L’atteinte à la présomption d’innocence commise par Sarkozy : une habitude dans les médias
L’incroyable accusation portée par le Président de la République depuis New York sur TF1 et France 2 envers les prévenus du procès Clearstream a au moins un mérite : attirer l’attention de tous sur la scandaleuse et quotidienne habitude des médias qui présentent systématiquement tout accusé en coupable. On a, par deux fois déjà, traité du problème sur Agoravox (1).

Juridiquement, en effet, dans une démocratie, toute personne accusée est par principe « présumée innocente » tant qu’un tribunal impartial ne l’a pas déclarée coupable. En tyrannie, c’est le contraire : toute personne est présumée coupable et doit donc faire la preuve de son innocence. L’opération est plus difficile, puisqu’un acte reproché non commis, par définition, ne laisse pas de trace.
Du coup, n’étant pas plus versés dans la procédure judiciaire, ces journalistes ont l’impression qu’en parlant de « coupable présumé », ils respectent le principe de la présomption d’innocence, alors qu’à leur insu, ils inversent la charge de la preuve. Qu’on se promène dans Google ! Il n’y est question que de « meurtrier, violeur ou voleur présumé ». Or, « coupable présumé » signifie « considéré comme coupable avant tout examen ». La présomption d’innocence est bien violée. On se retrouve dans le contexte de la tyrannie, puisque c’est à l’accusé de faire la preuve de son innocence et non à son accusateur de prouver sa culpabilité.
Un lapsus ou un choix délibéré du président Sarkozy ?
On ne saurait, en revanche, faire ce procès d’intention au président Sarkozy, qui a osé à son tour, mercredi 16 septembre, depuis New-York, sur TF1 et France 2, qualifier de « coupables » les personnes qui comparaissent actuellement devant le tribunal correctionnel de Paris, dans « le procès Clearstream » ? Sans avoir le diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris, il est quand même avocat de profession. On ne lui fera donc pas l’injure de présumer qu’il ne connaît pas le sens des termes juridiques. Et, comme expert en communication, on croit savoir qu’il pèse ses mots, quand il veut frapper fort. Inutile de rappeler des précédents ! Sur un sujet aussi délicat, peut-on même présumer que sa déclaration n’ait pas été mûrement réfléchie ? N’a-t-il pas, comme à son habitude, volontairement parlé le langage de l’électorat d’extrême-droite qui a fait son élection et pour lequel, à force d’entendre les médias le rabâcher, être traduit devant un tribunal signifie être coupable. "Il n’y a pas de fumée sans feu", encore une fois ! Outreau est déjà oublié !
- ou il s’agit d’une erreur malencontreuse, d’un lapsus, et elle (ou il) révèle combien dans son esprit la qualité de prévenu se confond avec celle de coupable. Est-ce compatible avec la démocratie, surtout quand on est, comme lui, un président de la République garant de l’indépendance de la Justice ?
- Ou il s’agit d’un choix délibéré. Inutile alors d’insister sur la faute constitutionnelle que cet amalgame représente chez un président de la République manquant gravement aux devoirs de sa charge ! L’émotion soulevée est à la hauteur de l’enjeu.
Peut-on, en revanche, attendre des rédactions dans les divers médias qu’un séminaire de mise à niveau juridique et linguistique soit organisé pour un usage approprié des adjectifs « présumé », « accusé » ou « soupçonné » ? Oui, mais seulement si cette obstination dans l’erreur depuis tant d’années n’est pas tactique pour, par le procédé de la répétition, imprégner les esprits d’une représentation qui les éloigne en douceur d’une des règles fondamentales de la démocratie et permettre à un président de la République de la violer impunément. Paul Villach
(1) Paul Villach
- « La présomption d’innocence maltraitée par les médias de masse », AGORAVOX, 7 mars 2008
- « La sape indolore et quotidienne de la démocratie par les médias », AGORAVOX, 22 avril 2009
(2) LePoint.fr, 16 septembre 2009 - Nouvel Obs.com, 25.09.2009.
(3) Libération.fr 25.09. 2009
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