L’Annonce faite au Parvis : Notre-Dame, le Président et ses flèches
« ... il savait par expérience que, quand on échoue, on devient une menace pour les autres »
« Le monde était si grand qu'il était assis. En lui, il y avait le vide plein d'échos d'une cathédrale »
Clarice Lispector, Le bâtisseur de ruines, Canto, Violante do (trad.). Paris : Gallimard, "Du Monde entier", 1970.

Mardi dernier, devant Notre-Dame dévastée, M. Macron a appelé à rebâtir ensemble.
J'ai alors repensé au titre de cet étrange et superbe roman de Clarice Lispector, femme de lettres brésilienne, intitulé "le bâtisseur de ruines", cité en exergue de ce billet.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'un bâtisseur de ruines.
Une citation en rappelant une autre, qu'il me soit permis d'inviter aussi les lecteurs à lire, si ce n'est déjà fait, ce très bon texte d'Amaury Grandgil récemment publié sur Agoravox, intitulé "Un homme nommé Macron". :https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/un-homme-nomme-macron-214404#forum5473556
Puisqu'il s'agit d'un projet de spectacle dans la veine de ceux de Robert Hossein, il faudra permettre aux spectateurs de voter.
Ce vote est très important. Imaginez un peu !
M. Macron nous propose, entre autres choses, une restauration architecturale interactive de Notre-Dame de France.
Un concours international est en passe de s'ouvrir et tous les coups seront probablement permis pour restaurer-restituer-repenser la Flèche de Viollet-le-Duc.
Peut-être aurons-nous un jour un chevet en plexiglas, une charpente en duralumin ou en lamellé-collé (comme dans les gymnases), ou en fibres de carbone, un roof-top, un toit végétalisé, un phare, un belvédère, un minaret, qui sait ?
Comme l'écrit l'universitaire Claude-Rochet dans un autre billet, Notre-Dame n'est pas un terrain de jeu pour l'art contemporain.
https://www.causeur.fr/notre-dame-reconstruction-pinault-fleche-160784
Sujet complexe mais surtout sujet pointu, s'il en est.
Mais il n’est pas sûr, loin s'en faut, que la création d’une nouvelle flèche, malgré le concours lancé auprès des architectes, s’impose in fine. Comme le dit aussi Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, conseiller d'Etat et dont le parcours tant professionnel qu'artistique lui a donné une connaissance approfondie de ces questions, il est fort possible que la reconstruction à l’identique l’emporte, non par conservatisme, mais pour de simples raisons de budget, de délai et de commodité technique.
Est-il surtout besoin de rappeler que la France a par ailleurs signé la Charte de Venise qui protège les bâtiments historiques et va dans le sens de la restauration pure et simple ?Quid de la Charte de Cracovie qui, après les chartes d'Athènes et de Venise, préconise une prudence raisonnée dans les restaurations architecturales ?
Est-il besoin de rappeler encore - manifestement tel semble être le cas, ce que je fais ici -, que nous disposons en France d'un trésor de savoir-faire millénaire précisément hérité des...Compagnons du Tour de France dont le talent en matière de métiers et d'arts nés des...Cathédrales, n'est plus à démontrer ?
http://compagnonsdutourdefrance.org/
Malheureusement la pauvre mise en scène qui nous est servie, sans doute un peu laborieuse, se précise malgré tout.
L'Annonce faite au Parvis parle déjà.
Elle ne représente rien, sinon un intermède dans un processus d'obsolescence politique programmée.
Car voyez-vous, l'important, l'urgence est qu'il ne faut surtout pas perdre le rythme, veiller à ne rien laisser passer, sauter sur toutes les occasions. le "Grand débat" post-Gilets Jaunes et l'allocution destinée à diffuser le programme n'ont pu avoir lieu ? Qu'à cela ne tienne ! L'incendie de la Cathédrale est une aubaine de première grandeur. Le genre d'événement "total" qui ne se produit qu'une fois dans une vie ! L'effet "band wagon" a joué à plein avec cette équipe politique qui aura sauté dans le premier wagon du train pour capter, prendre tout l'éclat des lueurs de l'incendie et jouer sa propre partition en une salade de projets qu'il convenait d'annoncer pour les accaparer, mêlant la fête olympique à la restauration de la cathédrale ravagée, livrant ainsi au public, hors toute pudeur et en complète obscénité, une nouvelle confusion des genres et des sentiments parée de fausse dignité.
Il n'est qu'à regarder cette étonnante photographie figée dans une pseudo officialité, avec le prédicateur en chef, son coadjuteur et ses zélateurs de circonstance, pour voir ce qu'il en est.Si nous n'étions pas en mesure d'identifier quelques visages, nous nous demanderions avec justesse : "Mais qui sont ces gens ?"
Cinéma, spectacle, roman national, retour de la Culture refoulée, ("Il n'y a pas de culture française !", avait-on pourtant cru entendre à Lyon le 4 février 2017. http://www.contre-info.com ).
Théâtre politique absolu, jusqu'à la nomination, mercredi, comme « représentant spécial » d’Emmanuel Macron pour la reconstruction de Notre-Dame, d'un ancien chef d'Etat-Major pour piloter la reconstruction de la cathédrale. On sent effectivement planer l'ombre de Robert Hossein, le talent en moins.
Comme l'expose le très intéressant article du metteur en scène Laurent Bazin intitulé : « Robert Hossein : un théâtre œcuménique ? » ci-après sourcé, "Hossein veut faire des spectacles qui parlent à l’âme du peuple. La pratique de bas tarifs, l’exhibition de chefs-d’œuvre ne suffisent pas. Hossein se met au diapason de la sensibilité populaire : il partage les goûts de son public, celui qui rentre fatigué du travail avec l’urgence de ne pas s’ennuyer et s’extasie devant Charlton Heston. À l’heure où le brechtisme triomphe, où la distanciation fascine les metteurs en scène français, Hossein se fait un partisan convaincu de l’émotion. En ce sens, s’il est en décalage avec l’histoire du théâtre, s’il s’appuie sur des postulats qui n’ont plus cours pour les grandes figures de la mise en scène de l’époque, il est tout à fait en phase avec son public, ce grand public qui n’a pas intériorisé les méfiances des détracteurs de la manipulation de masse. Hossein postule que l’émotion est le prélude de la réflexion et non l’inverse. Si l’on passionne le public par de grandes œuvres, on le conduira à réfléchir sur son existence."
Macron-Quasimodo-Frollo, quel cocktail ! Le temps des Bâtisseurs est revenu, mais pas exactement celui des Cathédrales, toutefois.
C’est en ce sens que l’on peut comprendre ce slogan qui me vient à l'esprit en pensant à l'entrée par effraction du chef de l'Etat dans l'actualité : « Du théâtre et du cinéma comme vous n’en verrez qu’en politique ! ».
Car pour en revenir à l'analyse du théâtre d'Hossein (" Du théâtre comme vous n’en verrez qu’au cinéma"), comme l'écrit Laurent Bazin, "Cette formule en effet ne désigne pas toutes les productions cinématographiques, mais bien les productions hollywoodiennes, leur faste, leur rythme et leurs émotions fortes : Ben-Hur (Ben-Hur, William Wyler, 1959), Cecil B. DeMille, Humphrey Bogart sont des figures qui ont ému Hossein, représentant autant d’émotions qu’il cherchera inlassablement à transposer au théâtre. « On aura compris le genre de ciné que j’aime… moi au cinoche j’y vais pour monter en croupe derrière le héros, ou dans la nacelle du ballon de ce vieux Jules Verne ».
On aura compris le genre de politique-spectacle que j'aime, croit-on entendre en écoutant s'exprimer le président de manière subliminale...moi, au pouvoir, j'y vais pour reconstruire une cathédrale !
"En matière de communication, continue Laurent Bazin à propos de R. Hossein, les moyens mis en œuvre sont extrêmement puissants, rarement mobilisés au théâtre. Réutilisant l’inspiration graphique des affiches de cinéma, (R. Hossein) impose partout dans Paris les affiches de ses spectacles et travaille même sur un affichage à énigme et en plusieurs temps. Qu’on songe par exemple aux mystérieuses affiches blanches sur lesquelles on pouvait lire, il y a quelques mois : « N’ayez pas peur », prélude énigmatique à la promotion du spectacle sur Jean-Paul II. Pour cela, Robert Hossein bénéficie de la complicité de plusieurs grands hommes d’affaires (Jean-Luc Lagardère, François Pinault) et surtout de celle de médias de masse (RTL, Europe 1, TF1).
Comme quoi...
Il y a eu Notre-Dame de Paris, d’après le roman de Victor Hugo, avec mise en scène de Robert Hossein, Palais des Sports, Paris, 1977-1978.
Il y a eu "Jésus était son nom", adaptation historique d’Alain Decaux, avec mise en scène de Robert Hossein, Palais des Sports, Paris, 1991-1992.
Les prochaines affiches sont déjà annoncées :
"Macron, celui qui a osé reconstruire Notre-Dame de Paris".
"Emmanuel était son nom".
Et depuis mercredi, sur vos écrans et sous chapiteau géant : "Faites-moi confiance..."
Prenez vos billets.
Mais gardons à l'esprit la conclusion formulée par Mme Dominique Alba, directrice générale de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), et architecte, déclarant que : "La basilique de St Denis et Notre-Dame sont des sœurs et au moment de réflexion sur le Grand Paris, (il) est intéressant qu’elles aient toutes les deux des problèmes de flèches. Peut-être la tragédie de Notre-Dame va-t-elle remettre les cathédrales au premier plan ; c’est peut-être un cadeau que Notre-Dame va offrir au début du 21ème siècle."
Sur la reconstruction :
L’heure n’est désormais plus à la restauration mais à la reconstruction
Or, rappelons-le encore une fois, la charte de Venise, qui définit les principes de la restauration et que la France a ratifiée (ce qui l’engage), impose certaines contraintes. D’abord, « les apports valables de toutes les époques à l’édification d’un monument doivent être respectés, l’unité de style n’étant pas un but à atteindre au cours d’une restauration ». Viollet-le-Duc constitue, ô combien, un apport valable à Notre-Dame-de-Paris, et ses adjonctions sont d’ailleurs classées au même titre que le reste du monument. On peut aussi y lire que la restauration « a pour but de conserver et de révéler les valeurs esthétiques et historiques du monument et se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents authentiques. Elle s’arrête là où commence l’hypothèse » Et, pour la flèche de Viollet-le-Duc, élément constitutif de la cathédrale depuis plus d’un siècle, les documents authentiques sont légion (on conserve tous les plans de l’architecte), tandis que sa structure et sa forme sont parfaitement connues grâce aux photographies et aux relevés modernes. Il n’y a donc aucune hypothèse à ce sujet. Puisqu’il ne s’agit pas d’une « reconstitution conjecturale » (terme employé dans la charte), il n’y a aucune raison d’envisager pour elle qu’elle « porte la marque de notre temps » (ce qu’impose la charte dans ce cas), et encore moins, comme le veut Emmanuel Macron, qu’il s’agisse d’« un geste architectural contemporain ».
Sources :
Bazin Laurent, « Robert Hossein : un théâtre œcuménique ? », Études théâtrales, 2007/3 (N° 40), p. 112-121. DOI : 10.3917/etth.040.0112. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-theatrales-2007-3-page-112.htm
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2018 https://doi.org/10.3917/etth.040.0112
Amaury Grandgil : https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/un-homme-nomme-macron-214404#forum5473556
Extrait du discours d'Emmanuel Macron à Lyon le 4 février 2017. http://www.contre-info.com
Claude Rochet, article publié dans Causeur, 19 avril 2019 : https://www.causeur.fr/notre-dame-reconstruction-pinault-fleche-160784
Clarice Lispector, A maçã no escuro (1961). (La pomme dans le noir). Le bâtisseur de ruines, CANTO, Violante do (trad.). Paris : Gallimard, 1970.
https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/il-est-venu-le-temps-des-batisseurs
https://www.tourisme93.com/des-chartes-pour-encadrer-la-restauration-des-monuments-historiques.html
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