne avec laquelle vous discutez ne vous a pas encore traité de fasciste, de nazi ou d’autre nom d’oiseau, vous allez pouvoir entendre un autre argument, selon lequel seul le Front National parle de « lobby juif ». Là encore, nous avons vu que tout ce que dit le Front National, fut-il le seul à le dire, n’est pas systématiquement faux, fasciste, antisémite etc. Par exemple, nous avons vu en détail que la loi Gayssot, qu’ils sont les seuls à encore condamner en tant que parti politique en France aujourd’hui, devrait être abrogée ou modifiée, et ce n’est pas le fait que le Front National soit le seul à être en faveur de cette mesure qui devrait obliger tout le monde à penser le contraire d’eux.
Alors, si la personne daigne toujours vous écouter et n’est pas partie outrée par vos propos anti-démocratiques voire ‘hitlériens’, elle vous donnera peut-être un troisième et dernier argument : tout le monde sait bien que le lobby juif n’existe pas. Ils vous donneront cet argument avec d’autant plus de facilité qu’ils attendent que vous tombiez dans un piège qu’ils pensent vous avoir tendu : si vous vous lancez dans une démonstration selon laquelle ce lobby existe, vous vous appuierez forcément sur des exemples tels que « les médias et le show-business sont infestés de juifs », « le Président de la République depuis Mitterrand a toujours été très entouré par des juifs », etc., propos qui démontreront votre antisémitisme, pour ne pas dire plus.
Or il suffit simplement de se référer à des personnes insoupçonnables dans le domaine pour apprendre de leur bouche que le lobby juif existe. Elisabeth Schemla*, rédactrice en chef du site Internet pro-israélien Proche-orient.info, l’Union des Patrons Juifs de France, une autre organisation qui se dit pro-israélienne, Les Echos**, qui sont peu connus pour être des antisémites, etc.
Bref, tous ces articles démontrent qu’il existe bel et bien un lobby juif, en France et dans d’autres pays, et qu’il n’est nullement antisémite que de le constater, et de le répéter. Au contraire, je prétends qu’il est judéomane de faire de l’expression « lobby juif » une expression taboue, toujours sur le même raisonnement selon lequel le déni de réalité revient toujours dans la figure de ceux qui l’imposent.” La judéomanie, p 278 à 281
Dernière chose, peut-être la plus grave : cette réaction excessive des médias a tendance à accréditer l’existence d’un lobby juif puissant, donc à donner raison aux antisémites, ce qui n’est pourtant pas le but recherché. Bref, une fois encore, l’antiracisme idéologique montre ses limites.
*« En France, naissance d’un lobby juif, au sens plein et respectable du terme
Aujourd’hui, les États-Unis vont vivre un grand événement culturel : la sortie du film si controversé de l’intégriste chrétien Mel Gibson. En France, Luc Besson ayant refusé de le distribuer, nous ne verrons donc pas « La passion du Christ ».
La semaine dernière, ce sont les fans d’un comique estropié, Dieudonné, qui sont venus écouter son poor man show sur le trottoir, la scène du célèbre Olympia s’étant refusée à résonner de ses insanités. À Nice, affaire révélée ce matin même par Frank Latour dans « proche-orient.info », Leila Chaïd, déléguée générale de la Palestine en France, vient de se voir interdite de conférence dans le collège Maurice-Jaubert, sur intervention directe du ministère de l’Éducation Nationale. Interdit aussi avec Chaïd, un certain Michel Wacharski, cet Israélien antisioniste hystérique que trimballent partout dans leur besace les arpenteurs de la gauche plurielle.
Devant de telles décisions qui touchent profondément à la vie culturelle et politique d’un pays, les uns crient à la censure et dénoncent une société liberticide, les autres applaudissent la défense immunitaire d’un corps social qui se débat contre une violente agression idéologique. À l’époque de la toute puissance technologique des instruments de communication et de la libération absolue de la parole et des opinions sur fond de conflit autour de la laïcité, les questions que soulèvent ces trois affaires sont capitales. Elles ont hélas un premier dénominateur commun, l’antisémitisme. Mais elles en ont aussi un autre : ce sont des organisations françaises juives qui ont coup sur coup conduit la bagarre et, au nom de la République, ont obtenu gain de cause, après de nombreuses autres victoires durant l’année 2003. Ce qui signifie qu’un lobby, au plein et respectable sens du terme qu’on me reprochera certainement d’employer, est en train de naître et de se structurer. » L’éditorial d’Elisabeth Schemla, rédactrice en chef du site internet Proche-orient.info, 25 février 2004
**« Dans le monde économique, l’émancipation est, elle aussi, passée par un travail de mémoire. Sous la pression de l’opinion publique, la plupart des groupes allemands ont chargé des historiens de faire la lumière sur leur rôle dans la spoliation des Juifs et l’aryanisation de l’économie durant le régime nazi. Ce travail a pris une autre dimension en 2000 avec la création de la Fondation Mémoire, responsabilité et avenir. Certes, l’apport par l’Etat fédéral et 6.500 entreprises de 5 milliards d’euros destinés à indemniser des travailleurs forcés n’était pas un geste complètement désintéressé. Beaucoup avaient en tête que le lobby juif américain était prêt à bloquer toute acquisition aux Etats-Unis. Sans son appui, en effet, Daimler aurait eu du mal à avaler Chrysler, Deutsche Bank n’aurait pu acquérir Bankers Trust, et Bertelsmann aurait été empêché de mettre la main sur l’éditeur Random House…” Les Echos, 12 septembre 2005, Le nouveau patriotisme allemand, par Thibaut Madelin.
Source : ENQUETE&DEBAT
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