Comment permettre à la France de gagner les milliards qu’elle perd en promouvant le tout-à-l’anglais ?
En ces temps de crises les Etats cherchent à réduire les dépenses. Pourtant, les législateurs semblent ignorer une injustice qui fait notamment perdre des milliards chaque année aux économies de nombreux pays : le tout-à-l'anglais.
L'anglais se développe toujours plus en tant que langue dominante dans les communications internationales, ainsi le nombre de masters proposés en anglais dans des pays non anglophones explose en Europe (de 7 à 256 masters en anglais proposés en Italie de 2007 à 2012, et de 11 à 346 en France sur la même période1). La traduction de la signalétique est aussi révélatrice de ce phénomène, dans les gares et dans la rue par exemple (des situations absurdes peuvent se produire, tel que la signalétique traduite seulement en anglais dans des villes proches de l'Italie, de l'Espagne ou de l'Allemagne, quand ces voisins forment la plus grande partie des visiteurs). Toutes ces promotions de l'anglais ne sont pas tant destinées à faciliter la communication pour les personnes venant des pays anglophones (qui ne sont pas la population la plus importante au monde), mais destinées à toutes les personnes qui ne parlent pas français : l'anglais est promu au rang de langue internationale. La planète s'anglicise, pour le plus grand profit des pays anglophones. Le Rapport Grin, qui étudie différents scénarios d'enseignement de langue étrangère dans l'Union Européenne, évalue les avantages économiques que possède la Grande-Bretagne avec le développement du tout-à-l’anglais à 18 milliards d'euro par an, en 2005, par rapport à l'Europe seulement (les bénéfices touristiques et le commerciaux hors Union Européenne qui découlent de la dominance de l'anglais ne sont pas pris en compte).
Selon le rapport, 5 points donnent lieu a une redistribution inéquitable :
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une position de quasi-monopole sur les marchés de la traduction et de l’interprétation vers l’anglais, de la rédaction de textes en anglais, de la production de matériel pédagogique pour l’enseignement de l’anglais et de l’enseignement de cette langue.
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l’économie de temps et d’argent dans la communication internationale, les locuteurs non-natifs faisant tous l’effort de s’exprimer en anglais et acceptant des messages émis dans cette langue.
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l’économie de temps et d’argent pour les anglophones, grâce au fait qu’ils ne font plus guère l’effort d’apprendre d’autres langues.
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le rendement de l’investissement, dans d’autres formes de capital humain, des ressources que les anglophones n’ont plus besoin d’investir dans l’apprentissage des langues étrangères.
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la position dominante des anglophones dans toute situation de négociation, de concurrence ou de conflit se déroulant en anglais.
D'autres éléments contribuent à rendre le tout-à-l'anglais une solution inéquitable et néfaste.
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Les gens ont tendance à aller dans des lieux avec lesquels ils sont familiers, donc là où ils comprennent la langue, le tout-à-l'anglais transfère des millions de touristes et de personnes vers les régions anglophones, en détournant autant des lieux non anglophones.
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Les anglophones perdent les bénéfices liés à l'apprentissage d'une autre langue (ouverture d'esprit, bénéfices pour la réflexion).
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Les langues à la population relativement faible (moins de 10 millions de personnes), quand l'usage de l'anglais est courant et répandu dans le cadre du travail, sont peu apprises par les immigrants (étudiants, cadres) et sont en déclin. Plus largement, il est fait état dans le rapport Grin de sérieux risques d'uniformisation et de provincialisation des autres langues d'Europe.
La dominance de l'anglais est une vraie menace pour la diversité, ainsi les Pays-Bas, qui ne sont pas un pays anglophone, mettent en avant leur maitrise de l'anglais comme facteur d'attractivité. Le système universitaire aux Pays-Bas est en processus d'anglicisation avancé (pour attirer les étudiants internationaux), qui affaibli le néerlandais en le coupant de la production scientifique.
La question de savoir si l'usage de l'anglais est une bonne solution aux problèmes de communication internationale découle d'une réflexion politique, d'une réflexion quand à l'organisation de la société. Cependant l'anglais n'est pas le fruit d'une expérience démocratique2. Il est répandu en Afrique et en Asie car il a été (et reste souvent) langue officielle lors de la colonisation et il est maître en Amérique du Nord étant donné que la majorité des colons étaient anglophones et que les natifs ont été décimés. Ensuite la promotion de l'anglais au rang de langue internationale, parfois dite "universelle", est le résultat de processus économiques( explosion du commerce international longtemps dominé par les États-Unis, puissance de la diplomatie et des médias américains, promotion de l'anglais par le cinéma avec le plan Marshall ). L'usage actuel de l'anglais n'est en rien fondé sur une réflexion politique (associant conséquences économiques, culturelles et politiques), et la question d'une langue internationale reste légitime.
L'espéranto apparaît comme la solution idéale, face aux inconvénients et aux risques du tout-à l'anglais. En effet l'espéranto, langue construite à la fin du 19ème siècle, a les vertus d'être très simple à apprendre (pour des étudiants français 1 500 heures d'étude de l'Anglais crée un niveau linguistique équivalent à 150 heures d'étude de l'espéranto) et d'être assez égalitaire entre les locuteurs quelle que soit leur langue maternelle (alors que l'anglais pose par exemple de gros problèmes d'apprentissage aux chinois). Dans son rapport, François Grin indique que le choix de l'espéranto comme langue de communication internationale en Europe aboutirait à des économies de 25 milliards d'euros annuellement. Cependant, 7 ans après la sortie du rapport Grin, qui propose pourtant une solution très simple à mettre en place, l'espéranto est rejeté par la classe politique, par méconnaissance ou mépris, alors même que notre pays connaît bien des inconvénients avec le scénario du tout-à-l'anglais.
Annexes :
2. Pour preuve que l'anglais n'est pas en France une solution politique imposée mais une langue qui attire car elle est dominante : les élèves ne sont pas obligés d'étudier l'anglais, ils peuvent prendre d'autres langues, alors que les mathématiques ou le sport sont des matières obligatoires. L'enseignement des langues reste le choix des parents et des enfants, qui choisissent en se basant sur les conséquences professionelles, et culturelles, et le choix de l'anglais contribue toujours plus à faire de l'anglais une langue attractive, dominante, et dangereuse pour la diversité. On peut imaginer l'imposition de l'apprentissage d'une première langue particulière si cela semble justifié, comme c'est le cas parfois lors d'une volonté politique d'endiguer le déclin d'une langue régionale.
Jacques Filleul répond à 3 critiques courantes contre l'espéranto
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