« Jeunes professeurs, votre innocence m’intéresse ! »
Le Monde de l’Éducation est venu au secours des jeunes professeurs en cette rentrée scolaire en publiant un « Guide du jeune professeur 2006-2007 ». L’intention est louable, mais malheur au malheureux qui croirait y trouver une carte fiable pour s’orienter dans l’univers où il vient de mettre les pieds ! Ce guide est, en effet, un mélange de publicité du ministère de l’Éducation nationale, voire carrément une resucée de certaines de ses instructions idéalistes dont il est si prodigue, et des stéréotypes désuets sur l’école qu’affectionnent les médias.
Il suffit, du reste, de s’arrêter sur la photo édifiante de la première de
couverture, où l’on voit en gros plan deux jolies filles suivre
intensément leur beau jeune maître dans ses explications, l’index
pointé vers un écran. Cette scène, symbolique de ce moment partagé où le
savoir se transmet du maître à l’élève, sans doute le jeune professeur
la vivra-t-il par instants. On le lui souhaite. Mais, grands dieux,
c’est l’abuser que de lui faire croire que ce sera son ordinaire. Le
guide oublie de dire que les quatre partenaires de l’école ne
poursuivent pas le même objectif : si l’on peut convenir que la
transmission du savoir motive en général un professeur, les autres
partenaires, malgré les apparences, visent d’autres buts : élèves et
parents s’intéressent surtout à « la moyenne » qui garantit un cursus
scolaire régulier. Quant à l’administration, elle n’aspire qu’à sa paix
en préparant la guerre, tant sont nombreux les motifs d’insatisfaction
des uns et des autres. Première pomme de discorde : la note.
Il serait ainsi plus utile au jeune professeur de lui faire lire
Topaze de Marcel Pagnol. Bien que l’histoire se passe dans un cours
privé des années 1920, elle n’a pas pris une ride et concerne l’École
publique aujourd’hui. La notation est, en effet, la première pomme de
discorde.
- La chicane sur la note d’un fils de baronne et le désarroi du
professeur sommé par son directeur de la relever en trouvant
obligatoirement une erreur qui n’existe pas, voilà une scène qu’un
jeune professeur risque de connaître assez souvent, à deux corrections
près : il n’y a pas que les baronnes qui aujourd’hui interviennent
effrontément ainsi ! Et une administration préfère prendre les devants
avec les professeurs dès le premier jour de prérentrée par divers
détours subtils : depuis les notes de « contrôle continu » jugées trop
sévères au Brevet des collèges, qui amoindrissent les résultats de
l’établissement par rapport à d’autres plus démagogues, jusqu’au souci
de soutenir « les élèves en difficulté » que des mauvaises notes
forcément découragent. Si le jeune professeur entend le message et se
plie à l’injonction insinuée, il s’achètera la paix du côté des élèves
et de leurs parents, et donc du côté de son administration, à moins que
des parents exigeants - il y en a - ne finissent par découvrir que ses
notes sont surévaluées et trompent au bout du compte leurs enfants sur
la qualité de leurs travaux. - Ainsi le jeune professeur sera très tôt
confronté à un premier problème qui met en cause sa conception du
métier, voire son existence : flatter, comme le fait l’univers
médiatique pour vendre ses produits, « parce que l’élève le vaut bien
», ou éduquer, mais alors, comme l’exige son métier, au risque de
mécontenter, en sachant qu’aujourd’hui, toute mauvaise note et toute
critique sont reçues, du fait du climat de flatterie médiatique
ambiant, par temps de client et d’enfant rois, comme des signes de
malveillance. S’il choisit la seconde solution, qu’il sache qu’il va
au-devant de conflits répétés pendant toute sa carrière ! Ça, le
charmant « Guide du jeune professeur » se garde bien de le dire ! Il
préfére palabrer sur les incessantes réévaluations à la mode... de
l’évaluation en fuyant sa fin ultime : le constat par l’élève non
seulement de ses acquis mais aussi de ses déficiences, qui donnent
précisément lieu à récriminations auprès d’une administration encline à
les accueillir, ne fût-ce que pour les mettre sous le coude, dans
l’attente d’une utilisation ultérieure, le moment de l’attaque venu.
Deuxième pomme de discorde : les règles de la classe.
Les règles de la classe sont une deuxième pomme de discorde. Silence et
tour de parole régulé entre professeur et élèves conditionnent la bonne
compréhension des propos échangés et leur utile discussion éventuelle ;
simultanément, la participation de tous les élèves d’une classe dans
l’échange détermine la progression de tous et non seulement de quelques-uns. Tel est l’idéal. Mais la réalité est tout autre ! - Nombre de
professeurs se satisfont de conduites qui ne devraient pas avoir cours
en classe : il suffit de lire comme ils n’hésitent pas, sur les
bulletins scolaires, à reprocher étourdiment à des élèves « des
bavardages » ! Ils ne se rendent pas compte, les malheureux, que, ce
faisant, ils signent, aux yeux de tous, leur propre impéritie pour
n’avoir pas su y mettre un terme au premier mot intempestif échangé
entre deux élèves hors de la prise de parole régulée. Quand donc de
telles conduites s’installent dans les autres cours, le professeur qui
exige dans le sien une attention de tous les instants, peut être perçu
et dénoncé comme trop sévère : « Il faut bien que les élèves respirent
! », entend-on dire par certains parents. On peut être sûr qu’un conflit
larvé s’instaure, et que les belligérants sont aux aguets dans l’attente
désormais d’une faute du professeur. - Surtout que les occasions ne
manquent pas ! Un élève ou deux dans une classe peuvent provoquer le
clash : un absentéisme injustifié et revendiqué, un refus de prendre
les notes comme tout le monde, un ton injurieux - « Pour qui vous vous
prenez ? », peut lancer l’élève transgresseur - ou carrément l’injure «
Merde ! » - « Enculé ! ». Quelquefois, ce peut même être l’agression
physique, sans aller jusqu’à la tentative d’assassinat comme à Étampes
! Ça se voit ! Contrairement à ce que raconte « Le guide du jeune
professeur », page 32, renvoyer alors l’élève avec rapport ultérieur
sur l’incident au chef d’établissement, ce n’est pas « renoncer à faire
acte d’autorité », comme le dit sans discernement une principale. C’est
au contraire faire acte d’autorité que de rappeler qu’une place dans
une classe se mérite au seul respect des règles qui autorisent la
transmission du savoir. Un élève qui se conduit ainsi ne peut rien
apprendre du cours donné, sauf à s’excuser par la suite avant de
revenir en classe et à s’engager à respecter les règles à l’avenir : le
droit à l’erreur doit, en effet, être reconnu. Mais on comprend que
l’administration et les conseillers d’éducation n’aiment pas que les
professeurs usent de « l’exclusion ponctuelle de la classe », prévue
par la circulaire du 11 juillet 2000 ; ils sont alors, en effet, mis en
demeure de prendre leurs responsabilités à leur tour... et leur
tranquillité en est dérangée. Les choses se compliquent quand,
renonçant à leur mission, ils apportent leur soutien à l’élève
transgresseur sous des allures compassées « psycho-pédagogiques », et
qu’ils l’introduisent dans leur stratégie d’affrontement avec le
professeur, classé désormais comme « perturbateur ». Car son crime est
de troubler « l’homéostasie » de l’établissement, du moins telle qu’eux
seuls la définissent.
Troisième pomme de discorde : une protection statutaire rarement
accordée.
L’affrontement avec un élève protégé devient vite conflit ouvert avec
le chef d’établissement qui peut, dans la panoplie à sa disposition,
selon la formule, « faire donner les parents ». - Rien de plus facile
que d’obtenir des lettres de dénonciation de parents courtisans disant
leur mécontentement envers le malotru ! On ne parle pas ici de la «
petite frappe » mais du professeur qui, s’il en a eu vent, se verra
refuser la communication de ces lettres de dénonciation, en vertu d’une
loi liberticide de la majorité de gauche plurielle du 12 avril 2000
visant à protéger les délateurs au détriment de leurs victimes ! - Mais
si, par le plus grand des hasards, il a tout de même la chance de
tomber sur l’un de ces courriers, le professeur pourra demander la
protection statutaire prévue par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13
juillet 1983, et due à tout fonctionnaire « attaqué à l’occasion de ses
fonctions » ! Qu’il ne se fasse pas cependant d’illusion ! Elle lui
sera en général refusée par le recteur. Et c’est une troisième pomme
de discorde. La loi qui protège le fonctionnaire, pour lui permettre
d’accomplir sa mission sans être soumis à d’éventuelles représailles,
est assez régulièrement violée par le ministère de l’Éducation
nationale et ses recteurs. Les Tribunaux administratifs saisis ont beau
condamner aussi régulièrement ces violations, mais... deux, trois, quatre années après les faits - puisque tel est le rythme de la Justice en France
! - rien n’y fait, forcément ! Le professeur reste seul face à
l’agression. Ses collègues sont bien trop occupés à crier sur tous les
toits qu’eux n’ont pas de problèmes ! On chercherait vainement dans « Le guide du jeune professeur » la moindre allusion à ces violations de
la loi, à cette protection des délateurs, à la déliquescence de toute
solidarité et à la patiente destruction du métier de professeur qui en
résulte.
Quatrième pomme de discorde : l’Inspection, ce « sommet
d’infantilisation ».
Quant à l’image pieuse de l’Inspection donnée page 106 (« Inspection :
les clés de la réussite ») et page 110 (« Devenir inspecteur »), c’est
à se tordre de rire, car là, on se fiche carrément de votre pomme,
jeunes professeurs ! Lisez plutôt François Bayrou, ancien professeur
avant de devenir ministre. Nul ne peut le taxer d’extrémisme. Or,
qu’écrit-il dans son ouvrage réédité en 1993, chez Flammarion, La
décennie des mal-appris ? Le pire réquisitoire qui ait jamais été
prononcé contre cette institution stérile et nuisible au service public
de l’Education qu’est l’Inspection. C’est, écrit-il d’entrée, « un
sommet d’infantilisation » pour un professeur ! « L’inspecteur n’est ni
un conseil, ni l’agent d’une évaluation objective et valide. Il n’en a
d’abord pas les moyens. Il fait peur. » Sa parole quasi prophétique, en
effet, ne peut pratiquement pas être contredite ! F. Bayrou parle de
ces prof. qui, pour devenir inspecteurs, ont dû « s’attacher à des
protecteurs, fréquenter à longueur de décennies les couloirs du
ministère, appartenir à la bonne écurie, non seulement la coterie
amicale, mais la plupart du temps, le réseau idéologique ou
scientifique.[...] Le bruit courait autrefois dans les salles de prof.,
poursuit-il cruellement, que ne devenaient inspecteurs que ceux qui
étaient incapables de demeurer professeurs. Cette assertion infamante [...] était parfaitement injuste, puisque la capacité pédagogique n’a
pas grand-chose à voir dans la durée avec une telle promotion. La
réputation et le réseau font tout. Et c’est le réseau qui fait la
réputation [...]. Pour la plupart des enseignants, (l’événement qu’est
l’inspection) est terrifiant. Terrifiant avant, bien entendu, et
terrifiant après, puisqu’il est entendu, qu’une fois passé, rien n’aura
changé. » Jeunes professeurs, si ces quelques remarques ne vous
suffisent pas, alors, oui, suivez les yeux fermés, « Le guide du jeune
professeur », que votre innocence intéresse ! Mais ne venez pas vous
plaindre après, vous aurez été prévenus ! Vous avez lu aussi comme tout
le monde le classement des établissements violents publié le 31 août
dernier par Le Point. Si injuste soit-il, en raison des conduites
variées et fantaisistes des chefs d’établissement dans le relevé
quotidien des actes de violence scolaire, il a le mérite de mettre le
problème sur la table. Un petit collège de campagne n’est pas épargné,
même si c’est sans commune mesure avec certains collèges de banlieues
parisienne, marseillaise ou lyonnaise, qui ne sont même pas
répertoriés. On cherche vainement dans « Le guide du jeune professeur »
une page qui permettrait de prendre la mesure de ce problème qui vous
attend de pied ferme, jeunes professeurs, et qui pourtant ne date pas
d’hier. Vous commencez à découvrir que vous êtes entrés dans le métier
plein d’illusions ? Qu’importe ! « On est dédommagé de la perte de son
innocence par celle de ses préjugés », écrit Diderot dans Le neveu de
Rameau. Paul VILLACH
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