• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Ecole et rupture technologique

Ecole et rupture technologique

Alors qu’elle est souvent réduite à des considérations idéologiques, la crise de l’école peut également être vue comme un changement radical des conditions technologiques qui façonnaient sa structure depuis sa création.

Dans l’histoire humaine, la connaissance en tant qu’ensemble d’informations a pour premières caractéristiques sa difficulté d’accès et de traitement, et ce pour des raisons matérielles. En effet, ses enregistrements prennent la forme d’objets concrets, les livres, qui sont donc exclusifs et rivaux, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être utilisés que par une personne à la fois et qu’il est possible d’en empêcher l’accès à certains, du fait notamment du coût de la production de copies supplémentaires. Les propriétés de ces supports rendent également très difficile le traitement de l’information, car ils sont essentiellement adaptés à une consultation linéaire, une lecture du début à la fin, qu’à des recherches ou des structurations différentes, et que ces opérations doivent être exclusivement humaines.

Ce sont ces conditions techniques qui structurent la figure du maître dans notre enseignement traditionnel. S’il n’est plus celui qui détient directement la connaissance sous forme orale, il constitue la porte d’entrée vers la bibliothèque : son savoir préalable sur la culture classique qui y est entreposée, par lecture, compréhension et mémorisation, est ce qu’il fait qu’il est à même de savoir dans quels textes chercher les informations nécessaires, les éléments pertinents, et comment les articuler entre eux.

La révolution informationnelle réside dans le changement de l’objet porteur des enregistrements de la connaissance pour un autre dont les propriétés sont différentes ; il s’agit simplement d’un changement de technologie de stockage de l’information.

Aujourd’hui aucune des anciennes caractéristiques de la connaissance ne subsiste, avec ce que l’on appelle les technologies de l’information et de la communication : les enregistrements sont non rivaux et non exclusifs, c’est-à-dire qu’ils peuvent être utilisés librement par un nombre illimité de personnes en même temps sans coût supplémentaire par nouvel utilisateur, et supportent des traitements automatisés qui permettent l’accès non linéaire, comme la recherche et les liens hypertextes.

Le changement est fondamental : ce n’est plus le professeur, mais l’ordinateur qui est la porte d’accès vers la bibliothèque de toutes les connaissances, avec des compétences requises très réduites. Pour accomplir le même type de tâches qu’auparavant, c’est-à-dire chercher et articuler l’information, les individus n’ont donc plus besoin de cet intermédiaire et du long effort de formation qu’il propose.

Un simple principe d’efficacité rend donc le professeur qui en reste à sa tâche traditionnelle aussi obsolète qu’un char à bœufs face à un camion.

Cependant, l’intérêt direct des professeurs et des intellectuels étant la défense de la valeur de leur capital culturel existant, il est normal qu’on les voit s’opposer à cette révolution, la plupart du temps avec le même argument de stylisation aristocratique : de même qu’on ne se bat pas de la même façon avec un sabre et un fusil d’assaut et que cela ne requiert pas la même quantité de compétences, on ne manipule plus la connaissance avec la même préciosité que lorsqu’elle était quasi impossible d’accès.

Toujours est-il que ce mouvement est matériellement inévitable. La crise de l’école et les crispations qui l’entourent m’y semblent totalement liées. Le système éducatif devra donc de toute façon être repensé dans son ensemble en tenant compte de ces éléments.


Moyenne des avis sur cet article :  3.2/5   (20 votes)




Réagissez à l'article

10 réactions à cet article    


  • Céphale Céphale 1er juillet 2008 14:12

    Je vous invite à réfléchir sur votre proposition : "la connaissance en tant qu’ensemble d’informations".

    La connaissance n’est pas un ensemble d’informations. Henri Poincaré, illustre ingénieur des Mines, a écrit : "un ensemble d’informations n’est pas de la connaissance, de même qu’un tas de pierres n’est pas une maison".

    Partant de là, vous comprendrez que l’ordinateur n’est pas une porte d’accès à la connaissance, mais seulement une porte d’accès à l’information. Le professeur a le rôle irremplaçable d’aider l’élève à construire sa propre connaissance à partir de l’information.

    Voir Shewhart en pdf sur http://www.fr-deming.org/francais.html


    • Christophe Christophe 1er juillet 2008 15:39

      @Céphale,

      La connaissance n’est pas un ensemble d’informations. Henri Poincaré, illustre ingénieur des Mines, a écrit : "un ensemble d’informations n’est pas de la connaissance, de même qu’un tas de pierres n’est pas une maison".

      C’est l’un des premiers points que nous abordons dans les systèmes à base de connaissances. Ce sont les raisonnements sur les informations qui donnent naissance à de la connaissance ; un ensemble d’informations n’a, en soi, que peu d’intérêt si il n’est pas traité pour correspondre à une structure qui est réalisée en fonction des schémas mentaux qui sont à notre disposition (interprétation).

      Quant aux outils modernes, l’ensemble de l’information qu’ils permettent de mettre à diposition est énormément bruité. La structuration de l’information est capitale, encore faut-il savoir trier ce qui est structurant de ce qui ne l’est pas ; nous pourrions, dans la parabole de Poincarré, rapprocher l’information structurante au ciment, l’ordonnancement, ... permettant de faire d’un tas de pierres une maison.

      Quant à la strucuturation, elle s’intègre dans le flux de l’expérience individuelle ; comme l’exprimait Levi-Strauss, on classe comme on peut, mais on classe. Le principe étant de reconnaître les discontinuités vitales que nous percevons, individuellement, dans le monde qui nous entoure. D’après Quine, c’est la meilleure méthode qu’ait trouvé l’homme pour insérer des connaissances dans le flux de l’expérience.


    • TEO TEO 2 juillet 2008 11:26

      Pour les sciences de la Cognition et de l’Action, la connaissance c’est rien d’autre que de "l’information stockée en mémoire à long terme".
      Si toute information n’est pas connaissance, toute connaissance est information. Comme l’écrit Christophe, "ce sont les raisonnements sur les informations qui donnent naissance à de la connaissance" . Oui ; ou plus largement, certaines opérations cognitives et/ou sociocognitives intervenant sur les informations font conférer à certaines la "dignité" d’être stockée à long-terme en mémoire ... "personnelle" et/ou "collective".
      Pour en finir avec cet aspect, des relations ascendantes et descendantes existent entre informations et connaissances. Un ensemble de connaissances peuvent finir par constiuter un "paradigme" au sein duquel l’émergence et la perception de certaines informations (et pas d’autres) est facilitée ; et circulairement, certaines informations sélectionnées suivant diverses modalités sont considérées comme des connaissances que leur redondance, cohérence etc. peuvent constituer en paradigme... etc.. etc...
      Ces mises au point sommaires devraient nous éviter de perdre du temps sur des aspects somme toute marginaux de cet article.
      Revenons si vous voulez bien au coeur de l’article : une révolution technologique en cours (bien avancée) rendrait obsolète la tâche traditionnelle du professeur vieille formule et imposerait que le système éducatif soit repensé... pas jeté avec les profs.... repensé


    • TEO TEO 2 juillet 2008 14:41

      Nota. Evidemment dans cette acception de "connaissance", l’information plurimillénaire : "le soleil tourne autour de la Terre", n’est pas moins connaissance que celle pluriséculaire "la Terre tourne autour du soleil"...


    • Christophe Christophe 1er juillet 2008 16:02

      @L’auteur,

      Aujourd’hui aucune des anciennes caractéristiques de la connaissance ne subsiste, avec ce que l’on appelle les technologies de l’information et de la communication : les enregistrements sont non rivaux et non exclusifs, c’est-à-dire qu’ils peuvent être utilisés librement par un nombre illimité de personnes en même temps sans coût supplémentaire par nouvel utilisateur, et supportent des traitements automatisés qui permettent l’accès non linéaire, comme la recherche et les liens hypertextes.

      Les caractéristiques entre données, informations et connaissances subsistent, là n’est pas le problème ; il est plutôt dans l’amalgame qui est fait entre ces trois catégories d’éléments qui circulent dont votre propos met en évidence le manque de sens que portent les termes, ou du moins les glissements sémantiques qui sont fait pour faire croire que tous ces concepts sont de nature indifférente.

      Ce que l’on appelle les technologies de l’information et de la communication ne sont pas si communicationnelles que cela ; il ne suffit pas d’aligner des termes comme on enfile des perles pour laisser croire que nous transmettons de l’information et que nous communiquons. Mais il est vrai que nous n’avons pas peur des tautologies ; nous sommes dans une société de communication ; même si nos sociétés n’ont jamais autant souffert du manque cruel de communication !

      Quant au traitement automatisé, certes, la croyance populaire veut que nous puissions enfin avoir des accès intelligents à la connaissance par ces nouveaux outils communicationnels. Nous pouvons placer les heuristiques que nous voulons, les calculs probabilistes ne permettent pas de donner du sens ; tout juste peuvent-elles donner de la pertinence syntaxique et de connexité terminologique déterministe, mais nullement un traitement sémantique réaliste.

      Dans votre phrase, on nage plus dans la croyance que dans la connaissance des problèmes à résoudre.

      C’est vrai qu’il existe des outils que nous pourrions juger pertinents. Mais où se situe leur niveau de pertinence au regard d’un raisonnement humain. Mais c’est sans doute à ce niveau que votre raisonnement est faussé, permettant des amalgames entre données, informations et connaissances. Pourtant, votre paragraphe traitant de l’enseignant qui sait commun s’articule l’information devrait vous alerter. Car c’est ainsi que se forge la connaissance ; l’articulation de l’information qui nous parvient au sein des connaissances que nous avons ou que nous allons acquérir.


      • Guizmo 2 juillet 2008 10:19

        Pouvez-vous m’expliquer en quoi nous souffrons à l’heure actuelle plus que jamais d’un manque d’informations ? Voulez-vous dire par là que le fait de recevoir une masse beaucoup trop importante d’informations fait qu’au final nous ne recevons pas d’informations ?
        SI c’est ca, je ne partage qu’à moitié votre opinion, il est vrai qu’on peut voir ca comme ca, mais je pense qu’il faut prendre du recul et se dire que tout de même, la France a mis un mois à savoir que Napoléon était mort..... nous avons aujourd’hui la possibilité de choisir notre information de manière à être bien informés, ce qui constitue un progrès formidable dans l’Histoier de l’Humanité à mon avis.


      • Guizmo 2 juillet 2008 10:20

        l’Histoire*, pardon.


      • Christophe Christophe 2 juillet 2008 11:05

        @Guizmo,

        Le fait d’être noyé dans un flux très important d’informations est l’un des facteurs ; si je suis d’accord avec vous sur la disponibilité plus rapide de l’information, la volumétrie de l’information qui circule ne permet pas à tout le monde de pouvoir faire un tri pertinent. C’est ce que nous appelons le bruitage lorsque nous parlons de l’information.

        Le plus important est l’information structurante, celle qui donne du sens. Dans tout discours, pour ceux qui ont étudié les approches sémiotiques, linguisitiques, ... l’essentiel d’un contenu d’un message est la part qui permet de faire le lien avec les concepts qui sont la représentation du monde au niveau de la pensée. L’information structurante ne représente qu’une toute petite partie d’un message, mais c’est pourtant celle qui oriente fortement le sens du discours.

        D’autre part, lorsque nous abordons la communication, nous constatons que l’information explicite est certes importante, mais dans le processus communicationnel, il existe toujours une part d’implicite qui est dépendante de la culture du locuteur. L’ouverture vers un monde plus ouvert nécessite, si nous souhaitons que le message transmis soit bien interprété (le principe de communication consiste, pour un locuteur de faire en sorte que son interlocuteur comprenne le message qu’il passe, non qu’il interprète à sa façon, même si il existe toujours une part de l’interprétation qui n’est pas partagée) une compensation de l’incommunicabilité existante dans tout message.

        Le fait d’émettre des discours à un public nombreux sans fournir de sens précis aux concepts échangés (rattachés à des termes) conduit innexorablement vers des glissements sémantiques tels que nous les constatons aujourd’hui. En fait, une perte de rationalité dans le principe même de communication ; chacun utilisant les mêmes termes mais dans des sens différents.


      • TEO TEO 1er juillet 2008 17:40

        Il est simplement magnifique, votre article ! Vous exposez de façon lumineuse cette profonde révolution que beaucoup ne peuvent et/ou ne veulent pas voir. 
        Cependant, je nuancerais votre propos sur un point : je ne pense pas que soient "très réduites" les compétences requises pour accéder à la bibliothèque des connaissances que contitue l’Internet et ses futurs développements. Au contraire ! La profusion, la qualité inégale des données, informations, connaissances... rendent DECISIVE la capacité de chercher, trouver, distinguer, tirer le bon grain de l’ivraie. En somme, les compétences en matière de "critique" deviennent capitales. Plus que jamais, la nouvelle donne impose de former des "têtes bien faites", plutot que d’illusoires et stupides "têtes bien pleines".

        La question qu’à titre personnel je me pose est celle-ci : à quel point le développement de ces compétences critiques est-il compatible avec l’autoritarisme brutal, poujadiste et la sujetion à l’ordre moral et social que nos concitoyens attendent de plus en plus de l’Ecole... Cela d’ailleurs pour de toutes autres raisons : le sentiment de déconfiture nationale et la peur de l’avenir.

        Dans tous les cas, votre article est magnifique !


        • Rosemarie Fanfan1204 5 juillet 2008 15:30

          Joyeux pinguoin, article intéressant. Dans votre dernier paragraphe vous évoquez la crise de l’école, êtes-vous certain que cette crise est liée aux nouvelles technologies de l’internet ? l’école va jusqu’au CM2 pour moi, après c’est le collège, le lycée, la fac....Pour toutes ces étapes, la "porte d’entrée" de l’instituteur, du professeur est indispensable pour permettre à l’élève d’acquérir la connaissance. Bien sûr, plus celui qui reçoit l’enseignement grandit en âge, plus son autonomie grandit (enfin devrait) pour acquérir par lui-même un savoir complémentaire. Mais j’ai du mal à imaginer qu’un étudiant au-delà du BAC puisse réellement acquérir des formations supérieures sans l’accompagnement et l’expérience professorale.

          La crise de l’école est un autre problème.
          Et d’accord avec Christophe. Trop d’information tue l’info. Et avoir une bibliothèque à côté de chez soi ne rend pas studieux ... dommage pour certains.
          Bonne continuaiton.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès