En réponse à l’article « Avec la SNCF, tout est possible... »
Sur le fond, vous avez évidemment raison : la hausse du prix des transports ferroviaires pénalise ceux que vous appelez encore « les usagers », en pleine crise du pouvoir d’achat. Une évolution étonnante, alors qu’il faudrait, au contraire, aider à la protection de l’environnement en offrant des solutions alternatives à la route. Néanmoins, votre démonstration ne va pas au bout de sa logique et de la problématique actuelle de la SNCF. Je me permets donc quelques précisions.
Réponse à "Avec la SNCF, tout est possible..."
A PROPOS DU CALENDRIER
Revenons d’abord à votre exposé. Pour être objectif, il faut déjà présenter toutes les facettes du nouveau calendrier. Oui, il y a globalement plus de zones blanches. Mais il y a aussi une nouvelle période de réduction : les départs le lundi matin sont en période bleue à partir de 8 heures au lieu de 10 heures actuellement. Ensuite, il faut relativiser l’impact réel de ces changements de périodes.
Je vous cite :
« Les voyageurs occasionnels verront leur billet augmenter de 33 %. »
C’est plutôt inexact : ce type de voyageurs paye déjà le plein tarif. Et il continuera à le payer, même s’il est rebaptisé « tarif normal ». Le fait de passer d’une période bleue à blanche ne modifie pas le prix du billet pour quelqu’un qui n’a ni carte ni avantage. De plus, pour les porteurs de cartes commerciales, le prix du billet ne peut pas augmenter de 50 %, mais au maximum de 25 % (puisque n’importe quelle carte donne 25 % de réduction en période blanche). Cette hausse est déjà énorme, nous sommes d’accord.
« Ce qui revient à pénaliser les travailleurs et aussi les jeunes. Et de ce fait condamne les étudiants à ne plus avoir de demi-tarif. »
Là encore, il faut préciser : vous êtes un travailleur qui prend tous les jours le train ? Vous avez donc un abonnement qui applique une réduction quelle que soit la période. Sinon, cela est juste infaisable, sauf à passer tout son salaire dans le train. Idem pour les étudiants : par abonnement, ceux-ci ont un accès libre aux trains sans réservation. Les abonnements ne sont pas concernés par les périodes. Restent les personnes titulaires de cartes concernées et les voyageurs dits « occasionnels », nous y reviendrons.
Le calendrier ne concerne que les trains Corail, Inter Cités ou Trains Express Régionaux (TER). Le problème est nettement plus fort pour les TGV et autres trains à réservation obligatoire. Les TGV ne sont pas exposés aux périodes bleues/blanches. Mais aux périodes dites « de pointe » ou « normales ». Et, sur ce point, oui, on peut parler d’une augmentation masquée des prix caractérisée.
Pourquoi ? Prenons un lundi du mois de juillet. C’est-à-dire un jour de semaine pour les gens qui ne partent pas en vacances. Sur une vingtaine de TGV, seulement deux sont en période normale, tard le soir. Dans ce cas de figure, le consommateur n’a pas le choix. Il ne s’agit plus d’orienter les clients vers des heures moins chargées pour harmoniser les flux de voyageurs. Il s’agit de faire en sorte que tout le monde paye le prix fort, sans pour autant que le nombre réel de places restantes dans le train soit véritablement pris en compte. Enfin, l’information au sujet de ces périodes a disparu, puisque les guides horaires qui affichaient celles-ci ne sont plus imprimés ! Au final, seuls quelques chanceux auront des places dites « discount de dernière minute ».
La SNCF a annoncé l’augmentation sensible du nombre de ces périodes de pointe. Il est fort à parier que, dans quelques temps, d’autres périodes verront le jour, par exemple, une « super pointe », une « hyper pointe », etc.
UN SYSTEME OPTIMISE
Les Français trouvent ce système compliqué. Il est en fait calculé par de savantes équations pour être le plus rentable possible. Plus les niveaux de prix sont nombreux, plus les paramètres de modification de la base des prix sont nombreux. Plus la possibilité d’organiser l’offre et la demande est ramifiée, plus elle est à l’avantage du prestataire de service. Pour l’avion, c’est pareil.
Ceux qui ont une carte commerciale verront donc s’appliquer une multiplicité de pourcentages différents selon l’anticipation de la réservation, l’heure de voyage, etc. Le nombre de places vendues au meilleur pourcentage est modifiable... Comme le nombre de « Prem’s » vendus (prix d’appel). Des associations de consommateurs s’en sont émues. Leur parole est, elle aussi, peu relayée par les médias... Nous avons affaire à une mise en cause de contrat entre un client et une entreprise. Nous sommes bien éloignés du service public...
Vous vous offusquez de la disparition du tarif découverte en période blanche. Vous avez encore raison. C’est tout à fait vrai, mais, depuis le 7 octobre 2007, le « découverte 12-25 » (tarif réduit sans carte) a disparu de TOUS les TGV et trains à réservation obligatoire. Même pour les Corail, le « découverte séjour » (aller-retour réduit) a purement et simplement disparu. Devant les contestations des consommateurs, un tarif « Loisir Week-end » (même principe, mais plus contraignant dans ses conditions) a été de nouveau mis en place.
C’est le départ d’une « privatisation des offres ». Chaque entreprise aura sa grille tarifaire et ses offres. Au client de comparer. Cela s’appelle le marché, rien de surprenant.
PREPARATION A LA PRIVATISATION : SE METTRE A L’HEURE EUROPEENNE
Vous parlez ensuite de la « SNCF » qui déciderait ainsi d’augmenter unilatéralement les prix de ses services. En fait, l’augmentation tarifaire était prévisible pour correspondre à la libéralisation du marché des transports. Elle durera jusqu’en 2011-2012, jusqu’à la privatisation complète de la SNCF. Si cette dernière l’est d’ailleurs déjà dans les faits (organisation de l’entreprise), les tarifs doivent quant à eux quitter la sphère du service public pour répercuter le coût réel du transport en train. Ce qui n’était pas le cas : l’Etat subventionnait largement. « L’usager » devient peu à peu « le client ».
On peut s’étonner de l’augmentation des prix, de la multiplication des « périodes blanches », mais la problématique n’est pas là : au niveau européen, la libéralisation des transports a été décidée il y a déjà de nombreuses années. Sa conséquence est l’abandon des services publics et la multiplication des prestataires privés de services et des offres.
Beaucoup se plaignent de la SNCF de manière générale. Elle a été pourtant garante d’un prix raisonnable pour tous. Quoiqu’en dise le gouvernement, il sera obligé par l’Europe de supprimer la Carte Famille Nombreuse, comme le tarif « Congé Annuel ». Puisqu’il sera interdit de subventionner.
Ceux qui affirment « une fois que le monopole de la SNCF sera achevé, les prix baisseront » ne doivent pas avoir à payer de facture de téléphone portable (cf. l’évolution du prix du coût des télécommunications)... Cela dépendra du « caractère » de la libéralisation mis en place : veut-on voir quelques grands groupes verrouiller un marché ou une multitude de petites entreprises prêtes à tout pour pratiquer des prix bas ?
- Le premier cas de figure est certainement celui qui se produira à moyen terme. Air France et Virgin sont déjà sur les rangs.
- Le second cas de figure, quant à lui, est-il compatible avec les exigences du transport ferroviaire (sécurité, entretien, ponctualité) ? L’exemple anglais est à ce titre significatif. Hausse exponentielle des prix, sécurité douteuse, confort faible.
Au moment où le chemin de fer redevient pour sa branche voyageur très rentable, les Français vont en perdre la propriété partagée. Mais ils en conserveront la dette : la réorganisation en vue de la privatisation a préalablement divisé la SNCF en deux. D’un côté, le Réseau Ferré de France (RFF), qui récupère la dette ; de l’autre la SNCF qui s’occupe du transport, elle-même divisée en une multitude d’entités prêtes à être privatisées (VFE, voyages-sncf.com, IDTGV, etc.). Seuls les transports régionaux resteront sous la direction des régions, qui devront payer pour s’équiper sans plus pouvoir profiter de quelque manière de la manne financière des TGV. De la logique d’un « nous », avec compensation des pertes sur les lignes en campagne parfois désertes grâce aux lignes à succès, on passe au principe du « je », avec individualisation des profits. Pour ceux qui habitent dans le Centre, ils prendront le bus, au mieux.
L’EXEMPLE DU PARIS-MARSEILLE
On nous explique que l’Etat ne peut plus s’occuper de ces activités. Que les sommes dépensées sont trop importantes. Il faudra de toute façon expliquer comment l’Etat compte rembourser la dette du RFF avec des péages (droit de passage des trains privés sur les voies) sans imposer des prix prohibitifs (qui se répercuteront donc sur le client) ou diminuer les coûts d’entretiens (ce qui se répercutera sur la qualité des voies). Ce qui est sûr, pour le moment, c’est que l’Etat garde la dette. Pas le jackpot. Bref, celui qui remboursera... c’est le contribuable, ce sont nos impôts. Mais sans les avantages en contrepartie !
La ligne Paris-Marseille, hyper rentable, servira donc des intérêts privés et rapportera de l’argent au privé. Pourtant, quelle entreprise privée aurait pris le risque financier de construire cette ligne ? Quelle entreprise privée aurait soutenu ce projet ? Aucune. Seul l’Etat pouvait créer ce projet, via un financement public à long terme en matière d’équipement public. Aujourd’hui, alors que le risque a été collectivement supporté, alors que la ligne rapporte, elle sera privatisée. C’est un choix politique.
C’est exactement le même schéma qui se produit actuellement avec le parc des centrales nucléaires en France. Alors que des générations et des générations de Français les ont payées avec leurs impôts, celles-ci seront privatisées. En pleine crise énergétique ! Il y a quelques années, ce fut la même chose pour les autoroutes. L’Etat a vendu une activité très rentable pour une misère.
FEU LE SERVICE PUBLIC
Que signifie « le service public » ? Lorsqu’on écoute les médias, cela ne rime plus qu’avec « grèves de cheminots », « fonctionnaires fainéants », « vivement le service minimum » (qui existe depuis des années, mais il est vrai qu’avant on ne l’annonçait pas au micro dans les gares...), « privilégiés », « trains en retard et en mauvais état », ou comme l’indique votre article, « train cher ». On peut au passage saluer le brio du gouvernement à défendre en la matière sa position politique. Du grand art en communication.
Pourtant, l’avantage donné à la collectivité, s’il a un coût, est censé être plus avantageux pour tout le monde. Il apporte des richesses, développe des entreprises. La ligne Paris-Marseille a changé la vie de centaines de milliers de Français. Les répercussions économiques sont infinies. Idem pour la ligne Paris-Strasbourg (pour être objectif, précisons que son financement a été cependant panaché).
Demain, les bénéfices ne serviront non plus à la collectivité, mais à des fonds privés, un actionnariat. Ce qui ne sera pas rentable sera toujours à la charge du contribuable. Qui continuera à se plaindre de voir son train régional en retard et en mauvais état, sans se poser les questions sur les raisons de cette dégradation. Les « usagers » se plaignent. Ils ont raison. Mais ils se trompent de cible.
« EDUQUER » L’USAGER, FUTUR CLIENT
La SNCF est, pour son activité voyageur, devenue une belle entreprise. Florissante. Mieux organisée. Des efforts immenses ont été faits. La productivité en vingt ans a connu une augmentation colossale. Mais les services de demain seront payants. Dans cette optique, l’entreprise ne cache plus sa volonté « d’éduquer » le client pour qu’il comprenne bien cette situation. Il devra en tout cas l’accepter, puisque étant politiquement silencieux ou inefficace : le « non » à l’Europe qui aurait pu susciter ce genre de questions a débouché sur un mini-Traité à l’identique, proposé par M. Sarkozy.
Au-delà des clivages droite-gauche, la décision de privatiser la SNCF, suite à l’acceptation de la vision européenne du problème, semble aller à contre-courant de l’Histoire. Alors que l’entreprise a été rendue plus efficace, dépensant moins, réussissant à être bénéficiaire, pourquoi cela devrait-il profiter à un actionnariat ou un fonds de pension et non à la collectivité tout entière ?
Se plaindre du pouvoir d’achat, c’est bien. C’est une thématique qui occupe tout l’espace médiatique. Mais pouvoir influer réellement sur les causes en tant que citoyen serait plus profitable. Pour le moment, c’est loin d’être le cas.
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