« Human Bomb » sur France 2, ou la qualité de l’information disponible
La chaîne publique France 2 diffusera mardi prochain 25 septembre 2007 un « docu-fiction » sur la prise d’otages de l’école maternelle de Neuilly des 13, 14 et 15 mai 1993, par un ravisseur qui s’était fait appeler « H.B. » c’est-à-dire « Human Bomb ».
Pour qui en garde le souvenir, l’événement a suscité nombre d’interrogations pouvant aller jusqu’à nourrir d’utiles fictions, et à condition de s’en tenir à de simples hypothèses invérifiables évidemment, une fable peut en être tirée sur la qualité de l’information aujourd’hui disponible.
Un anonymat longuement préservé
Cette prise d’otages sortait de l’ordinaire, ne serait-ce que par le fait qu’elle s’en prenait à des petites victimes, les plus innocentes qui soient, des bambins d’une maternelle. Le retentissement de l’événement ne pouvait être qu’à la mesure de l’indignation extrême que suscite toute violence faite à des enfants. Les médias se sont rués : l’audience maximale était assurée, on était en fin de semaine, les réflexes attendus jouaient à plein.
Mais l’insolite s’est retrouvé à toutes les étapes de l’événement. D’abord, sauf erreur, le ravisseur semble n’avoir été vu de personne : il portait une cagoule noire, jamais enlevée au cours des 46 heures qu’a duré son opération. Il a pris soin, ensuite, de n’offrir aucune possibilité d’identification : ses exigences étaient pré-rédigées et tirées à l’imprimante. Et après l’assaut, nul ne semble avoir vu le cadavre, ni dans la salle de classe ni sur la civière au cours de son évacuation : à l’exception des hommes du RAID chargés de sa "neutralisation", seule la capitaine-médecin des pompiers était présente au moment de l’assaut, et encore suffisamment à distance, selon son témoignage, pour n’avoir rien vu ; l’institutrice était allée se reposer. Quant au procureur, il était absent. Le nom du ravisseur, lui, ne sera diffusé que plusieurs heures après sa mort.
Une vulnérabilité curieusement organisée
Le comportement du ravisseur étonne lui aussi, cadrant mal avec celui d’un individu engagé dans une telle aventure. Seul contre tous et jouant un va-tout mortel, celui-ci n’aurait-il pas dû vivre sur un qui-vive paranoïaque et prévenir toute initiative de l’adversaire qui pût le mettre en danger ? La maîtrise du terrain ignoré de l’ennemi était, en particulier, un avantage capital qu’il lui importait de ne pas gaspiller. Or, ce ravisseur n’a cessé de donner l’occasion à ses adversaires de repérer à loisir les lieux pour lancer leur assaut : procureur, maire, parents, institutrice et capitaine-médecin des pompiers n’ont cessé d’aller et venir, renseignant ainsi exactement les forces de sécurité sur la disposition de la salle de classe.
Mieux, l’attitude du ravisseur à l’égard des enfants a été surprenante. D’abord, il a exigé l’installation d’une caméra-vidéo pour rassurer les parents en leur montrant en direct l’insouciance et le bien-être de leurs enfants, ce qui permettait aussi aux forces de sécurité de parfaire leur connaissance des lieux. Ensuite, la capitaine-médecin, introduite à sa demande, et l’institutrice ont été unanimes pour souligner sa douceur et même son extrême gentillesse envers les enfants qu’il avait fait chanter et jouer ; l’une et l’autre, après l’événement, ont eu pour lui des paroles non de haine, mais de respect et même de compassion. On ne s’y attendait pas.
Une information strictement contrôlée
Une série de faits tendent ensuite à montrer que la maîtrise de l’événement a été réservée à certaines autorités choisies. Le ravisseur a pris soin de ne traiter qu’avec le ministre de l’Intérieur en personne, exigeant même qu’il lui remette sa carte d’identité. L’école était située dans son fief électoral et dans la commune dont le maire était son ami politique. Cette relation privilégiée avec le ministre a permis d’écarter tout autre autorité jugée indésirable dans le traitement de l’affaire. Ainsi, le procureur de la République était-il absent au moment de l’assaut, laissant, en fait, les forces de sécurité et le ravisseur en face-à-face exclusif.
D’autre part, de tous les acteurs, à l’exception du ministre qui s’est vivement félicité de l’issue de l’événement et du procureur qui, au contraire, a émis des réserves en regrettant que le ravisseur n’ait pu être pris vivant pour être livré à la justice, seule la capitaine-médecin a été interviewée après les faits à la télévision ; l’institutrice ne s’est confiée qu’une quinzaine de jours après à un seul magazine dont son mari était un employé. Cette maîtrise des sources d’information est tout à fait remarquable.
Des procédures sévèrement contestées
Ultérieurement sont venus s’ajouter d’autres faits qui surprennent tout autant. Les cassettes-vidéo filmées au cours de l’événement n’auraient été remises au procureur que tardivement, avec une carence de taille : l’enregistrement de l’assaut aurait manqué à l’appel ou du moins aurait été inexploitable.
Une polémique, qui a valu à deux magistrats d’être condamnés en justice, s’est élevée plus tard au sujet des conditions de la mort du ravisseur. Ils avaient cru pouvoir s’appuyer sur un témoignage enregistré pour accuser à tort : il était question d’un « double top » réalisé par l’un des tireurs chargés de mener l’assaut final. Cet exploit signifie dans le jargon du métier que deux balles entrent par un même orifice. Les magistrats avaient un peu hâtivement conclu que ce « double top » contredisait la version officielle selon laquelle le ravisseur avait eu un geste menaçant. Quelle que soit l’adresse du tireur, il supposait, au contraire, selon eux, que l’individu fût inerte et même bien calé ; après quarante-six heures de veille, on imaginait sans peine qu’il pouvait avoir plongé dans un profond sommeil. Mais alors, dans ce cas, accusaient les magistrats, les conditions d’une légitime défense n’étaient pas réunies : les forces de sécurité auraient tué un homme qui, dormant, ne les menaçait pas. Et de là à penser que mission leur aurait été donnée de ne pas arrêter le ravisseur mais de le tuer, c’était dans la logique du raisonnement. Se posait même la question de savoir pourquoi ce choix contraire à la loi aurait été fait. Seulement, les magistrats n’avaient forcément aucune preuve pour étayer leur accusation face au témoignage des hommes du RAID qui avaient donné l’assaut.
On a appris ensuite que l’autopsie aurait été réalisée en l’absence du juge d’instruction, ce qui arriverait parfois dit-on. Quant à la fameuse cagoule gardée 46 heures par le ravisseur, elle aurait été remise fraîchement lavée et repassée au médecin légiste.
Une reconnaissance visiblement inopinée
Mais le plus inattendu est venu de la sœur du ravisseur. Elle a raconté à la presse les circonstances de sa visite à la morgue de l’institut médico-légal, où elle s’était rendue pour y reconnaître son frère, selon l’usage. On l’aurait dissuadée de voir le cadavre : il était si défiguré, lui disait-on, qu’elle risquait de ne pas pouvoir supporter l’épreuve. Elle avait tenu néanmoins à le voir. Et quelle n’avait pas été sa surprise, quand, derrière une vitre, on eût retiré le drap blanc ? Il lui avait fallu, bien sûr, se rendre à l’évidence que c’était bien son frère, car jusque-là, elle avait gardé le secret espoir qu’il y avait eu erreur sur la personne, tellement ce qu’on lui reprochait ne lui ressemblait pas du tout. Mais elle ne comprenait pas pourquoi on l’avait tant mise en garde : le visage était intact, absolument pas défiguré ! Pas la moindre trace de balle ! Il n’y avait absolument rien ! Du coup, la famille avait déposé une plainte en recherche des causes de la mort du défunt. Dans les semaines suivantes, sauf erreur, on n’en a plus jamais entendu parler.
Une morale hardiment proclamée
Enfin, dès le lundi 17 mai 1993, comme s’il entendait tirer la leçon de l’événement, un journaliste, Philippe Bouvard, écrivait sans ambages dans France-Soir : “Les assassins potentiels doivent savoir que la peine de mort, abolie dans les prétoires, subsiste sur le terrain et qu’elle est alors immédiate et sans appel.”
La réalité, dit-on, dépasse souvent la fiction. Il peut donc être tentant de se saisir de tous ces faits pour en faire une fable romanesque. On se trouve, en effet, dans la situation excitante de l’astronome qui observe le comportement erratique d’un astre sans raison apparente et qui, pour l’expliquer, est amené à déduire la présence d’un autre qu’on ne voit pas mais dont l’attraction ne s’exerce pas moins pour autant sur son mouvement. Ici, la singularité des conduites peut amener à formuler des hypothèses qui les rendent logiques, relevant certes de la fiction mais pouvant aider à réfléchir, comme toute fable, sur la qualité de l’information disponible aujourd’hui. Et pourtant on ne peut pas dire que les médias se soient montrés avares de détails sur le sujet. Paul Villach
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Les sources sont les suivantes : Le Monde, des 16-17, 18, 20, 21, 29 mai 1993, des 4-5, et 6 juillet 1993, 3 et 4 mai 1994 - Le Journal du dimanche du 16 mai 1993 - Midi-Libre des 16 et 20 mai 1993 - France-Soir du 17 mai 1993 - Le Canard enchaîné du 19 mai 1993 - Paris-Match des 27 mai et 3 juin 1993 - Globe-Hebdo du 20 juillet 1993 - L’Evénement du jeudi du 30 décembre 1993 - S. Caster, H.B. La Bombe humaine, Editions Arléa, Paris, 1993.
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