Eléments pour une nouvelle « Psychologie des foules »
Quand on veut parler des comportements de foule on se réfère toujours à Gustave Le Bon. Ce qu'il écrit est assez vrai mais est surtout de l'ordre du sentiment et d'une sorte de condamnation morale plus que de l'analyse de son fonctionnement. Or c'est ce plan qui serait plus utile et qui manque réellement. Comme il ne suffit pas de critiquer sans rien proposer je préfère quant à moi, en tant que psychologue, esquisser ce que pourraient être les grandes lignes d'une analyse de ce fonctionnement des foules en mettant en avant les grilles et concepts suivants :
ELEMENTS POUR UNE NOUVELLE « PSYCHOLOGIE DES FOULES »
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L'analyse des organisations avec notamment la problématique d'Eugène Enriquez sur les groupes et organisations (De la Horde à l'état Gallimard) et « La problématique du changement ». il y indiquait que « Les individus, groupes, organisations fonctionnent plus dans le registre de l'imaginaire que sur celui du réel ». C'est-à-dire que ce sont les mécanismes de l'inconscient qui sont aux manettes : sentiments-stéréotypes sociaux, pulsions et besoins primaires, abaissement du refoulement (sentiment de toute-puissance) avec dissolution des valeurs au profit du sentiment de violence-justice par soi-même, phénomènes d'action-réaction bruts (compensation, « justice » immédiate, vengeance, etc.), phénomènes collusifs d'étayage et de renforcement, (effet normatif réducteur, « mauvais objet » désigné) etc.
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Les explications-analyse de René Girard sur les phénomènes de crises d'indifférenciation (quand le groupe ou la société a peur, perd son sentiment d'identité, etc.), phénomènes de rivalités mimétiques entre personnes ou groupes (phénomènes de bandes, gangs, partis politiques, entreprises concurrentes, etc.), phénomènes de bouc émissaires (racismes, antisémitisme, dépréciations-rejet de minorités sexuelles, etc.), meurtres collectifs (lynchages, pogroms, éliminations de catégories sociales ou professionnelles, génocides, famines organisées, etc.).
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Dimension de l'inconscient collectif : cet inconscient n'est pas pérenne mais comme chez l'individu (puisqu'il est partie intégrante de son ego), il est au contraire temporaire (de momentané pendant l'état de foule à persistant même en l'absence de foule constituée) ; mais est doté du sentiment de toute-puissance et du sentiment impérieux de se faire justice par rapport à une injustice (cas des foules-manifestations de revendication économique ou politique) ou besoin de sur-affirmation de son identité : supporters de sports collectifs en foule sur gradins, mais aussi à l'échelle individuelle : les personnes seules ou en petits groupes peuvent avoir le même comportement de collusion avec leur groupe de référence, de soutien inconditionnel et de mauvaise foi ou déni de réalité.
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Le fonctionnement de l'inconscient proprement dit : il est le même que celui qu'on observe dans le phénomène dit de « Rumeur » et que l'on peut recréer en stage de formation sur la vulnérabilité de la communication : on y voit le message se déformer selon des « lois » qui ne sont pas anecdotiques ou limitées à la déperdition de la communication orale. En effet elles sont à l'oeuvre dans l'élaboration des productions de l'inconscient, puisque ce sont les mêmes qui produisent : actes manqués, lapsus, rêves, transferts, etc. Ce sont :
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Cristallisation : focalisation sur un « objet » matériel ou immatériel (idéologie, religion, « concept », image, etc.), ou personne (leader, gourou, chef dit charismatique, tout autant que bouc émissaire, individus ou groupes rejetés,, etc.)
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Réduction du message certes, amis aussi du raisonnement : simplisme, plus petit commun dénominateur, « causalité » primaires et supposées devenant « sûres », bruits accrédités, etc.
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Inversion : renversement en son contraire : l'agresseur devient l'agressé, le fautif la victime, l'exploiteur l'exploité, etc. Mais aussi le cours des événements peut être inversé, les quantités, etc. On observe aussi des glissements sémantiques de termes-représentations proches mais qui peuvent être lourds de conséquences en un à deux glissements.
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Accentuation du ressenti : le « fait » (à supposé qu'il soit exact ou qu'il y en ait eu un) est accentué, grandi, monté en épingle même sans volonté manifeste de déformation.
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Défense : individu, groupe, foule ont toujours tendance prioritairement à se défendre c'est-à-dire à justifier leur comportement, les raisons qui les ont poussé à agir et même à se tromper (affaire Dreyfus, justifications-négations du réel de la part des entreprises polluantes, « raison d'état » pour les dirigeants, etc).
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Voilà les éléments que l'on peut privilégier pour rendre mieux compte, à mon sens, des phénomènes de foule. Il reste à les développer. On les retrouve, accentuées, dans ces manifestations d'exacerbation temporaires ou durables, que sont les fanatismes qu'ils soient religieux ou non. N'oublions pas que religion et fanatisme (malgré l'étymologie) ne sont pas obligatoirement liés, le nazisme et le communisme nous l'ont prouvé.
J. Laffitte
Pour une analyse approfondie du phénomène fanatique sous l'angle psychologique et de groupe, voir mon livre sur le fanatisme « Mais...Comment peut-on être fanatique ? » Ed° L'Arbre aux Signes 2012. Site : http://arbreauxsignes.com/
Site perso : http://www.spiritualite-libre.com/
D'autres éléments sur mes Curations sites :
ScoopIt (sorte de blog d'articles sélectionnés par moi) : http://www.scoop.it/t/spiritualite-mythes-psychologie
Pearltrees : arborescence de textes et autres éléments choisis : Religions.Spiritualités. Psychologie : http://www.pearltrees.com/#
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