Armes nucléaires : et si le pape avait (encore une fois) raison ?
“Je désire redire avec conviction que l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est aujourd’hui plus que jamais un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune. L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est immorale de même que la possession des armes atomiques, comme je l’avais déjà dit il y a deux ans. Nous aurons à en répondre. Les nouvelles générations se lèveront en juges de notre défaite si nous contentons de parler de paix sans le traduire concrètement dans les relations entre les peuples de la terre. Comment pouvons-nous parler de paix en construisant de nouvelles et redoutables armes de guerre ? Comment pouvons-nous parler de paix en justifiant certaines actions fallacieuses par des discours de discrimination et de haine ?” (Discours du dimanche 24 novembre 2019 au Mémorial de la Paix à Hiroshima)
Les prises de position du pape François sur l’arme nucléaire s’inscrivent dans la continuité de l’enseignement de l’Église depuis Benoît XV sur la Première Guerre mondiale et Jean XXIII auquel le pontife se réfère explicitement, jusqu’à Vatican II qui condamne tout usage d’arme de destruction massive et au Catéchisme de l’Église catholique publié par Jean-Paul II à la fin de son pontificat. François ne fait qu’expliciter avec force ce qui est implicite ou écrit de manière très pondérée dans les textes officiels antérieurs.
Les contorsion mentales du Diocèse aux armées pour faire dire au magistère de l’Église le contraire de ce qui s’y trouve, afin d’apaiser les consciences des catholiques français qui oeuvrent à l’arme nucléaire, ne doivent pas dissimuler un enseignement clair et qui n’a pas varié.
Il est mensonger d’opposer la position du pape François à celle de Jean-Paul II, qui reconnaissait en 1982 le caractère moralement acceptable de la dissuasion basée sur l’équilibre. Ce qui a changé de l’un à l’autre n’est pas la doctrine, mais le contexte géopolitique. Car tout agir moral est situé.
Si les dirigeants européens n’en sont plus capables depuis longtemps, les papes successifs savent prendre la mesure de leur temps et des enjeux mondiaux. Dans un monde bipolaire, la dissuasion fonctionnait parce que le jeu se modélisait assez simplement pour assurer un équilibre et garantir une sécurité à ses acteurs. La partie était lisible par tous, et la raison faisait le reste pour neutraliser la dangerosité de l’arme nucléaire. Le Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, publié par Benoît XVI, rapportait justement la politique de dissuasion à la période de la guerre froide.
Il y a trente ans que le monde est devenu multipolaire, avec une prolifération des armes nucléaires. La dissuasion ne se modélise plus dans ce contexte trop complexe. Le jeu est désormais sans règle, aussi la possession d’armes nucléaires est-elle devenue simplement dangereuse, sans apporter de sécurité face aux menaces.
Le pape François en a pris acte, faisant preuve d’une lucidité stratégique et géopolitique qui l’honore et dont maint dirigeant politique devrait prendre exemple, notamment en France. Il est grand temps d’engager une réflexion publique de fond, antée sur l’état réel des enjeux et non sur le fantasme de la puissance nucléaire, et de nous demander si notre arsenal nucléaire n’est pas devenu plus une menace pour nous, qu’une protection.
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