Entre Royal et Montebourg : mon dilemme pour un vrai socialisme
L'échéance des urnes approchant, les trois débats passés, l'heure dans cette primaire est au choix. J'ai eu l'occasion d'exprimer ici-même ma profonde adhésion au projet de civilisation que portait Nicolas Hulot avant d'être défait ; j'observe et attends depuis, le discours d'un homme ou d'une femme où puisse brûler suffisamment de volonté et de flamme pour que se lèvent du marasme un peu de révolte populaire et d'espoir. Que de tels mots semblent vides quand ils parlent de politique ! Quand cogne l'assourdissant tambour des désillusions : l'échec au lendemain de 1981, les promesses d'avenir oubliées, le politique dont on dit si volontiers qu'il ne peut rien... Ce tambour dont le bruit couvre toujours les voix de l'audace au profit des conservatismes, encroûte les peuples dans le fatalisme, la lassitude, et les laisse ternes et déliquescents assister à leur propre péril : écologique, social, démocratique, culturel, moral... Il est toujours difficile dans les ères de crise et de déclin de discerner ceux qui lutteraient vraiment de ceux qui ne font qu'orner de quelques beaux mots un attentisme lâche. Un critère aide cependant : les progressistes sont souvent ceux que les attentistes traitent d'archaïques ou de fous. Entendre ce refrain s'inviter au débat socialiste m'aura au moins raffermi sur ce point : s'il est un choix de changement parmi ces hommes et ces femmes, alors il se trouve entre Mme Royal et M. Montebourg.
J'aimerais tout d'abord évoquer le cas des autres candidats, dire à leur sujet quelles furent mes déceptions et mes réticences. Je commencerai par Jean-Michel Baylet, puisque j'ai réalisé après coup avoir eu l'indélicatesse de l'oublier dans mon dernier article. Bien que représentant d'un des plus anciens courants républicains et progressistes de notre histoire politique, ce monsieur n'a rien su porter de radical au débat socialiste : ni vision de la France, ni grande ambition pour sa souveraineté et son destin ; le plus souvent il s'est contenté, avec un flegme tout juste sympathique, d'énumérer ses bons sentiments sur quelques sujets de société sans commune mesure avec l'objectif de sortie de crise qu'exige la période actuelle.
Manuel Valls, dont il m'est arrivé parfois d'admirer la fougue et la sincérité, reste de ceux qui croient que le cours de l'histoire est univoque et que le progrès ne revient jamais sur ses pas. Mais l'histoire n'est pleine que d'oscillations et de soubresauts, et ce qui un temps fut le progrès devient le conservatisme à l'instant où il cesse de jeter au réel un défi permanent. Le libéralisme fut le progrès, aussi longtemps qu'il demeura cet idéal d'émancipation, de mérite et de création qui fendit l'étau des privilèges et rompit les digues de l'obscurantisme ; il est devenu l'ordre établi, dès lors qu'à trop grossir et à se corrompre, il en est arrivé à asservir des peuples et même des nations. Qu'a proposé Valls en fin de compte, sinon de maintenir à flot et à n'importe quel prix - au prix même de la soumission - un modèle économique devenu fou ? Ne promettons pas ainsi de protéger nos ouvriers, cela lesterait la compétitivité de nos entreprises ! Ne haussons pas exagérément le ton, cela pourrait inquiéter les marchés ! Puis ne parlons pas trop d'État, cela est archaïque. Après tout, demain nous pourrions être dégradés. Alors n'imaginons pas d'avenir, nous n'en avons plus les moyens... Plutôt que de moquer les « démagogues » et les « passéistes », peut-être ce monsieur aurait-il dû nous dire quelle promesse il apercevait encore à l'horizon de sa social-démocratie - cette imposture politique qui n'a freiné aucune avidité ni évité nulle part le désastre de la crise. Il est presque triste de voir tant de belle énergie gaspillée à rendre le statu quo indépassable, tant d'énergie à vouloir seulement rafistoler le présent plutôt qu'à imaginer l'avenir ; c'est qu'à trop en faire sa « vérité », on finit par oublier que le présent n'est que ce que déjà le passé rogne. Les grands réformateurs ne pensaient pas leur temps, ils pensaient le temps d'après.
Quant à Martine Aubry et François Hollande, je les citerai indistinctement. Non qu'eux-mêmes soient indistincts - chacun aura pu apprécier leurs différences d'expression et de caractère. Non que je mésestime leurs qualités individuelles - pas plus la précision intellectuelle de l'une que les talents oratoires du second. Mais l'inquiétude qu'ils m'ont tous deux inspirée et qui me ferait presque craindre l'éventualité de leur victoire tient à peu près aux même causes : le conformisme politique et le manque de vision. Car visionnaires, ils ne le sont pas. Et pourtant c'est ce dont plus que jamais nous aurions besoin. Par cette seule incantation vague et dépassée qu'ils n'ont eu de cesse de répéter, l'un et l'autre m'ont déçu : « le retour de la croissance ! » La sacro-sainte croissance. À l'heure où l'effondrement des ressources naturelles oblige mécaniquement le ralentissement de l'activité humaine ; à l'heure où des masses de produits inutiles saturent déjà le marché ; à l'heure où partout l'excès nous inonde l'âme et le cœur... il faudrait encore croître. Indistinctement. Inintelligemment. Est-ce bien sérieux ? M. Hollande et Mme Aubry ont-ils assimilé que les mécanismes de ce siècle ne seraient pas ceux du siècle précédent ? Parler aujourd'hui de réindustrialisation sans indiquer en même temps les secteurs où l'on veut réindustrialiser, parler de croissance sans se demander comment nous refonderons nos indicateurs de richesse, tout cela est d'une totale inutilité. Qu'espèrent-ils, au fond ? Arriver au pouvoir quand l'Europe frôle la récession, arroser le sable et voir toute cette belle machine se mettre en branle et se relancer au petit trot ? Si nous ne nous demandons pas avant d'investir quels sont aujourd'hui les besoins, quelles vont devenir les disponibilités de la demande et surtout quels secteurs d'activité nous devons soutenir en face, alors aucun retour à l'emploi ne se profilera. Les emplois aidés ne seront qu'une perfusion sans prise aggravant la dette, les prêts aux PME s'enliseront et tous ces discours ne seront suivis que d'une immense désillusion. Et cinq ans ne seront même pas nécessaires pour que se fassent à nouveau le lit de la droite et celui du Front National.
Royal et Montebourg, l'actualité du discours.
N'en restent donc que deux. Ségolène Royal d'une part, dont le projet - même balbutiant - envisage de réelles alternatives en matière d'investissement public et de secteurs d'avenir, et dont le propos parvient curieusement à dépasser les oppositions traditionnelles les plus féroces : entre État fort et liberté de création en entreprise, public et privé, solidarité nationale et responsabilité individuelle, indulgence et fermeté... C'est que Mme Royal est de ceux, bien rares, qui avec une certaine lucidité et un certain courage s'aventurent, à la mesure de leurs moyens, à reconsidérer le modèle dominant. Parce qu'ils ont assimilé, pour de bon, que la crise actuelle était profondément structurelle et que nous ne reviendrions pas à ce qu'il y avait avant. Rappelons-nous comme ils furent nombreux, ceux-là mêmes qui depuis si longtemps décriaient l'État, à monter au créneau pour chanter ses louanges au lendemain du krach de 2008. Ceux-là qui appelaient à refonder le capitalisme. Qu'ont-ils fait ? Rien. Et voilà que nous les retrouvons aujourd'hui, toujours aussi pétris de certitudes et incapables d'imagination, s'amusant arrogamment de ceux qui essaient de penser l'après : les Hulot, les Mélenchon, les Montebourg... Ségolène Royal est de ceux-ci. Cela lui vaut un peu plus de moqueries qu'elle n'en subissait déjà. Qu'importe, puisqu'elle tient.
Puis il y a Arnaud Montebourg, le benjamin méconnu dont le discours insoumis et ambitieux est venu frapper l'actualité avec un cran qui l'a tout bonnement révélé. La seule notion de « démondialisation » qu'il a placée au cœur de son projet se prêterait allègrement à des heures d'interprétation et de dialogue tant il se trouve de manières de la décliner ; mais n'en déplaise à ceux qui se proclament réalistes, ses grandes lignes vont dans le sens du progrès. Rapprocher les lieux de production des lieux de consommation, cela va dans le sens du progrès quand l'épuisement de la planète ne nous laisse plus le choix. Redonner à chaque espace dans le monde les moyens d'une certaine autonomie dans son développement, cela va dans le sens du progrès pour peu qu'on accepte de regarder quel terrible échec fut ce codéveloppement mondialiste qui n'a créé que chômage ici, esclavagisme là-bas, misère partout... Remettre l'économie à échelle humaine, enfin, cela va dans le sens du progrès à l'heure où le lien social se désagrège, et où tant d'hommes traînent leur cœur vide et déraciné dans le fracas froid d'une vie professionnelle chaque jour un peu plus mécanique et dénuée de sens. Que comprennent à cela les politiciens qui osent encore exiger de nous : « compétition », « rendement », « productivité », « efficacité » ? Ces valeurs sans morale qui ont écorché l'homme et érigé, le temps d'un délire collectif, le culte financier. Si le propos d'Arnaud Montebourg trouve cet écho inattendu dans l'opinion, ce n'est pas simplement pour le plaisir de s'entendre dire : « défoulons-nous et tapons sur les banques ! » C'est parce qu'il prône la remise à l'endroit de nos valeurs et de nos lois : l'homme avant l'argent. Et que ceux qui disent que cet objectif est inatteignable se taisent ! Car si la politique ne peut pas cela, alors elle n'a rien à dire. L'inatteignable, c'est ce qui mérite qu'on l'atteigne.
À qui les meilleures chances ?
Seulement voilà : il faut choisir. Être en accord avec soi, tout en voyant venir le risque de la dispersion. Et bête ironie du scrutin uninominal, on en vient à regretter la présence au suffrage d'hommes et de femmes dont on apprécie pourtant la parole ou le parcours. Alors, par la force des choses, les considérations d'ordre stratégique prennent le pas : à l'heure où la victoire de François Hollande paraît quasiment inévitable, où trouver les meilleures garanties pour que soit portée la voix d'un réel progrès ? Qui de Mme Royal ou M. Montebourg a les meilleures chances de passer au second tour de la primaire, mais aussi les meilleures chances de battre François Hollande, puis de tenir une campagne avant de vaincre Nicolas Sarkozy ? Que de questions pour bien peu d'éléments de réponse : des sondages relativement flous, un corps électoral difficile à connaître, des marges de progression pour le moins imprévisibles... Mais enfin, il faut bien s'y essayer.
Le plus apte à passer au second tour de la primaire : logiquement ce devrait être Ségolène Royal puisque les sondages, à un ou deux points près, la présentent comme la mieux placée ; quoiqu'encore, ces mêmes sondages lui attribuent une tendance à la baisse alors qu'ils démarquent nettement Arnaud Montebourg à la hausse. Mais à l'évidence rien de tout cela n'est parfaitement fiable. Si l'on devait s'en tenir aux enseignements de la primaire écologiste, tout au plus faudrait-il conclure que le plus avantagé dans ce type de scrutin est celui dont les partisans sont les plus politisés - donc les plus susceptibles de se donner la peine de la démarche. Mais là encore, la prévision est hasardeuse : le corps électoral de la primaire socialiste sera des dizaines de fois plus large, ce qui devrait normalement atténuer cet effet pour peu qu'il se manifeste. Si toutefois ce critère devait jouer, sans doute observerait-on une baisse relative des free lance que sont François Hollande et Manuel Valls, tandis que le soutien des fédérations militantes ou le socle de l'association Désirs d'avenir avantageraient respectivement Martine Aubry et Ségolène Royal. Mais même dans ce cas de figure, il semble qu'Arnaud Montebourg jouisse d'une solide popularité chez les militants de la gauche radicale. Pas de quoi départager sérieusement, donc.
Le plus apte à gagner puis à tenir une campagne : et sur ce point, je ne pourrai que donner ma simple impression. Ségolène Royal présente sûrement les garanties d'une certaine solidité : elle a déjà vécu une campagne et a montré sa capacité à ne jamais se laisser abattre même dans les revers les plus rudes. Mais Arnaud Montebourg possède à ce que je crois d'une plus grande marge de progression. Pour une raison que je m'explique mal, mais qui tient sans doute à sa forte personnalité et la mise en scène trop saillante qu'elle opère d'elle-même, Mme Royal semble souffrir dans une grande partie de l'opinion d'une déconsidération au moins aussi forte que la ferveur qu'elle suscite chez ses supporters. Les scores auxquels elle plafonne - dans des sondages portant cette fois sur la totalité du corps électoral français - sont peu rassurants dans la mesure où ils la placent régulièrement derrière Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Sans doute Arnaud Montebourg ne fanfaronnerait-il pas s'il était testé à sa place, mais la radicalité et la clarté de son discours feraient bouger les lignes. Car la réalité dont il parle, avec la force dont il en parle, mettrait en défaut bien des adversaires. Puis demeure, enfin, cet étrange ingrédient capable de créer les plus subits et les plus grands élans populaires : le charisme. Je me suis rendu au meeting toulousain de Ségolène Royal. J'ai regardé celui de Marseille d'Arnaud Montebourg. Et force est pour moi de constater que, malgré toute sa ténacité, la première a perdu de ce feu sacré qui l'animait il y a cinq ans... Tandis que le second, à la tribune, est incandescent.
J'en termine avec cet article bien long pour défendre une chance peut-être bien mince. Mais puisque l'inatteignable est ce qui mérite d'être atteint, ce Dimanche je voterai Arnaud Montebourg.
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