Débat du 2 mai : démocratie ou télécratie ?
A la veille des discours des deux candidats devant les chaînes de télévision de TF1 (les deux candidats seront sur la chaîne dans « Face à la Une » : le candidat de l’UMP mercredi à 20h10 et la candidate socialiste jeudi soir) et sur France 2 (Arlette Chabot, directrice de l’information de la chaîne, reçoit successivement Ségolène Royal mercredi soir à 20h50, après le journal télévisé, et Nicolas Sarkozy jeudi soir à la même heure), à la veille du face-à-face tant attendu entre les deux candidats (le 2 mai) dont nous devons craindre qu’il ne servira qu’à apprécier la qualité de la rhétorique de ces deux champions, une question se pose : pourrons-nous échapper à la force des images, des mises en scène ? Arlette Chabot joue des coudes pour ne pas laisser la place à l’hypermédiatique PPDA, lequel feint de n’agir que dans l’intérêt du débat... Mais au fond, ne nous laisserons-nous pas piéger par la force des images produites par cette « télécratie » ? Et ce débat servira-t-il la démocratie ?
Pourrons-nous inventer une nouvelle forme de démocratie plus participative comme l’appellent de leurs vœux certains à l’encontre des pièges et impasses de la démocratie d’opinion, dont les sondages donnant l’illusion d’une démocratie directe ?
Dans un article fort pertinent, Yves Sintomer, professeur de sociologie dans le département de science politique de l’université de Paris VIII, pose clairement le débat en nous rappelant que des dispositifs en ce sens se sont multipliés en Europe et dans le monde au cours des deux dernières décennies. Pourquoi la France y resterait étrangère plus longtemps ? Au motif que cette nation - qu’il nous faut tant vénérer ces jours-ci au risque d’être mis au ban - a été l’une de celles qui posa les jalons de la démocratie moderne en inventant la démocratie représentative ?
Pour alimenter ce débat, on pourra ainsi se pencher sur les réponses posées à Bernard Stigler, docteur de l’École des hautes études en sciences sociales et actuellement directeur du département du développement culturel au Centre Georges Pompidou, lequel parle de « télécratie » et nous invite à ce « que le monde industriel apprenne à produire autre chose que du CO2 ». De son côté, Philippe Merlant nous rappelle que notre démocratie représentative est le fruit d’un compromis entre deux conceptions, a priori opposées, issues des débats âpres de la Révolution française et qui opposèrent les démocrates, nostalgiques de l’agora athénienne, et les tenants de la représentation, processus par lequel le peuple délègue sa souveraineté à des représentants. Si on ne veut pas que ces idées demeurent à l’état de « gadget à la mode », on retiendra avec Roger Sue, sociologue (Roger Sue est professeur à la faculté des sciences humaines et sociales, université Paris V - Sorbonne), que « prendre la démocratie participative au sérieux et au pied de la lettre peut donner un tout autre sens à la politique » et conduire à un nouveau projet politique. Avec Internet et le développement des nouveaux médias, « une nouvelle organisation du pouvoir politique est en train d’émerger ». Telle est la prise de conscience à laquelle nous invite Véronique Kleck, secrétaire générale de l’association VECAM. Cette prise de conscience, les candidats à la présidentielles l’ont délibérément évitée en refusant de se mettre à disposition des citoyens dans le cadre d’un vrai débat avant le premier tour. (Voir à ce sujet ici, là et là et encore là ...). Il est certain que l’avènement et le développement, encore timide à mon sens, d’une conscience collective sur Internet imposent aux hommes et femmes qui souhaitent exercer des responsabilités politiques de premier ordre, ou même au niveau local, de modifier leurs comportements. Enfin, on trouvera le temps et surtout l’énergie d’aller encore plus avec Jean Zin lequel nous propose de nombreux liens que je vous laisse découvrir ...
Voilà un débat sur les valeurs qui mériterait d’être posé au moment où les Français ont montré tant d’intérêt pour la vie politique ! Au moins voilà une valeur positive qui laisse la place à l’espoir... au contraire de valeurs dont on voudrait nous faire les apôtres et qui n’ont d’autre fondement que le rejet et la peur de l’Autre avec les conséquences que l’on connaît. La profanation de cimetières - quoi de plus « sacré » que les morts ?! - juifs, musulmans, puis chrétiens, en moins d’une dizaine de jours sur fond de campagne électorale ne doit-elle pas interroger ceux qui portent ces valeurs de repli sur soi et sur une identité nationale qui n’est autre qu’un mythe que l’on agite comme un chiffon rouge ? Même si ces actes ont eu souvent des antécédents, il est manifeste que rien n’est fait pour apaiser ce climat de haine que d’aucuns interrogent non sans malice.
Alors ce débat du 2 mai, nous serons nombreux à le regarder, les
rues seront calmes et apaisées, mais la démocratie sera-t-elle sortie
grandie pour autant ? Nous faisons bien de nous insurger contre le
caractère non démocratique des élections dans tel ou tel pays (exemple
récent au Nigéria), cela nous évite de prendre conscience que les
limites qui nous sont posées ici sont certes plus douces, plus
humaines, mais il n’empêche que le 2 mai au soir, je ne pourrai
parler qu’à ma télévision. C’est cela la "télécratie"...
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