L’assaut de la Droite contre l’AFP : information et communication
Dans une interview au « Journal du Dimanche » du 10 mai 2008, la ministre de la culture a émis une idée aussi inédite que curieuse : elle souhaite que « l’Agence France Presse mette à disposition de ses abonnés l’ensemble des communiqués de presse des partis et des organisations syndicales sur un espace spécifique et facilement accessible, selon des modalités à préciser et à organiser (…) afin de diffuser plus largement et de façon totalement neutre leurs points de vue. »
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH225/IMG_3507-83afb.jpg)
Un label médiatique convoité
Cette recherche d’un label médiatique pour des communiqués partisans, n’est, elle, en tout cas pas neutre. C’est la riposte du pouvoir après les critiques qu’aurait récemment formulées le Président de la République devant les députés de sa majorité contre la presse, accusée de “s’attribuer la fonction d’opposition” qui ne serait plus assumée par les forces politiques.
La proposition suscite, on l’imagine, une vive émotion dans le milieu journalistique, Quelles que soient les précautions prises par la ministre, l’AFP n’est-elle pas invitée à jouer en partie le rôle discrédité d’une agence officielle, comme en ont connu feu les démocraties populaires, qui n’étaient ni l’une ni l’autre ? Cette confusion des genres n’est-elle pas lourde d’un discrédit à venir encore plus grand pour des médias déjà accusés de connivence avec les politiques ?
Il existe un “Journal Officiel”. Tant qu’à faire et à innover, n’est-ce pas à cet organe gouvernemental d’assumer cette fonction de collecte des communiqués émis par les forces représentatives du pays pour les mettre à disposition ? Internet offre des possibilités inconnues des anciens téléscripteurs. Mais, c’est vrai, il manquera toujours à ces communiqués partisans le label médiatique dont on feint de croire qu’il change le plomb en or.
Des couples de mots infernaux
Pour autant, la critique d’un journaliste, Jean-Michel Dumay, parue dans le NouvelObs.com du 9 mai 2008, doit être accueillie avec réserve : “Sarkozy confond le journalisme et la communication”, déclare-t-il. Cette attaque du pouvoir contre les médias ne saurait conduire à cautionner “la théorie promotionnelle de l’information” répandue inlassablement par les médias. Celle-ci repose en partie sur des couples de mots, faciles à mémoriser, présentés comme antinomiques avec l’apparence de l’évidence : “journal d’information” est opposé à “journal d’opinion”, “information" à "commentaire”, “information” à “désinformation” et ici “journalisme” à “communication”. Or aucune de ces oppositions n’est validée par l’expérience.
Elles ne sont dictées que par la phobie des médias de voir les informations qu’ils diffusent confondues avec des opinions. Ils veulent faire croire au contraire que leurs informations sont exemptes de toute “pollution” d’opinion. Or, l’entreprise est chimérique, d’abord parce qu’une opinion n’est pas une pollution et ensuite parce que toute information diffusée est indissolublement associée à une opinion puisqu’elle est une représentation d’un fait qu’on juge utile ou non soit de diffuser, soit de garder secrète soit d’extorquer.
Mais il est vrai qu’une information comprend un dosage varié de représentation plus ou moins fidèle de la réalité et de jugement personnel de l’émetteur. La récente bourde de M. Elkabach sur Europe n° 1 a montré par exemple que l’annonce prématurée de la mort d’un animateur de télévision comprenait une représentation totalement infidèle de la réalité – c’est la définition même du bobard - et, entre autres jugements, le souhait d’être toujours le premier à diffuser une information pour accroître son audience : ce souhait, on l’a vu pour la confusion de son auteur, peut même se passer d’une vérification de l’information. Ainsi, plus généralement, l’information peut très bien n’avoir aucun rapport avec la réalité et n’être que l’expression des rêves d’un pouvoir tyrannique qui ne tolère aucune contestation, comme on l’a vu dans le passé et le voit toujours aujourd’hui dans nombre de pays.
Un masque inventé par les publicitaires
Il reste que l’opposition entre information et communication est cocasse. Elle ne se comprend que si on garde en mémoire une autre phobie, celle des publicitaires qui redoutent de voir leur stratégies de promotion confondues avec… la publicité. Un comble ? Pas vraiment !
Attachés à vouloir être toujours plus persuasifs, les publicitaires en sont venus à se masquer, dès l’instant que le mot « publicité », à l’instar, avant lui, des mots « réclame » et « propagande », devenait répulsif chez les récepteurs qui l’ associaient à l’idée, sinon de tromperie, du moins d’information partisane peu fiable. « Publicité » a ainsi été remplacé par « communication », « faire de la publicité » par « communiquer » et les publicitaires sont devenus des « communicants ». Ce travestissement habile ne trompe que les naïfs : le choix de ces mots obéit à la règle de ce milieu qui consiste à user de l’euphémisme pour reconfigurer la réalité à sa convenance en tentant par exemple d’en gommer les aspects déplaisants. C’est ainsi qu’une faute administrative devient « une bavure », un bombardement de civils par erreur, « un dommage collatéral », un bombardement efficace, « une frappe chirurgicale » et la destruction du service public d’éducation sans provoquer de révolte, « la faisabilité politique de l’ajustement », selon un rapport de l’OCDE de 1996.
Le choix du mot « communication » recentre, en effet, pour tenter de la masquer, l’opération publicitaire de persuasion intensive sur l’activité apparemment anodine d’échange d’informations sans but spécifique, qui impliquerait quotidiennement les êtres vivants entre eux. Sachant mieux que personne que les mots imposent des représentations de la réalité qui influencent les individus, les publicitaires ont espéré de la manoeuvre retrouver un crédit auprès de leurs cibles. La meilleure publicité est celle qui ne se fait pas reconnaître pour telle. Et de fait, même si, aujourd’hui, il doit être pris comme synonyme de publicité, le terme de « communication » adoucit, auprès des naîfs, par la persistance de son sens premier d’échange gratuit, la démarche de persuasion publicitaire dans ce qu’elle peut avoir d’agressif.
Un danger perçu par le monde journalistique
Mais du coup, c’est le monde journalistique qui s’en est ému et a tenu à se différencier du mot « communication » désormais parasité par la publicité. Il y allait de son crédit : en aucun cas, l’information diffusée par un journaliste ne devait être confondue avec une publicité déguisée en « communication ». A en croire certains médias, « quand il pleut, un journaliste dit : « il pleut » », parce que c’est « un fait », et non parce qu’il veut encourager l’achat de parapluies (1). C’est oublier - et l’affaire Elkabach le rappelle - qu’il lui arrive pourtant de dire "il fait beau", même quand il pleut , ou l’inverse ?
On a donc cru pouvoir sauver le mot « information » du naufrage qui le menaçait en l’opposant vigoureusement au mot « communication » devenue infréquentable. Mais c’est une contradiction : car qu’est-il échangé dans une relation de communication, sinon des informations ? Et de quoi est faite exclusivement une communication entre deux êtres sinon d’un échange d’informations ? On veut pourtant faire croire que ces informations ne sont pas de même nature : les unes feraient la promotion d’un produit, tandis que les autres ne feraient que porter des « faits » à la connaissance de récepteurs par philanthropie.
Or, où est la différence si l’on se réfère au principe fondamental régissant la relation d’information, selon lequel nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire ? L’acte d’achat visé par les unes n’est pas différent par nature de l’acte d’adhésion recherché par les autres : tous deux sont attendus d’une opération de promotion en faveur d’un produit, d’une idée ou d’une personne. L’opposition entre information et communication ne subsiste que si l’on admet qu’à la différence de « la communication », vouée à la promotion et à l’influence, l’information est le domaine du « fait objectif - de "l’élément factuel "ou du "texte informatif", disent-ils encore - qui ne vise pas à influencer », ce qui est impossible et relève de l’imposture.
Cette quête pathétique de l’information objective, définie comme « fait avéré » et non comme « représentation d’un fait », n’est, on le voit, qu’un leurre dans une stratégie d’influence pour gagner, sans en avoir les moyens, une crédibilité facile auprès de cibles humaines peu averties dont on veut arracher l’adhésion, au besoin contre leur gré. Publicitaires et journalistes tentent de contourner le principe fondamental qui fonde la relation d’information ; mais pour ce faire, ils sont contraints de plier la réalité à leurs mots et donc d’en donner une représentation encore plus éloignée.
On n’en déduit pas pour autant que journalisme et pouvoir livrent forcément la même qualité d’information, même s’ils communient dans la même communication. La réalité est plus complexe. Le pouvoir n’est pas par principe abonné aux leurres et les médias peuvent souvent y recourir. Mais ils y recourront d’autant moins que les citoyens auxquels ils s’adressent, seront en mesure de ne pas s’y laisser prendre. En ce sens, pour une amélioration de la qualité de l’information disponible, des citoyens avertis sont leurs meilleurs alliés. Mais pour cela, encore faut-il qu’ils cessent de les abuser par ces couples infernaux comme « information et communication » : car ces erreurs entretiennent une crédulité qui fragilisent en retour les médias face à un pouvoir toujours tenté, comme tout émetteur, de préférer la diffusion de ses rêves et de ses bobards à celle d’une représentation fidèle de la réalité quand celle-ci est « susceptible de lui nuire ». Paul Villach
(1) France Inter, émission « Radio com’, c’est vous », 2 mai 2001.
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