Durant nos études, au Lycée, à l’Université, ou devant une émission télévisuelle ou radiophonique, nous nous sommes tous posés un jour cette question : à quoi sert la philosophie ?
Chacun a vécu à sa manière l’expérience de cette remise en question : un professeur qui parlait un jargon incompréhensible, un livre aux phrases interminables, un débat abscons et inaudible, ou un monologue lancinant où le monde est défait et refait.
Nombreuses sont les personnes à s’être fermées à la philosophie et à l’enterrer… La philosophie, discipline morte, regardant ses ombres au fond d’une caverne ?
Pourtant, la philosophie est présente - bien plus qu’on ne l’imagine - et plante ses idées comme des graines pour les laisser grandir chez le commun des mortels sans qu’il s’en aperçoive.
La philosophie façonne notre représentation du monde et nos analyses
Voici deux exemples trouvés ces derniers jours dans les médias, qui font tout de suite naître au sein d’une assemblée un débat d’idées et des controverses. Parlez-en en famille, avec vos amis, vos collègues, vous verrez…
- La vision que l’on a des catastrophes. Dans l’émission « Ce soir ou jamais » de Frédéric Taddeï du 12 mai, Jean-Pierre Dupuy explique que pour comprendre notre vision actuelle des catastrophes, il faut remonter à Jean-Jacques Rousseau qui s’est opposé à Voltaire, après le tremblement de terre de Lisbonne de 1755. On aurait tendance aujourd’hui à mélanger ou à ne pas distinguer catastrophes naturelle et morale. On attribuerait souvent une responsabilité humaine à des catastrophes naturelles comme les Tsunamis, les cyclones Katrina etc. A l’inverse des catastrophes morales entièrement déclenchées par les hommes seraient associées à des phénomènes naturels, à des forces, à des systèmes, à des mouvements inéluctables, par peur ou impuissance face à une réalité que l’on refuserait de voir et qu’on investirait de « sacré » alors même qu’il n’y a aucun élément religieux. Il prend l’exemple du mot « Shoah » dont Henri Meschonnic avait également analysé l’emploi dans un article du Monde : « Le scandale, que la médiatisation du mot rend inaudible, est que c’est un mot qui, dans la Bible où il se rencontre treize fois, désigne une tempête, un orage et les ravages (deux fois dans Job) laissés par la tempête dévastatrice. Un phénomène naturel, simplement. Il y a d’autres mots, dans la Bible, pour désigner une catastrophe causée par les hommes. Le scandale est d’abord d’employer un mot qui désigne un phénomène de la nature pour dire une barbarie toute humaine. ».
- La pensée de la construction européenne. Dans l’émission de Franz Olivier Giesbert du 14 mai, Régis Debray lance un pavé lors du débat sur la crise financière qui touche l’Europe : il n’y a pas d’Europe sans sentiment européen, et pour qu’il y ait un sentiment européen, pour qu’il y ait une Union, il faut se poser la question : contre quoi faisons-nous l’Europe, il faut un ennemi commun. Cette pensée n’est pas nouvelle, de Sun Tzu à Clausewitz, elle repose sur une intellectualisation des affects humains et des réactions tribales détaillée avec précision dans l’ouvrage de la philosophe Nayla Farouki : créer un sentiment d’appartenance à partir des frontières avec l’extérieur : il y a eux et nous.
De quoi alimenter le débat…
Au centre des ces deux exemples et derrière le titre de notre article quelque peu provocateur
« A quoi sert la philosophie ? », on
veut souligner, sans plus d’ambition, que les questions du quotidien, les problèmes de société sont exprimés, compris et expliqués en rapport à notre représentation du monde qui est intimement liée au
paradigme dans lequel nous évoluons, comme l’avait formulé
Thomas Kuhn.
Les paradigmes sont construits avec leur logique propre, leurs croyances et leurs présupposés théoriques, moraux et philosophiques. Ils s’affrontent pour prendre le dessus. Ces luttes, ces querelles montrent que la philosophie est partout et toujours présente et bien vivante.
De la guerre en philosophie
La philosophie est-elle l’amour de la sagesse comme son étymologie le laisse entendre, ou un champ de bataille ?
Quoi qu’il en soit, depuis le début de l’année les polémiques et les controverses ne manquent pas :
Bernard-Henri Levy qui a signé l’ouvrage
De la guerre en philosophie explique ce
bellicisme de la pensée, «
pourquoi un philosophe d’aujourd’hui ne peut être, somme toute, qu’un guerrier » : «
Parce qu’il y a une bataille pour la vérité. Parce que le mensonge, comme le diable selon Baudelaire, a maints tours dans son sac, à commencer par celui de faire croire qu’il n’existe pas et qu’il est un autre visage du vrai. D’où méfiance. Ruses. Corps à corps sans merci. Guerre de papier, mais guerre quand même. ». A parler de guerre, il a fini par la déclencher et a déchaîné les passions autour du
canular Botul.
La tête nous tourne… Mais admettons qu’il s’agisse d’une « guerre en philosophie » où les idées sont reines et non d’une « guerre des philosophes » qui ne servirait à certains qu’à occuper l’espace médiatique…
Notons également la
polémique entre Daniel Salvatore Schiffer et BHL pour son essai qui s’intitule «
Critique de la déraison pure : La faillite intellectuelle des "nouveaux philosophes" et de leurs épigones ». Daniel Salvatore Schiffer y dénonce les «
intellectuels médiatiques » qui sclérosent une certaine pensée philosophique française : Bernard-Henri Levy, André Glucksmann, Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner. Essai qui devait voir le jour chez Fayard, et dont la parution a été annulée, créant un
vif débat autour de sa censure, va finalement
paraître chez Bourin permettant ainsi à chacun de pouvoir juger sur pièce les critiques formulées à l’encontre des « nouveaux philosophes ».
Petite révolution intellectuelle qui va remuer la France ?
Alors, oui, nous appelons de nos vœux à un débat clair, philosophique - même la
guerre a ses règles alors pourquoi pas la philosophie ? BHL, Onfray, Roudinesco, Schiffer : A quoi sert la philosophie ? Pourriez-vous débattre ensemble, autour d’une table ?