Aussi liberticide qu’EDVIGE : la loi du 12 avril 2000 qui protège les délateurs
On ne peut que se réjouir de la mobilisation graduelle qui vient de contraindre le gouvernement à reconsidérer le décret sur le fichier EDVIGE organisant en particulier le fichage de toute personne « susceptible de porter atteinte à l’ordre public » avec mention de son orientation sexuelle et de son état de santé. On croit revoir un film récent de Florian Henckel von Donnersmarck, sur les usages de la Stasi, la sinistre police politique de l’Allemagne de l’Est, « La vie des autres », paru en 2007.

Le délateur protégé contre sa victime
Il est en revanche décevant qu’une loi qui organise depuis 8 ans la protection des délateurs n’ait suscité qu’indifférence chez presque tous ceux qui s’insurgent avec raison contre ce décret attentatoire aux libertés. On en a déjà parlé dans divers articles sur AGORAVOX (1). N’importe qui, aujourd’hui, peut écrire à l’administration pour dire tout le mal qu’il pense de son voisin, d’un concurrent ou d’un rival à seul fin de lui nuire. La victime n’en saura jamais rien, car jamais sa lettre de dénonciation ne pourra lui être transmise. La loi l’interdit expressément car – et ce n’est pas une blague - cette communication pourrait nuire en retour à l’auteur de la lettre de dénonciation !
Or, l’administration, même sans en rien laisser paraître, peut-elle n’en pas tenir compte ? Sa culture ancestrale du renseignement la pousse-t-elle à jeter pareille lettre au panier. ? On peut compter sur elle, au contraire, pour l’archiver dans un dossier secret particulier au nom de la victime dénoncée. Et, si c’est un fonctionnaire, à l’occasion d’une promotion ou d’une nomination, on se doute que ce dossier clandestin ne manquera pas d’être consulté. Des carrières peuvent être ainsi brisées sur la foi de ragots qu’un débat contradictoire aurait pu révéler. Jamais la victime ne saura ce qui s’est tramé, puisque toute communication d’une lettre de dénonciation est interdite par la loi, sauf au dénonciateur… dès fois, sans doute, qu’il n’en aurait pas gardé copie !
La loi du 17 juillet 1978 vidée en douce de son contenu
De quelle loi s’agit-il ? De la loi du 12 avril 2000 qui a vidé en douce de son contenu la grande loi du 17 juillet 1978 sur la communication des documents administratifs dont l’ article 6 bis ne mettait aucun obstacle à la transmission des documents nominatifs, c’est-à-dire mentionnant le nom d’une personne. Il était ainsi libellé : « Les personnes qui le demandent, ont droit à la communication, par les administrations (compétentes), des documents de caractère nominatif les concernant, sans que les motifs tirés du secret de la vie privée, du secret médical ou du secret en matière commercial et industriel, portant exclusivement sur des faits qui leurs sont personnels, puissent leur être opposés ». Les informations à caractère médical devaient l’être par l’intermédiaire d’un médecin traitant.
Cet article a été remplacé par un nouvel article 6 de la loi du 12 avril 2000 rédigé de façon telle que le député de base a pu n’y voir que du feu, d’autant que ce coup fourré était glissé dans une loi fourre-tout prétendument destinée à accroître la transparence administrative ! Les liberticides savent être rusés. Voici le texte de ce nouvel article 6 : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs (…) faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ».
Un jeu de mots juridique
Dans un premier temps, on n’y comprend rien : les mots « intéressé » et « personne » brouillent les cartes. Dans un second, on est tenté de dire : et alors ? Il n’y a rien de changé ! Mais si on se montre plus attentif, on découvre que les deux personnages cités « l’intéressé » et « la personne » ne sont qu’un et même individu et non deux êtres différents. Pourquoi ? parce qu’une lettre de dénonciation sera toujours « un comportement qui peut porter préjudice » à son auteur, s’il est divulgué ! En conséquence, une lettre de dénonciation ne peut être remise à personne d’autre qu’à son auteur – qui est ici à la fois la personne et l’intéressé - et donc en aucun cas à la victime de la dénonciation qui pourrait demander des comptes à son dénonciateur devant un tribunal, en le poursuivant par exemple pour dénonciation calomnieuse.
Bravo les artistes en jeux de mots juridiques, est-on tenté de dire ! Seulement, la « patrie des droits de l’homme » comme certains aiment encore appeler la France, se retrouve avec un texte qui non seulement ridiculise le Droit mais protège le délateur en autorisant par voie de conséquence l’ouverture d’ un dossier clandestin. Et, de fil en aiguille, est-il besoin d’une autre base juridique pour autoriser l’activité secrète d’une police politique qui ne dit pas son nom ? Qu’on revoie donc le film « La vie des autres » !
À l’exception notoire de Corinne Lepage, ancienne candidate en 2002 à la présidence de la République, qui, à l’époque a condamné ce texte, les personnalités et organisations diverses qui avec raison s’émeuvent aujourd’hui au sujet du fichier EDVIGE, n’ont rien trouvé à redire depuis 8 ans à ce texte liberticide promulgué par le Président Chirac tandis que M. Lionel Jospin était son premier ministre à la tête d’un gouvernement de Gauche plurielle. L’administration peut faire tranquillement ses petits dossiers clandestins en toute quiétude. Aujourd’hui encore, on n’entend personne exiger le rétablissement de l’article 6 bis originel de la loi du 17 juillet 1978 adoptée sous la présidence de M . Giscard d’Estaing. Et pourtant, cet article 6 de la loi du 12 avril 2000 n’ est-il pas aussi dangereux pour les libertés que le fichier EDVIGE ? Paul Villach
(1) Paul Villach, « La délation et le président Sarkozy : faire confiance à l’administration ou à la responsabilité de chacun ? », AGORAVOX, 4 septembre 2007.
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