Globish ? Le choix de l’infériorité totale
Jean-Paul Nerrière reconnaît, à juste titre, à propos de l’anglais, que « cette langue des communications internationales ne s’appelle l’anglais que par un abus de vocabulaire, tant elle est pauvre et dépourvue de profondeur » (Métro, 20.01.2006)

Le
globish, qu’il préconise, est bel et bien un aveu de l’échec de
l’anglais dans le rôle de "la langue équitable dont le monde a besoin".
Mais le problème, c’est que ce sabir pousse inévitablement à l’anglais, car
toute personne qui a appris le globish sera plus tentée de se
perfectionner en anglais que de se lancer dans l’apprentissage d’une autre
langue. En effet, le globish est un
anglais vidé de ses ressources et de ses richesses,
appauvri, ratatiné, châtré, dépourvu de valeur culturelle, qui ne se
prête même pas à l’humour, qui nécessite un complément gestuel (génial
dans l’obscurité totale, ou derrière un mur !), un sabir pour lequel il est
conseillé d’éviter les formes complexes de conjugaison et les
propositions subordonnées... Il aurait pu l’appeler "sabish"...
Lorsque Jean-Paul Nerrière, dans le but de faire passer son globish,
conseille de suivre l’exemple de l’Allemagne, qui invite à renoncer à
l’allemand au profit de l’anglais pour se faire valoir et se promouvoir
sous tous les aspects , il ne tient aucun compte du fait que la langue anglaise
appartient à la famille germanique, et que son apprentissage demande un
effort nettement moindre pour les germanophones que pour les locuteurs
d’autres familles de langues.
Ensuite, l’Allemagne vaincue de 1945, à part la RDA, est passée sous
contrôle de puissances essentiellement anglophones durant des
décennies. Rien n’a été négligé pour la pousser à l’anglicisation. Il
n’y a donc pas lieu de faire passer une situation de soumission pour un libre choix, pour un
acte volontaire.
Le résultat de cette politique, en France, était déjà perceptible dans le rapport n° 73 (1995-1996) du sénateur Legendre : "Le recul de l’allemand et de l’italien, le « naufrage lusitanien », la place résiduelle laissée à certaines langues
de l’Union européenne...".
Une autre conséquence, au niveau de l’Europe, est que les séjours linguistiques drainent une partie importante de la population européenne vers l’Angleterre, ce qui avait permis à un directeur du British Council de dire, en 1987 : "Le véritable or noir de la Grande-Bretagne, ce n’est pas le pétrole de la Mer du Nord, mais la langue anglaise".
Ainsi se crée une habitude d’échanges, de telle façon que les axes des
divers pays européens sont dirigés essentiellement, non point entre eux
avec toute la diversité possible, mais entre chacun d’eux et la
Grande-Bretagne. Pour
illustrer cette situation, prenons deux cartes de l’UE. Sur l’une,
traçons un trait de chacun des pays vers chacun des autres ; sur
l’autre, de chacun des pays uniquement vers la Grande-Betagne. Qui
osera parler de politique équilibrée ? Ainsi, au lieu de travailler pour le roi de Prusse, les Européens non natifs anglophones travaillent pour... la reine d’Angleterre. Est-ce mieux ?
Et l’affaire ne s’arrête pas
là : le fait d’étudier en Grande-Bretagne (ou dans d’autres pays
anglophones) n’a pas que des conséquences économiques. L’esprit de ceux
qui y séjournent longuement
s’imprègne d’une façon particulière de voir le monde, ce qui conduit à
un déséquilibre dont
nous voyons de plus en plus les conséquences : une influence et une intervention croissantes des
milieux financiers et politiques britanniques (et étasuniens) dans les affaires
européennes. S’il est bon, et même recommandable, de découvrir d’autres
façons de voir le monde
par la découverte diversifiée de langues, de cultures et de pays, il
est par contre totalement néfaste d’être orienté et même poussé vers
une seule langue, une seule culture, un seul groupe de pays, une seule
façon de voir le monde. Il s’agit là d’un appauvrissement considérable, et même d’une menace.
Un autre résultat est celui dont fait état
le rapport Grin, publié en septembre 2005, sur "L’enseignement des langues étrangères comme
politique publique". Le
professeur François Grin a tenté ce qui devrait absolument être fait
dans tous les pays non-anglophones : chiffrer les transferts
nets dont bénéficient les pays anglophones du fait de la préséance de
l’anglais, et les économies qui pourraient être réalisées par
l’adoption d’un autre scénario. On apprend ainsi
que le Royaume-Uni gagne, à titre net, au minimum 10 milliards d’euros
par année du fait de la dominance actuelle de l’anglais. De plus : "Si
l’on tient compte de l’effet multiplicateur de certaines composantes de
cette somme, ainsi que du rendement des fonds que les pays anglophones
peuvent, du fait de la position privilégiée de leur langue, investir
ailleurs, ce total est de 17 à 18 milliards d’euros par année... Ce
chiffre serait certainement plus élevé si l’hégémonie de cette langue
venait à être renforcée par une priorité que lui concéderaient d’autres
États, notamment dans le cadre de leurs politiques éducatives
respectives... Ce chiffre ne tient pas compte de différents effets
symboliques (comme l’avantage dont jouissent les locuteurs natifs de la
langue hégémonique dans toute situation de négociation ou de conflit se
déroulant dans leur langue) ; cependant, ces effets symboliques ont
sans doute aussi des répercussions matérielles et financières."
Questionné sur la langue officielle du groupe pharmaceutique
Sanofi-Aventis, Jean-François
Dehecq, son PDG, avait répondu au magazine L’Expansion (28 octobre 2004) : “
Ce n’est sûrement pas l’anglais. Une multinationale est une entreprise
dans laquelle chacun peut parler sa langue. Dans une réunion, c’est du
cerveau des gens dont on a besoin. Si vous les obligez à parler
anglais, les Anglo-Saxons arrivent avec 100% de leurs capacités, les
gens qui parlent très bien, avec 50%, et la majorité, avec 10%. A
vouloir tous être Anglo-Saxons, il ne faut pas s’étonner que ce soient
les Anglo-Saxons qui gagnent .“
Il est clair que le choix de l’anglais, c’est le choix de l’infériorité, de la soumission, de la dépendance. L’anglais mène inévitablement à un appauvrissement de la pensée au niveau planétaire.
Et le globish mène inévitablement à l’anglais. Mais d’une certaine
façon, il n’est pas impossible qu’il devienne mortel pour la langue de Shakespeare. Dans ce
cas, il est préférable de recourir à la solution préconisée dans le
rapport Grin. (choix d’extraits essentiels)
Ceux
qui prônent l’anglais comme langue internationale voient moins clair,
moins net et moins loin que David Rothkopf, ancien conseiller de
l’administration Clinton qui, en 1995, avait écrit : "Il y va de l’intérêt économique et politique des
États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune,
ce soit l’anglais ; que, s’il s’oriente vers des normes communes en
matière de télécommunications, de sécurité et de qualité, ces normes
soient américaines ; que, si ses différentes parties sont reliées par
la télévision, la radio et la musique, les programmes soient
américains ; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des
valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissent." (In Praise of Cultural Imperialism, Foreign Policy,
Number 107, Summer 1997, pp. 38-53)
Sommes-nous donc tous des Américains ?
Toute personne qui apprend et utilise l’anglais se met en état d’infériorité par
rapport à des natifs anglophones. Bien peu d’écho est donné par les
médias sur le fait que, dans l’Union européenne, de nombreux postes de
décision sont réservés à des natifs anglophones : "native english speaker", "english mother tongue".
Ne sommes-nous pas dans une situation de colonisation ? L’anglais,
c’est le choix de l’infériorité. Le globish, c’est le choix de
l’infériorité totale.
Le globish ? Il y a mieux !
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