JMJ : un appel à la levée des croyants contre l’Europe qui se laïcise
Benoît XVI a martelé le message répété par l‘Eglise catholique dès le début des Journées mondiales de la jeunesse qui se sont déroulées jusqu’au week-end dernier à Madrid en Espagne… Face à l’Europe qui se laïcise, il exhorte les jeunes à retourner dans les Eglises… Une jeune française participant aux JMJ interviewée explique que, « si c’est parfois difficile dans nos écoles et nos lycées d’affirmer notre foi, là je pense qu’on se rend compte qu’on n’est pas seul… » Entre le pape qui regrette une laïcisation de l’Europe qui a réduit le pouvoir de l’Eglise quant à sa capacité à imposer à la société sa conduite et sa pensée, à cette jeune fille qui, implicitement, regrette que l’école laïque ait interdit les manifestations ostentatoires de la foi dont les signes religieux, la terre est presque ronde…
On entend derrière ces quelques remarques que la croyance n’a pas dans ses gènes le respect d’une laïcité prétendument acceptée par l’Eglise qui reste dans son esprit, droit de croire ou de ne pas croire, interdiction d’accès du religieux au politique, école laïque…, un obstacle au rayonnement de son dogme.
Des JMJ pas très catholiques : une Eglise comme vérité donnée qui se paie sur les fonds publics
Cette foi qui est du côté de la passion que l’on décrit avec beaucoup d’affection dans les commentaires de nos journalistes de l’information télévisuelle, tout particulièrement sur les chaines publiques (sic !), est peut-être bien ici le problème, elle qui a toujours soif de s’imposer comme vérité donnée aux autres parce qu’elle se pense comme telle, l’idée de dieu se voyant comme la finalité de toute les autres . On sent combien chez ces croyants encore la foi supporte mal les contraintes de la raison, propre aux démocraties modernes qui assurent aux religions le libre exercice de leur culte dans les limites qu’elles se soumettent aux droits et libertés publics et individuels.
Aussi, on nous ferait presque oublier qu’à chaque fois que l’Eglise a eu accès au pouvoir politique, elle a pratiqué la violence et l’arbitraire, elle a soutenu la quasi-totalité des dictatures et particulièrement celle du sanglant Franco, qui a régné en maître sur l’Espagne pendant plusieurs décennies, un des pires fascistes de l’histoire, qui a eu des ministres directement issus de l’Opus Dei, cette frange ultra-radicale catholique qui parade aujourd’hui comme si de rien n’était à ces JMJ.
D’ailleurs, les JMJ ont été l’occasion pour les Espagnols de revenir sur un crime connu commis sous Franco avec l’aide de l’Eglise catholique. Des enfants ont été enlevés sous le franquisme à leurs familles avec l’aide des prêtres pour les confier à des familles bienpensantes… On parle de 300.000, l’horreur ! Qu’en disent l’Eglise catholique, son Pape, alors que Jean-Paul II n’avait pas hésité à canoniser le fondateur de l’Opus Dei, Josémaria Escriva, appelé par ses détracteurs, « le Saint fasciste » ? « Aimes ton prochain comme toi-même » prend tout à coup pour ces JMJ une connotation moins enthousiaste…
Une séparation des Eglises et de l’Etat qui n’est pas arrivée à son terme semble-t-il en Espagne, les autorités espagnoles n’ayant pas hésité à mettre tous les moyens publics au service de cet événement pourtant à caractère normalement privé. Il était normal que de nombreux Espagnols se sentent lésés par cet événement en regard des dépenses qu’il a occasionné sur le trésor national et manifestent. Non contre le droit de croire, mais l’usage fait par un Etat censé être laïque de ses fonds pour l’organisation de ces JMJ et donc en faveur d’une Eglise, ceux des contribuables, comme un holdup évalué à 51 millions d’euros (selon les opposants) alors qu’on ne cesse de leurs demander de se serrer la ceinture en acceptant des reculs sans précédents de pouvoir d’achat et de réduction des budgets sociaux. Le mieux, c’est qu’au moment où le ticket de transport à Madrid passe de 1 euros à un euros cinquante, un détail, 50% d’augmentation, pour les participants aux JMJ on offre 80% de réduction sur ce billet. Une contribution directe de la puissance publique à la tenue de cet événement très catholique.
On oublierait presque que l’Eglise catholique, c’est historiquement le contraire de la liberté.
On oublierait presque derrière la mise en scène médiatique de l’événement qui nous présente la religion catholique comme « tout amour », comme une grande communion joyeuse et sympathique, comme inoffensive et ne cherchant qu’à s’intéresser au bien d’autrui, qu’il a fallu des siècles de combat éclairé contre l’obscurantisme religieux, qui a emprisonner les meilleurs des penseurs et des humanistes, qu’il a fallu de véritables batailles de rue à la veille de la séparation des Eglises et de l’Etat pour parvenir à la réaliser et à enfin extraire du pouvoir politique la domination de l’Eglise, lui en barrer l’accès au nom de la liberté et de la démocratie, qui ont été édifiés contre elle parce qu’elle s’y opposait.
Le pape n’a pas de mot assez fort pour appeler à diffuser la parole de l’Evangile… Comment ne pas se rappeler que c’est en son nom que l’inquisition religieuse, du Moyen Age à la Renaissance, a livré aux flammes ceux qui avaient le malheur d’être accusés d’être de mauvais chrétiens. Comment ne pas se rappeler l’emblématique Galilée, homme de science et pourtant croyant, convoqué par le Saint-Office le 1er octobre 1632 pour être condamné à la prison à vie pour avoir défendu des thèses coperniciennes qui seront interdites dans tous les pays catholiques sous peine de sanctions pénales… La torture est évoquée par le pape lui-même à l’encontre de Galilée contraint d’abjurer son savoir devant la bêtise et le dogmatisme religieux toujours tourné contre tout ce qui tend à faire avancer une histoire que les textes sacrés ont décrété d’arrêter à coups de bûchers et d’Encycliques.
Comment ne pas se rappeler que la plupart des penseurs des Lumières subirent des procès et Lettre de cachet (ordre du roi), comme ce fut le cas de Diderot, qui avait oser pour la première fois écrire sur les aveugles et les sourds en mettant sa pensée scientifique au service de mieux les comprendre pour mieux leur donner une place dans la pensée sur l’homme et dans la société. Intervenant ainsi dans ce que Dieu avait créé, il est emprisonné à Vincennes en juillet 1749 puis à la demande des Jésuites, l’Encyclopédie qu’il dirige avec d’Alembert est suspendue. Comment ne pas se rappeler l’Encyclique de Pie IX qui, en 1846 fustige « ces hommes livrés à des passions détestables, et sous prétexte de favoriser le progrès humain mettent tout en œuvre pour détruire la foi, la soumettre à la raison et pervertir la parole divine » exprimant la crainte liberticide de l’Eglise à l’égard du progrès issu des avancées scientifiques qui participent d’éclairer les esprits et de les sortir de l’obscurité grâce à laquelle la religion a le champs libre.
Comment ne pas se rappeler ce que Victor Hugo dénonce dans un climat hostile devant l’Assemblée le 15 janvier 1850, alors que le cléricalisme cherche sa revanche sur les débuts de la laïcisation de l’enseignement depuis la Révolution française, à travers sa critique de la loi Falloux, loi qui ouvre la voie à l’école privée dite libre, où l’enseignement congréganiste est le principal bénéficiaire qui met l’école sous l’autorité de l’Eglise catholique, à travers sa surveillance et sa direction morale confiées au curé, à côté du maire. : « Ah ! Nous vous connaissons ! Nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de service. C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie. (…) Tous les pas qu’a fait l’intelligence ne Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est écrite dans l’histoire des progrès humains, mais au verso. Il s’est opposé à tout. (…) Et vous voulez être les maîtres de l’enseignement ! Et il n’y a pas un poète, pas un écrivain, pas un philosophe, pas un penseur que vous n’acceptiez ! Et tout ce qui a été écrit, trouvé, rêvé, déduit, illuminé, imaginé, inventé par les génies, le trésor de la civilisation (…) vous le rejeter. Si le cerveau de l’humanité était devant vos yeux, à votre discrétion, ouvert comme la page d’un livre, vous y feriez des ratures ! (…) Je repousse votre loi. Je la repousse parce qu’elle confisque l’enseignement primaire, parce qu’elle dégrade l’enseignement secondaire, parce qu’elle abaisse le niveau de la science, parce qu’elle diminue mon pays. » C’est seulement en 1924 que l’Eglise papale reconnaitra la laïcité du bout des lèvres après l’avoir dénoncée comme une hérésie pendant près de 20 ans et on voit encore aujourd’hui comment…
Une défiance du Pape envers la laïcité qui a ses supporters en France sous couvert de la défendre
En France, cette pensée de défiance envers la laïcité a des relais et pas des moindres. Dans un article publié dans le numéro de juin 2011 de la revue Historia, Emile Poulat, présenté comme l’un des plus grands spécialistes de notre laïcité la défend d’une drôle de façon, en considérant qu’on lui donne beaucoup trop d’importance en regard du fait que le terme ne serait qu’une création tardive (30 ans !), qu’il serait totalement absent de la loi et des textes juridiques français, que, pas plus, on ne trouve dans la loi de 1905 le terme « séparation » ni « Eglise », pour induire une confusion favorable à ne pas voir en réalité de divorce entre l’Eglise et l’Etat et que concernant ce « couple historique », il n‘y aurait qu’un malentendu…
Si le terme « laïcité » est certes plus récent que le terme « Eglise », c’est précisément que l’histoire est passée par là ! Il fait tout de même son entrée dans le Littré en 1871, « Les termes « laïcité », « laïciser », « laïcisation », sont contemporains de la Commune de Paris qui vote en 1871 un décret de séparation de l’Église et de l’État ». Un terme, qui par-delà ce débat secondaire, n’en définit pas moins le sens d’une large partie de nos institutions.
Faut-il le rappeler, dans le préambule de la Constitution de 1958 à son article I er, on définit que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Mais Monsieur Poulat préfère se référer à une phrase du Général de Gaulle « La République est laïque, mais la France est chrétienne », insistant sur l’héritage religieux de la culture française qui serait l’objet principal du débat ( ?). Par ailleurs, le 11 juin 1903 on crée une « Commission de la Séparation des Eglises et de l’Etat » avec comme président F. Buisson et Aristide Briand, on y retrouve les deux termes qu’avait perdu de vue Monsieur Poulat, qui sont clairement l’annonce d’une loi qui va mettre un terme au mélange entre l’Eglise catholique et l’Etat en France : Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Monsieur Poulat est du côté d’une confusion qui rejoint cette Eglise qui se voit dans la modernité pour mieux ne pas avoir à se remettre en cause : Le réseau Caritas France, d’obédience catholique, qui prend en charge régulièrement des aides financières publiques à destination d’usager des services sociaux alors que clairement identifiée comme association religieuse, n’hésite pas à soutenir la fable selon laquelle les Droits de l’homme découleraient de la religion catholique, alors qu’ils furent proclamer contre les ordres, dont le clergé allié à la noblesse et au pouvoir royal, contre le lien indéfectible du trône et de l’autel qui avait jusqu’à ce moment imposé son ordre contre la liberté et les droits les plus élémentaires des hommes. On marche sur la tête !
Monsieur Poulat considère comme naturel que les musulmans prient dans la rue. Selon ces bons apôtres ils ne feraient qu’exercer leurs droits, sous prétexte qu’ils n’auraient pas assez de lieux de culte, pourtant il existe plus de deux mille mosquées aujourd’hui dont quelques-unes énormes, comme celle de Strasbourg déjà financée avec les impôts des contribuables sous prétexte de maintien du Concordat dans cette région de façon scandaleuse. Jean Baubérot, autre éminent spécialiste de la laïcité, seul membre de la Commission Stasi à s'être abstenu sur le vote du rapport qui a permis l'élaboration de loi du 15 mars 2004 relative à l'application du principe de laïcité, d’interdiction du port des signes religieux ostensibles dans les établissements d'enseignement publics, dénonce comme une hérésie le fait que l’on entende faire respecter la laïcité aux mères voilées qui veulent accompagnées les sorties scolaires dans le cadre des missions du service public de l’école, en leur demandant d’enlever leur voile par soucis de neutralité.
En toute cohérence, ils demandent d’une même voix à ce que l’on modifie la loi de 1905 afin de permettre le financement des lieux de culte par les deniers publics, au nom de l’égalité de traitement des religions qui n’est nulle part dans nos lois, se servant de l’islam et de ses revendications communautaires comme cheval de Troie pour mettre à bas cette séparation que certains n’ont jamais acceptée.
La laïcité, un acquis des progrès de la raison et de l’humanisme
On sait que la loi de séparation est un des grands principes fondateurs de notre laïcité, c’est pour cela qu’elle est si disputée, une valeur en regard de laquelle il existe un ensemble de lois qui très concrètement la définissent. Le traitement égal des individus devant la loi indépendamment de la couleur, de l’origine, de la croyance ou de l’ethnie, par exemple dans l’exercice des missions de service public, c’est elle. Elle porte au-dessus des différences le bien commun du savoir et de l’éducation, lorsqu’en son nom on interdit les signes religieux dans l‘école publique. Elle porte l’égalité plus haut que tout, comme morale d’une identité commune qui encourage le mélange au lieu de la séparation selon les particularismes. Elle est un facteur de paix et de concorde pour notre vivre ensemble. Elle n’est pas une idée comme les autres, en donnant aux individus le droit de croire ou de ne pas croire, en prolongent la liberté de pensée dans la liberté de conscience, elle les garantit toutes.
Ce que n’acceptent ni les catholiques fervents, ni les musulmans très pratiquants de cet islam du voile qui prône un retour à la tradition et un repli communautaire, c’est précisément cette place que la raison a prise, entre science et politique, avec l’avènement de la démocratie et des droits de l’homme en Europe occidentale, avec l’affirmation de l’Etat de droit renvoyant les « droits de dieu » à la corbeille de l’histoire.
L’Eglise, les religions, alliées du libéralisme : toujours l’opium du peuple !
Le Pape nous dit-on a plaidé à l’occasion des JMJ pour une économie centrée sur l’homme plutôt que les profits, mais à chaque fois que l’Eglise a occupé l’Etat elle a justifié tous les systèmes, du féodalisme à l’économie de marché. Il suffit de se remettre en mémoire le rôle intégrateur que l’Eglise papale a entendu vouloir jouer lors du Traité constitutionnel européen du référendum de 2005, où elle imposait sa référence confondue avec l’histoire de l’identité d’une Europe qui pourtant s’était émancipée contre elle, tirant un trait sur la laïcité et 1789 tout en se portant garante du libéralisme.
Précisément, en ces temps de crise où les Etats ne se donnent plus comme responsabilité que de créer les conditions optimum à une économie de marché qui pille les plus pauvres au sud et détruit les acquis sociaux au nord, à un système immoral ou tout s’achète et se vend, où l’on doit réussir contre les autres selon une logique de la concurrence qui érige la loi du plus fort en règle de droit, c’est la religion qui redevient l’allié indéfectible. Elle donne ce bon vieux cadre moral selon lequel les derniers seront « les premiers », à savoir, les souffrances d’ici-bas dues aux inégalités sociales et économiques sont des épreuves imposées par dieu qui sont la promesse d’une place garantie au paradis pour les plus déshéritées d’entre nous… Une dévalorisation de la vie terrestre qui désintéresse les victimes de leurs intérêts en regard de ce système inique d’expropriation des richesses qu’ils créent, égoïste et cynique, qui les détournent de la recherche des causes de leur situation et de ses responsables.
Aujourd’hui comme hier, l’histoire continue de donner raison à un certain Karl Marx, qui dans sa contribution à La critique de la philosophie du droit de Hegel, dénoue le lien complice qui unit intérêts du Capital et religion. Une critique toujours d’actualité dans son intelligibilité vis-à-vis des rapports qu’entretient le libéralisme avec le communautarisme religieux, instrument de division et de domination des peuples. « La critique de la religion est la condition préliminaire de toute critique. Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. (…) Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel. (…) Elle est l’opium du peuple. »
Guylain Chevrier
216 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON