Démocratie : combat pour un mot !
Il est des mots qui, à force d'utilisation à tout va, perdent tout leur sens. « Démocratie » en est aujourd'hui l'exemple parfait.
Non, la possibilité de changer de smartphone tous les ans n'est pas un droit démocratique.
Non, la liberté de pouvoir consommer les plus débiles et abrutissantes émissions de télé-réalité n'est pas constitutive d'une démocratie.
Non, autoriser aux couples homosexuels l'achat du tout nouveau bébé soldé sur Monbébéindien.fr ne garantirait en rien le caractère démocratique d'une société.
Non, la privatisation des services publics ne constitue en rien un pas en avant vers plus de démocratie.
Non, l'ouverture totale des frontières, la libre circulation des marchandises et des personnes ne sont en rien des conditions préalables à l'existence d'une démocratie.
Non, l'abolition de la peine de mort ne confère aucun pouvoir politique supplémentaire au citoyen et n'améliore pas le caractère démocratique d'un système politique.
Oui, un régime démocratique peut : nationaliser des banques et des industries, retirer les médias des mains des financiers et autres vendeurs d'armes, décider de soustraire à la logique du marché la sécurité, la santé et l'éducation, punir les représentants du peuple pour trahison lors de la reddition des comptes, condamner à mort les criminels les plus dangereux etc etc etc...
La démocratie est l'autre nom de la souveraineté du peuple. Or, à force de rabâchage à tort et à travers dudit précieux mot, opéré par la cohorte d'éditorialistes-politicards-journaleux, il tend de plus en plus à perdre son sens pour devenir ce mot étrange, ce mot qui semble désigner notre propre modèle de société.
Ainsi, dans la bouche de tous ces collaborateurs du Pouvoir, « Démocratie » ne signifie plus « pouvoir au peuple », ou « souveraineté populaire », mais semble être le nouveau nom de cet Empire du Bien représenté par nos « sociétés modernes occidentales », autrement dit, le nouveau mot pour nous désigner nous-même, nous les occidentaux modernes qui aurions trouvé – à travers notre économie de marché, notre libéralisme économique absolu, mais aussi à travers notre individualisme égoïste et notre égalité pourtoussisme – le modèle de société idéal.
L'exemple de la peine de mort synthétise à merveille cette dangereuse déviance.
Les « dominants du moment » nous expliquent ainsi que l'abolition de la peine de mort est l'une des caractéristiques de notre belle « Démocratie », tout en nous rappelant à d’innombrables reprises qu'un référendum sur le sujet mettrait en danger ce formidable « acquis social », ferait vaciller les fondements même de notre « Démocratie ».
C'est donc au nom de notre « Démocratie », cet Empire du bien occidental, que les élites assument un déni démocratique. C'est au nom des « valeurs de notre Démocratie » que l'oligarchie assume la négation de la démocratie, la négation de la souveraineté du peuple.
Il ne s'agit nullement ici de prendre parti pour la peine de mort. Mais cet exemple est emblématique de la déviance actuelle ; employé à tort et à travers, le mot « démocratie » perd tout sens, et, comble absolu, sa nouvelle signification – « Démocratie » comme axe du Bien, modèle de société idéale reposant sur ces deux piliers fondamentaux que sont l'individualisme et la consommation – vient s'opposer frontalement au sens originel.
C'est également au nom de la « Démocratie » - axe du Bien – que les USA lancent leurs guerres impériales, s'essuyant les rangers sur les souverainetés des peuples qu'ils envahissent et causant accessoirement la mort de millions de civils.
Alain Gérard Slama : « les deux valeurs cardinales sur lesquelles repose la démocratie sont la liberté et la croissance. » (1)
Ce talentueux collaborateur reconnu du Pouvoir nous livre ainsi sa lucide définition de la « Démocratie ». Pas question de souveraineté populaire donc, ni de « gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple » ; mais une définition de cette « Démocratie » comme axe du Bien, ce modèle de société libérale où liberté (De quoi ? D'avoir trois télévisions, deux portables et quatre ordinateurs, OU, liberté de ne pas mourir de froid comme un chien dans la rue, comme 400 SDF chaque année en France ?) et individualisme, croissance et consommation, forment les nouvelles valeurs « démocratiques ».
Il est donc temps de dire NON. Non, nous n'acceptons pas ce revirement sémantique, cet enfumage de vocabulaire. Avant qu'il ne soit trop tard. Avant que le réel sens du mot « démocratie » soit entièrement délocalisé dans le signifiant de « populisme » et assimilé ainsi à du demi-fascisme.
Ce combat est d'autant plus urgent que nous sommes déjà sur la voie de la défaite et que le remplacement progressif du mot « démocratie » par « populisme » est déjà en marche.
Ce combat pour la démocratie, ou du moins pour plus de démocratie, est donc d'abord un combat sémantique, un combat de mots. Évidemment, il ne garantira en rien l'avènement d'un régime démocratique – ce combat ne remplacera pas, bien sûr, tout le militantisme nécessaire pour espérer qu'un jour naisse cette révolution démocratique : ateliers constituants nécessaires pour nous réapproprier l'écriture de notre constitution, expériences démocratiques au niveau de la commune etc – mais il constitue la base, le socle nécessaire sur lequel pourra s'appuyer ce combat plus général.
Il est donc de notre responsabilité de refuser ce mot, quotidiennement, lorsqu'il est utilisé pour désigner cet axe du Bien et non plus la souveraineté populaire.
Reprenons et corrigeons les journalistes qui nous interrogent, reprenons les responsables politiques locaux, reprenons nos amis, notre famille, qui sont amenés, de plus en plus, à véhiculer cette IMPOSTURE lexicale.
Ne nous laissons pas voler ce mot.
(1) Citation tirée de l'excellent essai L'empire du moindre mal du non moins excellent Jean-Claude Michéa.
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