Confession d’un végétalien prétendument repenti
Ou preuve par l'absurde de la vie anormale des gens normaux...
Avant d'entrer dans le crépuscule de mon existence, il me faut faire repentance. Ainsi l'exige ma culture judéo-chrétienne dont la fourberie n'a d'égale que l'indulgente contrition. Et l'athée n'y échappe pas, la tradition religieuse est immanente, inhérente, intrinsèque, inscrite dans nos gènes depuis la nuit des temps. Quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense, c'est une dotation et s'en défaire est illusoire.
Mais une longue vie austère à ne pas dévorer de chair animale, à ne pas m'inscrire dans le festin dogmatique, gargantuesque, pantagruélique et sanguinaire risque bien de me barrer l'accès au paradis. Végétarien, tu ne vaux rien... Les frugivores vont en enfer et l'extrême onction, imposée de justesse au moribond sans défense, ne sera d'aucun effet.
Né dans une famille extrémiste, fondamentaliste, intransigeante, intolérante car végétalienne et ainsi conditionné malgré moi, j'ai ignoré la viande toute ma vie. Aliéné par ce mode d'éducation sectaire, caressant mon chat et mon chien, je trouvais normal de ne pas manger l'agneau ou le porcelet. Je commettais l'erreur impardonnable et agronomique de ne pas être sélectif, d'être inapte à ce reflexe ordinairement ségrégatif de séparer les animaux compagnons que l'on aime dorloter de ceux comestibles que l'on aime manger. Un peu comme cet autre distinguo entre utiles et nuisibles, entre grillon et criquet. Pour moi qui n'avais rien compris, c'était blanc bonnet et bonnet blanc. D'ailleurs, tout petit, des deux jouets de caoutchouc que les adultes avaient déposés dans mon berceau : une pomme et un mouton, je ne mordais que la pomme. De bien mauvais augure si mes parents avaient été omnivores, incluant la dérive pervers du toujours plus carnivore.
Et le temps passa...
Aux limites de l'autisme, j'étais dans ma bulle idéaliste, atypique, non intégré, voire asocial, plus ou moins aboulique et anémique par tant de carences nutritionnelles qu'induit, selon la rumeur pseudo médicale, l'absence de protéines animales et de leurs acides aminés. Le teint blême, la peau blafarde, boutonneux jusqu'à l'extrême, j'avoue avoir été d'une santé si fragile que je suis mort depuis bien longtemps, sauf que personne ne me l'a dit... Toujours bougon car me levant du mauvais pied (celui végé...), je n'ai fréquenté que des pisse-vinaigre et des coincés du fion. Une vraie galère, un réel chemin de croix. Ne se nourrir que de fruits et légumes équivaut à une permanente auto flagellation, rien de moins, rien de plus.
Celui qui ne change pas est un imbécile. Bienheureusement, il y a quelques années, me vint la révélation... Je ne sais plus si c'était lors d'un voyage en terre musulmane où, suspendues aux crocs des bouchers des souks, on peut admirer à loisir les carcasses d'animaux écorchés ; ou bien devant l'étale d'un charcutier-tripier de ma douce France, ravi par la délicatesse d'une tête de veau garnie de son brin de persil, de pieds de porc avec sabots et d'une alléchante cascade de tripes et de cervelles. En tout cas, ce fut un déclic et, dès ce jour, je fus pris d'un dégout profond et d'insupportables nausées devant l'intolérable et exécrable spectacle de tout déballage de fruits et de légumes. Quoi de plus écœurant que les produits du verger et du potager ?
C'est alors que, franchement motivé, je décidais de m'informer davantage et d'aller à la découverte si pittoresque de ces antichambres des abattoirs que sont les fermes et les élevages en batterie. Je fus enthousiasmé par ces camps concentrationnaires de poulets dégénérés, de vaches laitières surexploitées avec - délicate intention - leurs petits veaux compartimentés, par ces porcheries industrielles où chaque truie est enserrée avec précautions dans son "loft" métallique... Et j'en passe...
Converti-convaincu, je suis maintenant en quête d'un nouvel horizon de vivres, carnées cette fois-ci. D'avance, je m'en lèche chaque fois les babines. J'ai perdu tant de temps à m'enferrer dans une nutrition erronée n'engendrant que déceptions gustatives et à cent lieux de la noble gastronomie franchouillarde que je n'ai de cesse de m'empiffrer de cadavre, de savourer saucissons, jambons et pâtés, d'imaginer, à travers chaque côte de bœuf à la moelle, chaque côtelette d'agneau, chaque demi porcelet de lait, chaque blanquette de veau ou chaque hamburger, ces charmants animaux qui ont été créés pour que l'on puisse les esclavager, les multiplier, les tuer, les découper, les étriper, les broyer, les bouffer et les déféquer. Désormais, je serai fidèle aux rendez-vous de ces émissions culinaires télévisées où l'on fait l'apologie de la viande morte, surtout quand elles nous renvoient à nos bonnes traditions campagnardes comme sait si bien le faire "Carte postale gourmande" et ses incontournables séquences d'agapes charcutières et tripières. Du bon goût bien de chez nous. Rien à voir avec la tristesse de la stupide carotte râpée ! Il va de soi que Jean-Pierre Coffe, maître-queue de la gastronomie zoophage, est mon idole.
Il me fallait encore monter d'un cran pour m'assurer que j'avais enfin rallié le bon camp, que j'avais définitivement et sans le moindre regret quitté ma secte d'anémiques distingués. Ce qui fut fait en visitant les usines de gavages d'oies et de canard du Sud-ouest de la France. Quel émouvant spectacle, quelle franche empathie, quel beau rapport entre l'homme attentionné et la volaille affamée quand le généreux gaveur enfonce le bâton et l'entonnoir pour l'embucquer jusqu'à l'œsophage et pousser chaque fois plus de grains afin que le foie atteigne dix fois sa taille normale en développant une stéatose hépatique ! Jamais, oh grand jamais je ne résisterai au foie gras, pas plus qu'au confit d'oie ou au magret de canard ! La bucolique campagne gersoise, entre autres, est ainsi devenue mon pays d'adoption et je ne jure plus - bordel - que par de telles contrées de bonne chair et de savoir-vivre.
Quelque chose de presque sublime vient enfin de me conforter irréversiblement dans ma conversion au vrai et seul régime alimentaire qui vaille la peine de vivre pour manger qu'est la zoophagie. C'est au célèbre cavalier Bartabas que je dois cette assurance finale, lorsqu'il avoua qu'il mangeait de la viande de cheval. Alors là, comment hésiter et résister davantage quand on sait que cet homme qui lui parle à l'oreille, le caresse, le dresse avec tout l'amour que comporte le dressage ( tu parles...), bouffe son cheval !
Quand parfois la bidoche vient à manquer dans mon réfrigérateur, pas de souci, je trouve toujours un dessert qui, en dépit des apparences, en contient sous la forme d'un additif d'origine animale (lécithine, mono- et diglycérides d'acides gras) ou d'une gélatine issue d'os et de peau de cochon. N'est-ce pas merveilleux que ma communauté carnivore et nécrophage soit si attentive et ne m'oublie jamais, même de façon subliminale dans quelques profiteroles ou flancs caramels ?
Et si au fil de mes courses en ville, si je n'ai pas ma dose en raison d'une certaine discrétion de présentation des viandes déjà découpées de nos boucheries bien de chez nous, ou déjà emballées tout au long des linéaires des grandes surfaces, je ne me refuse pas les expositions courageusement agressives de barbaque des boucheries halal, véritable exotisme de proximité.
La barbaque de cheval, cette noble conquête de l'homme sous forme de viande hachée, se faisant rare dans mon quartier, le manque est désormais largement compensé par le grand gibier, ou mieux, par les nouvelles viandes très tendance que sont celles d'antilope, de zèbre, de dromadaire, de kangourou, d'autruche, d'alligator et d'autres gentils animaux, peluches tant aimées du temps de notre innocente enfance.
Mince satisfaction, je ne suis plus exclu, comme avant, des fêtes, traditions et ronds de familles. À moi la tuerie du cochon chez les cousins d'Auvergne, la fête du mouton ou le méchoui (avec l'appétissante tête de mort grillée) chez mes potes musulmans, le réveillon de Noël autour de la dinde ou de la Saint-Sylvestre à s'empiffrer de foie gras. Quand j'étais végé, putain la honte !
Le jour où je parviendrai à vaincre les ultimes barrières de mon regrettable sectarisme, à quitter les œillères de ma fieffée intolérance occidentale, j'irai manger du chien, du chat, du serpent, du scorpion... chez les Chinois ou les Vietnamiens, du cochon d'Inde chez les Quechuas, des larves d'insectes xylophages chez les Aborigènes... Pour la grenouille, l'huitre et l'escargot, je reste en France. Un p'tit effort, bon sang !
Enfin, fini pour moi de rechercher quelque chose sans viande, sans poisson, sans œufs dans un restaurant, et de constater l'attitude dépitée du patron ou du serveur me prenant en pitié et s'excusant de n'avoir aucun plat pour les personnes atteintes de végétalisme, sauf l'incontournable salade d'entrée, et encore...
Pour ce qui relève de la planète, de la pollution, de la déforestation, de la conscience écologique et du partage humanitaire, quand on me ressasse ce que coûte le prix de la viande en eau et en céréales et qu'on me reproche de participer ainsi à la disparité Nord-Sud, je réponds que je verse ma cotisation à Survival et au WWF, que ce n'est pas moi qui vais refaire le monde et que mon devoir citoyen, surtout en période de crise, est de soutenir les courageux éleveurs et la valeureuse filière bouchère, tueurs et équarisseurs compris.
Et si l'on m'agresse en voulant me protéger contre les maladies cardiovasculaires, une ribambelle de cancers, l’hypertension, les attaques cérébrales, le diabète de type 2, l’hypercholestérolémie, l’obésité, l'accoutumance aux antibiotiques dont la viande est bourrée..., je nique le moraliste en lui disant qu'on n'a qu'une seule vie, qu'elle est courte et qu'il faut en profiter ! Ce n'est pas avec les impôts que je paie, qu'on va venir me faire chier en me demandant de bouffer des tubercules et du foin ! Déjà qu'on ne peut même plus se faire sauter le caisson à la nicotine !
J'espère bien que ce billet de repentance par l'absurde saura me réconcilier au second degré avec la gente carnivore, j'en suis même assez sûr... Pourquoi ? Parce qu'ils n'y comprendront rien. À fréquenter toutes sortes de gens, j'ai noté que c'était chez les viandards qu'on enregistrait non seulement le plus de pathologies et de mortalité précoce, mais aussi la plus forte proportion d'abrutis. Cruauté et connerie marchent de pair, c'est bien connu, c'est même une tradition. Et il faut respecter les traditions. Toutes !
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