L’actionnariat universel : une idée qui fait son chemin
Sommes-nous enfin en train de rompre avec l’idéologie de la fin du travail ? Parallèlement à la libération du temps de travail, il est une réforme souvent promise jamais achevée, peut-être « la réforme du siècle », eu égard au bouleversement profond des mentalités et des rapports sociaux qu’elle engendrerait : celle qui parviendrait à marier vraiment et définitivement le travail au capital. « En 2008, notre politique de civilisation s’exprimera à travers notre capacité à mieux partager les rentes et les profits » a annoncé le président Sarkozy au cours de sa conférence de presse du 8 janvier. Il promet ainsi de créer « les conditions réglementaires et fiscales pour que la participation et l’intéressement puissent s’étendre à toutes les entreprises, y compris de moins de 50 salariés ». Et de promettre pêle-mêle : impôt sur les bénéfices stimulant pour ces dernières, libre choix par les salariés entre intéressement immédiat et participation bloquée, stock-options et actions gratuites pour tous, « triplement » de la réserve de participation. Il s’agirait de développer un « capitalisme d’entrepreneurs, un capitalisme familial plus enraciné dans les territoires (...) face à la montée en puissance des fonds spéculatifs extrêmement agressifs et des fonds souverains qui n’obéissent à aucune logique économique ». Enfin !... serait-on tenté de dire, si l’on ne craignait que l’annonce présidentielle tonitruante ne se traduise que par une énième réformette des lois sur la participation. Car c’est bien ici le projet gaulliste inachevé de « participation », prolongement économique et social de l’idée démocratique, que Nicolas Sarkozy semble enfourcher. Au cours des dernières années, on n’avait plus guère entendu que l’ancien Premier ministre Edouard Balladur ou Philippe de Villiers multiplier les propositions à ce sujet. Ce dernier, lui-même créateur d’entreprises (le « Puy du Fou », écoles de formation...) et président d’un département classé premier département français pour son dynamisme économique depuis plusieurs années, la Vendée (cf. L’Express, 11 mai 2006), rêve en effet de « l’émergence d’un véritable patriotisme d’entreprise ». Il a donc lancé l’idée de « l’actionnariat populaire universel » (proposition n°9 de son projet présidentiel) : « Il y a en France deux économies : l’économie des PME, assise sur la logique des hommes, de l’entreprenariat et de l’investissement, et l’économie du CAC 40, où le capital prospère à la bourse et le travail part en Chine, où l’on n’investit plus, puisqu’il faut payer les actionnaires. Ou bien l’on est propriétaire de l’entreprise, ou bien il y a un salaire, mais il doit y avoir une éthique de proportionnalité entre la responsabilité et la rémunération. Avec l’actionnariat universel je veux permettre à tous les Français de devenir actionnaires, et donc propriétaires de leur entreprise » concluait de Villiers. Un an après, voici donc la grande affaire de la « participation » remise à l’ordre du jour par le président de la République. Aujourd’hui, un quart seulement des salariés français bénéficient d’un mécanisme de participation, dont 1,6 millions d’actionnaires-salariés. Qu’en est-il dans le reste de l’Europe ? Que font les Américains ? Faut-il aller plus loin et comment ? Nous présenterons d’abord les mécanismes actuels de la participation dans sa double dimension - financière et décisionnelle - (I), puis un aperçu de ce que font avec un certain succès d’autres pays comme les Etats-Unis ou la Belgique (II), avant de suggérer quelques pistes étayant l’idée de l’« actionnariat populaire universel » ou 20 millions de salariés-actionnaires.
Après avoir arraché la France aux servitudes extérieures en l’aidant à recouvrer son indépendance, le général de Gaulle a entrepris de la libérer des servitudes intérieures qu’étaient d’une part le « régime des partis » auquel la Ve République a mis fin (du moins pour quelques décennies), d’autre part le poison de la lutte sociale dont la réforme de la « participation » pouvait être l’antidote [1]. L’échec du référendum de 1969 eut raison de son ambition d’associer le capital et le travail pour apaiser et transformer en profondeur la société française. D’importants jalons ont déjà été posés, avec l’intéressement créé en 1959, la participation et les plans d’épargne d’entreprise créés en 1967. Plus tard, entre 1986 et 1988, la loi sur les privatisations et l’ordonnance sur la participation ont permis un développement de l’actionnariat salarié qui représente, notamment dans les entreprises privatisées, une part significative du capital et des droits de vote. La loi sur la participation de 1994 a tenté de faciliter l’accès des salariés aux conseils d’administration. Enfin, les stock-options, créées en 1970, ont connu un développement important dans les grandes entreprises.
LES MECANISMES ACTUELS DE LA PARTICIPATION EN FRANCE
L’association du salarié « à la marche de l’entreprise » est évidemment financière (I) et, moins souvent, décisionnelle (II).
I - La participation financière des salariés
On distingue « l’intéressement » qui est facultatif, aléatoire et destiné à récompenser les performances collectives (1), la « participation aux résultats » qui est obligatoire dans les entreprises de plus 50 salariés et destinée partager une part des bénéfices (2) pouvant se traduire par une distribution en numéraire ou par remise d’actions de la société, on parle alors de « participation au capital » autrement dit de l’actionnariat salarié (3), l’ensemble des sommes distribuées pouvant alors faire l’objet d’une épargne salariale collective à travers les plans d’épargne d’entreprise et les plans d’épargne pour la retraite collectifs (4).
1) L’intéressement : récompenser les performances collectives
Créé en 1959, il est possible dans toute entreprise privée, quelle que soit sa taille. Facultatif et aléatoire il est placé sous le signe de la souplesse et récompense les performances collectives.
Il donne lieu à un versement immédiat d’un revenu disponible pour n’importe quelle dépense (pas d’épargne obligatoire). Mais les primes d’intéressement peuvent alimenter un compte épargne-temps [2].
Il n’a pas le caractère d’un salaire (il ne rémunère pas un travail mais traduit un résultat collectif atteint). Donc les sommes distribuées n’entrent pas dans le calcul du SMIC ni d’aucune indemnité fonction du salaire. Elles ne sont pas soumises à cotisations sociales mais à l’impôt sur le revenu (sauf si elles sont placées dans un PEE), à la CSG et à la CRDS
L’accord d’intéressement, conclu pour 3 ans, peut intervenir dans le cadre d’une convention collective de branche, d’un accord d’entreprise conclu avec les syndicats représentatifs mais aussi au sein du comité d’entreprise (entorse au monopole syndical de négociation) ou encore au terme d’un vote du personnel à la majorité des deux tiers.
Les méthodes d’intéressement sont librement choisies : participation collective aux résultats, à l’accroissement de la productivité, prime d’objectifs, etc. L’intéressement est plafonné à 20% du salaire pour éviter les excès.
L’intéressement individuel reste pratiqué au profit des cadres. L’intéressement collectif, qui doit concerner tout le personnel, apparaît, en période de rigueur salariale, comme un substitut possible à une augmentation des salaires.
En 2002, 4,6 milliards d’euros ont été versés au titre de l’intéressement, à 3,7 millions de bénéficiaires. La prime moyenne atteignait 1236 euros en 2002 contre 1195 euros en 2001. Il apparaît que plus l’entreprise est petite, plus la proportion de salariés ayant accès à l’intéressement est faible. Seulement 5 à 15% des entreprises de moins de 50 salariés (5% des entreprises de moins de 10 salariés) intéressent leurs salariés aux résultats.
2) La participation obligatoire aux résultats : partager les bénéfices
La participation, obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés [3] (mais seules 65% la pratiquent...), facultative pour les autres, vise à un partage des bénéfices.
La réserve de participation est le résultat de calculs complexes dont le point de départ est le bénéfice fiscal (bénéfice donnant lieu à l’impôt sur les sociétés). La répartition est fondée sur une stricte proportionnalité entre les sommes attribuées à chacun et les salaires perçus et doit bénéficier à tous les salariés [4].
Les droits sur la réserve de participation sont indisponibles pendant cinq ans (ou trois selon les accords) : c’est l’idée d’une épargne salariale obligatoire ou d’un salaire-investissement. Mais le décret a prévu des cas de déblocages anticipés : mariage, licenciement, mise à la retraite, préretraire, invalidité, décès, achat de logement... En pratique, les salariés débloquent de manière anticipée cette épargne obligatoire pour deux usages majeurs : la cessation du contrat de travail (retraite, démission, licenciement) et l’acquisition de la résidence principale.
Comme l’intéressement, la participation se distingue du salaire : elle s’y ajoute mais ne s’impute pas sur celui-ci. Les sommes distribuées échappent aux cotisations de sécurité sociale ainsi qu’à l’impôt sur le revenu. Elles comportent pour l’entreprise un avoir fiscal correspondant à la provision pour investissement.
La réserve de participation peut être diversement employée :
- à l’intérieur de l’entreprise : soit par une remise d’actions de la société aux salariés (suite à une augmentation de capital par incorporation de réserves, rachat des actions en bourse) qui doivent les conserver pendant cinq ans (ou trois selon les accords), soit par l’ouverture d’un compte courant au nom des salariés, bloqué pendant cinq ans ;
- sur le marché financier (« capitalisme populaire ») : les sommes sont gérées par les organismes de placement extérieurs (SICAV, assurances-vie, fonds communs de placement) ou affectées à un plan d’épargne d’entreprise où les salariés participent avec l’aide de l’entreprise à la constitution d’un portefeuille de valeurs mobilières, délivrées aux salariés au bout de cinq ans.
Les accords de participation peuvent se présenter sous la forme de conventions collectives, d’accords d’entreprise conclus avec les syndicats représentatifs dans l’entreprise ou encore d’offres ratifiées par référendum à la majorité des deux tiers. Si aucun accord ne peut intervenir, les travailleurs participent alors sous la formule du compte courant d’investissement où les sommes sont alors bloquées pendant huit ans.
3) La participation au capital : l’actionnaire salarié
L’actionnariat salarié, mode original de participation, est une vieille idée qui connaît depuis plusieurs années un regain de faveur en France depuis les privatisations de 1986-88 et 1993-97. De grandes sociétés s’y sont engagées : Air France (9,5%), Auchan (16%), Bouygues (11,5%), Vinci (9%), Société Générale (7,4%), BNP Paribas (5,1%), etc. Citons aussi les 130 000 salariés d’EDF ayant choisi, avec 5 millions de Français, de profiter de l’ouverture du capital de leur entreprise, record sans précédent, en France, d’actionnariat populaire. Mais la méfiance des épargnants reste chronique, entretenues par des scandales ou des faillites retentissantes : que sont devenues les économies des actionnaires salariés de Vivendi ou de Rhodia... ?
L’actionnariat salarié demeure aujourd’hui modeste dans son ampleur mais il est difficile d’obtenir des statistiques [5] du fait de la diversité des types d’actionnariats salariés : salariés titulaires d’actions, de parts de FCPE ou de SICAV par le biais de PEE et autres dispositifs collectifs ; salariés ayant acquis individuellement des actions de leur entreprise ou par leur épargne personnelle, attribution d’actions gratuites et d’options ou à l’occasion d’une augmentation de capital ou d’une privatisation.
3.1) Distribution d’actions à tarif préférentiel
Inspirées par le « capitalisme populaire » et les stock-options du droit américain, plusieurs lois ont facilité l’acquisition des actions des sociétés par leur propre personnel lors d’émissions d’actions. Leur succès en France reste cependant limité aux cadres dirigeants, qui peuvent ainsi faire échapper une partie de leur rémunération aux charges sociales.
Sur autorisation de l’assemblée générale des actionnaires, des options de souscription ou d’achat d’actions (stock-options) peuvent être consenties à certains salariés. Ceux-ci reçoivent une option leur permettant dans un certain délai d’acheter une action à un prix déterminé. Si avant l’expiration du délai, le cours de l’action est supérieur au prix, le salarié a intérêt à lever son option, c’est-à-dire acheter l’action qu’il peut alors revendre avec une plus-value. Le prix de cession doit correspondre au cours de bourse moyen des valeurs de l’actif net mais peut faire l’objet d’un rabais allant jusqu’à 20%. Si les options sont conservées pendant cinq ans, elles bénéficient d’une exonération de cotisations sociales et d’un régime fiscal avantageux [6].
Enfin, l’actionnariat salarié est encouragé au travers des augmentations de capital, là encore à un prix et avec un régime fiscal et social avantageux. A chaque décision d’augmentation ou tous les trois ans si la participation des salariés au capital est inférieure à 3%, l’AG doit se prononcer sur un projet de résolution tendant à une augmentation de capital au profit des salariés.
3.2) Distribution gratuite d’actions
Prévue [7] pour les sociétés ayant distribué au moins deux dividendes dans les cinq dernières années, cette distribution suppose une augmentation de capital au profit des salariés (toujours dans la limite de 3%) et pour ne pas trop léser les anciens actionnaires, l’Etat paie la valeur des titres à concurrence de 65%.
Ce sont les salariés ayant deux ans d’ancienneté et ressortissants de l’Union européenne qui en bénéficient.
Les actions distribuées comportent droit de vote et droit aux dividendes. Elles sont indisponibles pendant un délai de 3 à 5 ans.
Peu de sociétés ont profité de cette faculté, alors qu’elle leur ouvre une créance sur le Trésor, portant intérêt, remboursable en dix ans, ce qui est très avantageux. Certains s’interrogent toutefois sur l’opportunité d’une politique sociale consistant à « faire aux frais du contribuable des cadeaux non désirés aux salariés » [8].
4) L’épargne salariale [9]
Les plans d’épargne d’entreprise (PEE) sont un système collectif et facultatif d’épargne donnant aux salariés la possibilité de participer à la constitution de portefeuilles de valeurs mobilières. C’est aussi un système de gestion de l’épargne salariale par l’entreprise elle-même.
Il exprime autant une recherche de prévoyance collective - épargne en vue de la retraite par exemple - qu’une volonté d’association des salariés au profit.
Le PEE recueille les sommes dues au salarié au titre de la participation ou de l’intéressement, celles provenant de l’épargne volontaire individuelle du salarié (maximum un quart de sa rémunération annuelle), ainsi que l’éventuelle contribution supplémentaire de l’entreprise [10] (abondement) déductible des bénéfices, exemptée d’impôt sur le revenu et de cotisation de sécurité sociale (sauf CSG et CRDS). De même, les plus-values et revenus échappent à l’impôt sur le revenu mais restent soumis à la CSG et la CRDS.
Le plan qui est géré par l’entreprise ou par un organisme spécialisé, consiste en un placement des sommes en parts de SICAV, fonds commun de placement diversifié ou actions de l’entreprise. Les revenus de ce portefeuille collectif sont exonérés d’impôt sur le revenu s’ils sont réinvestis. Le capital acquis pour le compte des salariés est indisponible pendant 5 ans.
L’accord collectif n’est pas nécessaire et le PPE peut résulter d’une décision unilatérale de la direction. Tous les salariés doivent pouvoir y participer sur un pied d’égalité, peu importe leur performance individuelle ou leur position dans la hiérarchie des salaires.
Depuis les lois du 19 février 2001 et du 21 août 2003, l’épargne salariale se développe de trois manières :
- les petites entreprises peuvent créer entre elles des plans d’épargne interentreprises, certains mandataires sociaux peuvent en bénéficier ainsi que les travailleurs précaires ;
- l’épargne à long terme est favorisée avec le plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO [11]) qui immobilise l’épargne sur 10 ans (au lieu de 5) avec en contrepartie des dégrèvements sociaux et fiscaux plus importants et un abondement par l’entreprise jusqu’à 4 600 euros. Si la retraite par capitalisation (fonds de pension) se développe, ce sera par le biais de cette variété de plans d’épargne d’entreprise ;
- l’épargne tout au long de la vie est encouragée par la possibilité de transfert d’une entreprise à une autre des droits individuels acquis par le salarié, répertoriés dans un livret d’épargne salariale qui lui est remis.
Une partie des syndicats est hostile à ce développement de l’épargne salariale, par crainte qu’il n’affaiblisse davantage la protection sociale par répartition au profit de la capitalisation. Néanmoins, les CGT, CFDT, CGC, CFTC ont créé en 2002 un comité intersyndical de l’épargne salariale qui délivre des labels syndicaux aux opérateurs financiers.
Le livret d’épargne, l’immobilier et les contrats d’assurances-vie demeurent les placements les plus privilégiés par les Français, loin devant l’épargne salariale dont bénéficient 4,6 millions de Français.
II - La participation à la gestion
Le droit social et le droit des sociétés prévoient différentes instances et procédures par lesquelles les salariés peuvent intervenir, directement ou par leurs représentants, dans les grands choix stratégiques de leur entreprise, en particulier à travers les attributions économiques du comité d’entreprise et des possibilités de participation à la gestion et aux décisions via les conseils d’administration.
1) Le rôle du comité d’entreprise
Obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, il assure « l’expression collective des salariés » et la « prise en compte permanente de leurs intérêts » [12]. Le CE est autonome de l’entreprise et détient un pouvoir exclusivement consultatif. Il n’a ni pouvoir de cogestion, ni pouvoir de négociation.
Il est informé et consulté sur les décisions et projets concernant la gestion et la stratégie économique, les questions de recrutement, les mesures menaçant les effectifs, l’aménagement et la durée du travail, l’élaboration du règlement intérieur, les congés, les conditions de travail, l’épargne salariale, la formation, la rémunération et la prévoyance, les difficultés des entreprises (licenciements, restructurations), les transferts, fusions, scissions, cessions, concentrations. Plus généralement, il est consulté avant toute modification importante des structures de production ou de l’organisation économique et juridique de l’entreprise.
Il détient en outre le pouvoir de recourir à des expertises et audits indépendants pour s’informer ainsi qu’un droit d’alerte pour prévenir des difficultés.
2) La présence de salariés dans les organes de décision
Prévue dans le préambule de la Constitution, la participation aux décisions a été jusqu’ici sacrifiée à la participation aux résultats de l’entreprise. La présence de salariés dans les organes de la société de capitaux (SA, SARL) acceptée en Allemagne, inconnue en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, reste embryonnaire en France.
Cette participation facultative au conseil d’administration s’organise de la façon suivante [13] : lorsque les salariés détiennent plus de 5% du capital de la société, l’assemblée générale extraordinaire doit décider si une clause des statuts doit être modifiée pour faire entrer un ou deux administrateurs salariés au conseil d’administration. Les administrateurs salariés sont élus par les actionnaires salariés.
III - Les objectifs de la loi du 30 décembre 2006 sur le développement de la participation et de l’actionnariat
1) Création d’un « dividende du travail » que les entreprises peuvent verser à leurs salariés et qui pourra prendre la forme d’un supplément de participation, d’intéressement ou d’une distribution collective d’actions gratuites.
2) Instauration de la possibilité d’un intéressement pour un projet déterminé.
3) Généralisation des plans d’épargne entreprise (PEE) dans les entreprises qui disposent d’un accord de participation.
4) Encouragement à la diffusion dans les PME des dispositifs de participation en prévoyant une obligation pour les branches de négocier des accords cadres dans les trois ans.
5) Lorsque les salariés possèdent plus de 3% du capital d’une société cotée en bourse, la désignation d’administrateurs actionnaires salariés par l’assemblée générale.
6) Création d’un nouveau type d’actions gratuites qui bénéficie à tous les salariés d’une entreprise.
7) Elle permet que les fonds communs de placement d’entreprises (FCPE) nouent des pactes d’actionnaires dans les entreprises non cotées en bourse et crée un nouveau type de FCPE destiné à la reprise de l’entreprise par ses salariés : un avantage fiscal sous forme de crédit d’impôt lui est associé.
LES MECANISMES PARTICIPATIFS A L’ETRANGER
Nos systèmes de participation et d’intéressement apparaissent beaucoup plus proches des régimes anglais et américains que de ceux d’Europe continentale. Cependant, le système français de participation se distingue des dispositifs anglo-saxons par son caractère obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés et par la définition législative de son mode de calcul.
L’examen des principaux systèmes européens et américains [14] permettant aux salariés de participer au capital ou aux bénéfices de l’entreprise, met en évidence que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont multiplié les systèmes de participation financière depuis les années 70, tandis que la participation financière demeure peu développée en Europe continentale.
1) Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis
Il existe dans ces deux pays plusieurs formules de participation des salariés aux bénéfices et au capital de l’entreprise qui les emploie : partage du profit avec paiement en actions ou en numéraire, plans d’actionnariat collectifs, plans d’options sur actions... Toutefois, comme aucun des systèmes de participation n’est obligatoire, les entreprises demeurent libres de les instituer ou non. De plus, le mode de calcul des primes d’intéressement ou de participation n’étant pas fixé au niveau national, les employeurs disposent d’une liberté certaine.
Les différents régimes créés par l’entreprise ne bénéficient d’un traitement fiscal favorable que dans la mesure où ils respectent certains critères : durée minimale de détention des actions ou des primes d’intéressement, plafonnement des sommes attribuées, mode de calcul identique des primes pour tous les salariés...
Par ailleurs, aux Etats-Unis, la participation financière des salariés constitue plus un dispositif d’épargne en vue de la retraite qu’un mécanisme de rémunération. En effet, la plupart des systèmes de participation offrent une possibilité de report d’imposition jusqu’à l’âge de la retraite, car l’imposition est différée dans la mesure où les sommes distribuées et les produits financiers associés ne sont pas perçus. Dans le cas contraire, le salarié paie non seulement l’impôt dû, mais également une taxe complémentaire, à moins qu’il ne se trouve dans une situation (maladie, licenciement...) justifiant un versement anticipé.
Actuellement, 10% du capital des sociétés américaines appartiennent à leurs salariés et anciens salariés et ces derniers sont même majoritaires dans le capital d’environ 2 500 sociétés.
2) En Belgique
Devant l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède, c’est la Belgique qui a fait le plus d’efforts pour développer la participation financière depuis le début des années 80, notamment avec la loi du 28 décembre 1983, dite loi Monory bis, qui cherche à inciter les salariés à acheter des parts sociales de leur entreprise. Une déduction fiscale annuelle de 22 000 BEF (environ 3 300 FRF) leur est en effet offerte, à condition qu’ils conservent leurs parts pendant au moins cinq ans. Par ailleurs, la loi du 18 juillet 1991 permet aux sociétés qui ont distribué à deux reprises au moins des dividendes au cours des trois dernières années d’émettre des actions réservées aux membres du personnel. Les actions sont proposées avec une décote maximale de 20%.
PROPOSITION POUR « L’ACTIONNARIAT POPULAIRE UNIVERSEL »
Dans la guerre économique qui se déroule sous nos yeux, certains économistes comme Jacques Marseille en appellent au « patriotisme économique du peuple » à travers son épargne, qui est considérable, « plutôt que de s’indigner de l’appétit des fonds de pension étrangers qui viendraient égorger nos fils et nos compagnes » [18]. Il estime que si les Français convertissaient en actions cotées la moitié de leur patrimoine en assurances-vie (900 milliards d’euros), ils pourraient contrôler la quasi-totalité des entreprises du CAC 40, « OPA amicale d’une ampleur sans pareille ». Rappelant que malgré l’énorme krach de 2000/2001, 1 000 euros placés en 1991 sur l’un des fonds de pension français les plus performants auraient fait « des petits » jusqu’à 6 000 euros, il conclut que « tel est le vrai ’patriotisme économique’, non pas celui des stratèges de cabinets et des stratégies de tranchées mais celui d’un projet résolument national, non pas nationaliste, mais réellement patriote ».
1) Pourquoi développer l’actionnariat-salarié ?
Depuis 30 ans, le rendement moyen des actions est de 3 à 4% par an hors inflation. Les salaires, eux, ont progressé de 2% par an. Les actions font donc mieux que les salaires mais ne donnent pas droit à une retraite : l’idéal est donc d’être à la fois salarié et actionnaire. D’ailleurs, l’indice boursier de l’actionnariat salarié (IAS) fait apparaître le rendement exceptionnel de ces valeurs : 10,69% par an depuis 1990 [19].
Or, aujourd’hui 8% seulement des salariés français sont actionnaires de leur entreprise (1,6 million sur environ 20 millions de salariés).
Les avantages de l’actionnariat salarié :
- il permet de développer un état d’esprit d’entrepreneur en dépassant les vieilles divisions capital/travail ;
- d’ouvrir aux salariés une part de la valeur créée par l’entreprise (dividendes, intéressement, plus-value des actions, stock-options) ;
- de concilier l’intérêt des salariés et celui de l’entreprise moderne confrontée à la compétition mondiale ;
- de conforter un actionnariat par nature fidèle et stable ;
- de rendre les entreprises françaises moins vulnérables aux appétits étrangers ;
- d’intéresser les salariés à la gestion patrimoniale.
2) Les contours d’un véritable « actionnariat populaire universel »
L’idée dépasse dans son ambition celle de toutes les propositions législatives émises jusqu’à présent. L’objectif, contenu dans le terme « universel » viserait à ce que chaque salarié devienne actionnaire de son entreprise, principe qui pourrait concerner toutes les entreprises, privées comme publiques, soit 20 millions de salariés. Il s’agit d’obtenir de toutes les entreprises françaises publiques et privées qui réalisent des bénéfices, qu’elles aient ouvert, en cinq ans, au minimum 20% de leur capital à leurs salariés et retraités français ou ressortissants de l’Union européenne [20]. L’actionnariat universel pourrait être mis en place au moyen d’une augmentation de capital, actions ou parts sociales au profit des salariés gratuitement [21] ou à tarif préférentiel. Ensuite et sauf les supprimer complètement, chaque institution de stock-options par l’assemblée générale devrait alors concerner tous les salariés. Les actions ou parts seraient obligatoirement bloquées pendant 5 ans sur un plan d’épargne d’entreprise (ou interentreprises pour les PME et TPE, ou sa variante plan d’épargne pour la retraite collective). Elles pourraient être libérées exceptionnellement en cas de démission, licenciement, retraite, acquisition de la résidence principale, mariage, naissance du 3e enfant, 18 ans, etc. On y assortirait les encouragements fiscaux et sociaux habituels pour l’entreprise et le salarié. Enfin, ces salariés seraient pleinement actionnaires, c’est-à-dire qu’ils désigneraient des représentants ayant droit de vote (ce qui suppose qu’ils se regroupent en associations) dans les AG des SARL, les conseils d’administration et conseils de surveillance des S.A, et naturellement droit aux dividendes.
CONCLUSION : « RENONCER AU RENCONCEMENT »
La France montrerait ainsi le chemin pour sortir des idéologies absurdes autant qu’archaïques qui opposent stérilement le capital au travail, là où notre économie a besoin d’un libéralisme responsable et qui profite à tous. En protégeant le travail des OPA et des délocalisations, le patriotisme d’entreprise généralisé aux 20 millions de salariés français, offrirait à chacun les moyens d’être associé à la marche de nos entreprises, aux résultats qu’elles obtiennent et aux services qu’elles rendent à la communauté nationale. Au-delà d’une telle révolution et des réformes associées, telle la sortie des 35 heures obligatoires, la restitution aux Français de leur pouvoir d’achat et de vraies marges de croissance suppose une autre rupture, bien plus importante encore. Celle qui mettrait fin à ce que l’économiste libéral Jean-Jacques Rosa a appelé « l’erreur européenne », en particulier l’euro qui n’a tenu aucune de ses promesses, « la plus grave erreur économique commise depuis la politique déflationniste qui a transformé la crise boursière de 1929 en décennie tragique » [22]. Mais malgré toute l’énergie et l’audace affichées par le président et son équipe gouvernementale, tous, Parti socialiste compris, semblent résignés à continuer l’Union-européenne-telle-qu’elle-est, jusqu’à l’absurde, en ramenant par la fenêtre parlementaire la Constitution Giscard mise à la porte par référendum. Pour enfin « renoncer au renoncement », la France devra donc attendre encore un peu. Attendre qu’accèdent au pouvoir des hommes et des femmes totalement libérés des idéologies du siècle dernier. La prochaine génération... peut-être.
Christophe BEAUDOUIN
Notes
[1] « Faudra-t-il donc que nous demeurions dans cet état de malaise ruineux et exaspérant où les hommes qui travaillent ensemble à une même tâche opposent organiquement leurs intérêts et leurs sentiments ? Sommes-nous condamnés à osciller toujours douloureusement entre un système en vertu duquel les travailleurs seraient de simples instruments dans l’entreprise dont ils font partie et un autre qui écraserait tous et chacun, corps et âme, dans une odieuse machinerie totalitaire et bureaucratique ? Non ! La solution humaine, française, pratique de cette question qui domine tout n’est ni dans cet abaissement des uns, ni dans cette servitude de tous. Elle est dans l’association digne et féconde de ceux qui mettraient en commun, à l’intérieur d’une même entreprise, soit leur travail, soit leur technique, soit leurs biens, et qui devraient s’en partager, à visage découvert et en honnêtes actionnaires, les bénéfices et les risques. Certes, ce n’est pas cette voie que préconisent, ni ceux qui ne veulent pas reconnaître que rehausser la dignité de l’homme c’est non seulement un devoir moral mais encore une condition du rendement, ni ceux qui conçoivent l’avenir sous la forme d’une termitière. Mais quoi ? C’est la voie de la concorde et de la justice fructifiant dans la liberté ! » (Général de Gaulle, Strasbourg, 7 avril 1947)
« II ne faut pas cacher son drapeau. A l’occasion des investissements industriels, on organise la participation des travailleurs à l’autofinancement. Ce n’est quand même pas la lune ! Ça ne va pas chercher très loin ! Ça n’est pas colossal ! » (16 février 1966, cité par Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, p. 79)
« Les syndicats exploitent la lutte des classes. Nous voulons dépasser la lutte des classes. La lutte des classes a le salaire pour enjeu ; elle y trouve un objet commode de contestation. Nous voulons un enjeu qui intéresse à la fois le capital et le travail : c’est l’investissement. » (12 juillet 1967, cité par Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, p. 240)
[2] Loi du 25 juillet 1994 (art L.227-1)
[3] Selon le Conseil supérieur de la participation, 35% de ces entreprises ne respectent pas l’obligation légale. Et seulement 1% des entreprises de 1 à 9 et 5% des entreprises de 10 à 50 la pratiquent facultativement.
[4] Un minimum d’ancienneté peut être exigé, sans pouvoir être supérieur à 6 mois.
[5] Ils seraient environ 1,6 million d’actionnaires salariés sur les 3,6 millions d’actionnaires personnes physiques, selon le sénateur Philippe Marini (séance du 18 mars 2003, projet de loi sur la sécurité financière).
[6] Exemple : un salarié reçoit une option à 150 €. Le jour de la levée d’option, le cours du jour est à 170 €. Il revend l’action 190 €. L’écart entre 150 € et 170 € sera taxé à 40%, celui entre 170 € et 190 € à 26%.
[7] Loi du 24 octobre 1980 renforcée par la loi du 19 février 2001.
[8] Pélissier, Supiot, Jeammaud, Droit du travail, précis Dalloz, p.1172.
[9] Art L.443-1 et sq du code du travail.
[10] Dans la limite du triple du versement des salariés et jusqu’à 2 300 € ou 3 430 € si le plan est investi en actions de l’entreprise.
[11] Au 1/01/2005, 73 millions d’euros ont été placés dans les PERCO. Celui mis en place en 2004 par le groupe CARREFOUR a été souscrit par 15 000 salariés.
[12] Art L. 431-4 et 5
[13] Loi du 25 juillet 1994
[14] Source : Synthèse d’une note du service des affaires européennes du Sénat, septembre 1999.
[15] L’imposition des bénéficiaires serait reportée au jour de la revente des actions ; la plus-value d’acquisition imposée au taux de 30% et la plus-value de cession au taux de 16%. Les cotisations sociales s’appliqueraient dans les conditions de droit commun. Aucune cotisation sociale ne serait en revanche perçue au titre des attributions faites de manière inconditionnelle et irrévocable.
[17] "Je propose la suppression des stock-options. Je ne vois pas pourquoi les grandes multinationales feraient un sort différent à leurs dirigeants que les PME. C’est très injuste pour les patrons des PME. Il y a en France deux économies : l’économie des PME, assise sur la logique des hommes, de l’entreprenariat et de l’investissement, et l’économie du CAC 40, où le capital prospère à la bourse et le travail part en Chine, où l’on n’investit plus, puisqu’il faut payer les actionnaires. Ou bien l’on est propriétaire de l’entreprise, ou bien il y a un salaire, mais il doit y avoir une éthique de proportionnalité entre la responsabilité et la rémunération. L’actionnariat universel : permettre à tous les Français de devenir actionnaires, et donc propriétaires de leur entreprise." Philippe de Villiers, président du MPF (Marianne, du 24 au 30 juin 2006).
[18] "Il est assez paradoxal de constater que le pays qui a le taux d’épargne le plus élevé est aussi celui dont les entreprises cotées sont les plus ouvertes au capital étranger. Ce n’est pas la Caisse des dépôts et consignations, dont le portefeuille d’actions avoisine 30 milliards d’euros, qui sauvera les entreprises françaises mais les centaines de milliards d’euros ’oisifs’ que détiennent les Français." Jacques Marseille, Allons enfants de la patrie
[19] L’IAS mesure la performance boursière des sociétés dotées d’un actionnariat salarié significatif. Source : Cabinet Hewitt, www.actionnariat-salarie.com
[20] Rappelons que c’est le cas aux Etats-Unis où ils sont même majoritaires dans 2 500 sociétés.
[21] Ex : par distribution gratuite d’actions sur le mode de la loi de 1980 où l’Etat paie la valeur des titres à concurrence de 65%.
[22] Jean-Jacques Rosa, L’Erreur européenne, Grasset, 1998.
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