« JE » a la vie dure
Il s’agit là de mon premier article, non seulement sur agoravox, mais également de ma vie. Je vous demande donc un peu d’indulgence car, comme la plupart des gens, on m’a appris à écrire mais pas forcément à exprimer des idées personnelles.
Cela fait plusieurs mois que je consulte régulièrement le site et j’apprécie la liberté de ton, les débats parfois constructifs et, comme tout le monde ici, la contestation de l’ordre établi qui ressort régulièrement.
Il me semble clair que, indépendamment du sujet de société traité (j’exclue de mon commentaire les articles scientifiques sur lesquels je me sens souvent incapable d’avoir un avis pertinent), la plupart des articles traite de la guerre de classes qui existe depuis des temps immémoriaux. En gros, comment des riches exploitent des pauvres et comment ils font pour faire perdurer ce système fondamentalement inéquitable.
La suite logique de la plupart des articles que j’ai lus (ici et ailleurs) convient à discuter des méthodes ou actions qu’il faudrait mettre en place pour remédier à cette situation intolérable pour leurs auteurs. Il me semble là qu’on manque un pas important dans la réflexion, à savoir : pourquoi ces « arnaques » fonctionnent-elles ?
Les idées qui vont suivre n’engagent que moi mais je serais heureux de connaître vos avis dessus. Vous vous doutez bien que, pour en arriver à écrire ici, c’est que ces idées ne me valent généralement pas un bon accueil auprès de mes amis (mais la manière de les exposer n’est jamais parfaite).
L’être humain tel que nous le connaissons n’agit, selon moi, que sous le coup de la peur ou du désir. La première peur, celle de mourir (de froid, de faim, de maladie ou dévoré par un animal) ou de souffrir, nous a permis de développer un tas de technologies dont nous ne pouvons renier l’utilité ou certains bénéfices pour la société. Il s’agit là d’une peur universelle entrainant des problèmes pratiques que les humains sont assez doués pour résoudre.
La deuxième grosse peur est celle des autres humains, racine de la plupart de nos désirs actuels dans notre société où on ne meurt pas de faim. Ce n’est pas forcément la peine de disserter ici des causes de cette peur, ça risquerait d’être long. Vous reconnaîtrez aisément qu’elle est présente chez tout le monde : méfiance, sentiments d’agressivité, victimisation, sentiment d’abandon, d’injustice... nous éprouvons cela quotidiennement.
Là où je pense que l’on a fait une erreur, c’est en décidant de résoudre ce problème, qui est d’ordre psychologique, de la même manière que le premier qui est purement pratique. Nous avons donc créé une quantité hallucinante de moyens de nous rassurer de la peur de l’autre : des moyens de défense ou d’attaque bien sûr, mais également des moyens de se sentir meilleur que son voisin (bah oui, si je me sens meilleur que lui, il me fait moins peur ce tocard). Celui qui a le mieux marché est sans aucun doute l’argent. Pas l’argent comme outil d’échange bien sûr mais l’argent comme échelle de valeurs (on pourrait parler de richesse, ce serait plus exact).
Notre société est de plus en plus plongée dans l’argent comme échelle de valeur, la majorité envie les riches et se saigne pour acheter une paire de lunettes de la même marque qu’eux. Ce comportement est absurde aux yeux de la plupart des lecteurs je pense. Mais que faisons-nous face à ce constat ? Nous changeons d’échelle de valeurs.
« Moi je m’en fous de l’argent, je préfère avoir du temps libre », « moi je préfère faire de la musique », « je préfère la bonne ambiance d’un groupe solidaire »... Par ce comportement, on se démarque, on cherche, à sa façon, à devenir meilleur que les autres et au final on entretient cette idée millénaire que nous sommes tous différents psychologiquement. De là à former des groupes de gens d’accord pour dire qu’ils sont meilleurs que le groupe d’en face, il n’y a qu’un pas, de là au conflit, il n’y en a même pas un deuxième. Je ne dis en aucun cas qu’il faut arrêter l’accordéon ou quitter sa communauté. Le problème n’est pas dans l’activité pratique mais il survient dès qu’on s’identifie psychologiquement à celle-ci.
Mais au fait, je suis qui psychologiquement ? Je suis principalement une mémoire : je connais des trucs, qu’on m’a appris dans mes études (par exemple) et qui, on me l’a répété suffisamment, ont fait de moi quelqu’un de meilleur (meilleur qu’avant, mais aussi que les autres qui n’ont pas ce savoir). Ma mémoire contient aussi des expériences, des souffrances ainsi que des désirs nés de ces deux dernières. Au final, ce qu’on appelle « je » n’est autre qu’une somme de détails pratiques modelés par mon cerveau avec le temps et plus ou moins accessibles consciemment. Et je suis persuadé que cette somme de détails pratiques me rend UNIQUE, ce qui autorise à se sentir meilleurs que les autres pour certains ou à se déclarer plus apte à souffrir que certains pour d’autres (suivez mon regard). Chacun a sa propre façon de se trouver psychologiquement unique et là encore, le conflit n’est pas loin.
Nous sommes dans une société (et c’est loin d’être nouveau) où on confond allègrement les côtés pratiques et psychologiques, où on est tous intimement persuadés d’être uniques psychologiquement et où on pense que des activités pratiques peuvent changer profondément notre "je" psychologique. A mon sens, penser que dénoncer les dérives de la société actuelle fait de nous quelqu’un de meilleur est aussi absurde que de penser qu’être riche rend meilleur. Et le pire,c'est qu'on a très vite fait de se mentir à soi-même sur le sujet.
Alors il faut faire quoi ? Eh bien observer… ses réactions, ses envies, ses désirs… mais aussi ceux des autres, sans jugement, sans vouloir les changer, pour le plaisir de voir comment ça fonctionne. Nous avons un travail énorme à effectuer, individuellement, pour nous voir que ce que nous appelons « je » est vide et nous permet de justifier tous nos comportements. Il faut comprendre que la principale cause de souffrance chez l’homme aujourd’hui vient du fait qu’il souhaite « devenir » quelqu’un d’autre psychologiquement dans le futur alors que dans ce domaine, le temps n’a pas sa place.
La démarche n’est pas agréable au début car elle demande une honnêteté sur soi même qu’on ne nous a pas trop enseigné (forcément, c'est difficile de continuer à arnaquer son monde si on fait ça...). Ça implique surtout d’accepter de réfléchir à ce que disent les autres sans prendre immédiatement leurs propos comme des critiques. La plupart des gens que j’ai rencontré le vit mal sur certains points tout en refusant de voir que cette honnêteté a un côté libérateur dont ils choisissent de jouir sur d’autres points.
Une fois cette démarche engagée, on peut espérer discuter d’une organisation pratique de société unie… sans ça, on se complait dans une division sans fin menant inévitablement à une « guerre » pour imposer son échelle de valeurs psychologiques au monde entier.
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