L’école française à la recherche d’un nouvel élan et d’un plus juste équilibre
On recommence, mais, en temps de réduction budgétaire, la rentrée 2006 débute à haut risque, marquée, d’un côté, par la nouvelle de la suppression de 7000 postes d’enseignants, ce qui paraît une décision incohérente ; de l’autre, par l’application des mesures contenues dans la loi Fillon (avril 2005), dont le retour des savoirs fondamentaux tels que la lecture, l’écriture et le calcul, ce qui semble rencontrer pas mal de résistances, surtout dans le corps enseignant.
On le voit bien, un préjugé de fond accompagne toujours l’école, à savoir : on continue à la traiter par cycles plus qu’à part entière, comme si le système-école n’avait pas récemment connu une nouvelle loi d’orientation.
Et pourtant la machine-école est derechef sur la sellette, accusée de favoriser la discrimination et, ce qui est pis, d’être elle-même productrice d’inégalités. Si à cela s’ajoute le thème des violences scolaires relancé après le classement de l’hébdo Le Point des établissements scolaires les plus violents, et le tout récent discrédit des cadres éducatifs, voilà dessiné un scénario scolaire fortement en danger.
Querelles de spécialistes, direz-vous. Non, ou pas seulement, car n’échappe à personne la relation entre la surabondance de pamphlets (1) contre l’école, largement promotionnés à la télévision et dans la presse, et la campagne de la présidentielle 2007.
La vérité est que, malgré ce qu’on dit sur « les diplômes qui ne servent plus à rien », l’avenir de l’école est au cœur de chacun. Même dans les programmes électoraux des candidats, la question éducative est centrale. On y promet, en fait, la réalisation d’une réforme qui sera moderne, équitable, efficace, et qui permettra aux jeunes de trouver rapidement un emploi.
On est loin de considérer en profondeur les multiples propositions en matière d ‘éducation. Nous sommes convaincus que ce n’est pas le temps des utopies, ni le momet de rêver des systèmes-mammouths qui ne tiennent que grâce à la bureaucratie et à l’idéologie. Ce que nous demandons à l’École, c’est d’essayer de « mettre les savoirs en culture », de les enseigner dans une vraie démarche de compréhension, de re-création (2), et de former des citoyens et des individus, fidèle à l’idée que la pleine réalisation de soi ne passe qu’à travers la connaissance et la capacité à s’émanciper.
Cela étant, et face à une situation générale préoccupante, il est urgent de s’interroger sur la possibilité de construire une école du futur . Nous croyons qu’elle existe, mais à condition que ce projet de refonte passe par la recupération d’un principe qui en pédagogie est peu ou n’est pas appliqué, celui du bon sens, si cher à Descartes.
Ce qu’il faut faire préalablement, c’est se débarrasser, une fois pour toutes, de l’ambiguïté d’une vision de l’école partagée en deux, entre ceux qui voient l’école comme lieu d’acquisition des savoirs et de la culture générale, et ceux qui assignent à l’école un objectif professionnel orienté vers l’emploi. Nous pensons que ces deux dimensions sont complémentaires, et non en opposition, et que l’école, malgré ses contradictions, reste un endroit dynamisant, capable de mobiliser la communauté étudiante, l’encourageant vers l’autonomie et la solidarité. Le devoir des enseignants, c’est alors de renforcer, dans les pratiques didactiques quotidiennes, les compétences cognitives et non cognitives des élèves, modifiant leur attitude à l’égard des études. Il s’agit de faire passer l’idée que la formation, dans les « sociétés apprenantes », peut servir d’ascenseur social et offrir des perspectives d’emploi concrètes et meilleures. Le thème des connaissances est d’autant plus actuel que l’école, comme institution, est devenue « un champ de bataille idéologique ». François Jarraud écrit dans son éditorial (Cafépédagogique du 10 octobre 2006) que dans le pays on respire un « climat de caporalisme », faisant clairement allusion aux deux récentes affaires qui ont regardé MM. R. Goigoux (3) et P. Frackowiak. Le prmeier de ces deux inspecteurs scolaires a été expulsé de l’Esen, et sur le second pèse une procédure disciplinaire pour avoir exprimé une idée contraire aux instructions ministérielles concernant l’apprentissage de la lecture.
Or, l’école n’a pas besoin de polémiques à caractère idéologique qui finissent par accentuer le malaise dans la communauté éducative. N’oublions pas que l’avenir de l’école est possible si tous les acteurs éducatifs sont capables de se coordonner par le dialogue et la confrontation démocratique, compte tenu des différents rôles ou responsabilités. Ce nous demandons à l’institution, c’est qu’elle montre plus de confiance et qu’elle rassure son public, elle qui a tous les moyens pour répondre d’une manière efficace aux nouveaux besoins des jeunes, plutôt que de tout enchaîner dans une querelle entre méthode globale et méthode syllabique qui ne conduit qu’à la confusion et au discrédit.
Nous sommes largement d’accord avec Philippe Meirieu quand il invite les Français à « inventer une nouvelle école ». De plus, nous pensons qu’il est indispensable de refonder une nouvelle relation entre tous, qui soit paritaire et respectueuse des diversités. Pour l’auteur de École : demandez le programme ! (août 2006) il faut passer à « une institution permettant à tous les élèves d’apprendre ensemble et à chacun de voir reconnaître ses besoins éducatifs particuliers ».
Paradoxalement, en France, il semble que les questions qui motivent davantage l’intérêt du public et qui suscitent un large débat scientifique soient autres, et notamment : l’apprentissage de la lecture ; l’enseignement des maths ; la carte scolaire ; le redoublement ; l’évaluation en CE1.
On le voit, toutes ces questions sont chargées d’un enjeu pédagogique très fort mais restent liées à une vision trop sectorielle de la réalité éducative. Finalisées à la réussite scolaire, elles risquent de donner une image de l’Education nationale uniquement centrée sur ce que R. Ballion a appelé dès 1984 le « consumérisme scolaire ». Or, ce qui est frappant c’est que ces mêmes questions sont posées un peu partout dans l’UE. Deux exemples nous semblent significatifs. En Suisse (dans le canton de Genève), les citoyens genevois ont réaffirmé par référendum la volonté de revenir à un système de notes et au redoublement au primaire. En Italie, le projet du budget ordinaire de l’État pour l’année 2007 prévoit trois types d’interventions dans l’école publique : 1. réduire de 10% à partir du 2008 le nombre des élèves doublants ; 2. intervenir sur le Bac (Esame di Stato) et sur la composition du jury afin de rendre l’épreuve plus sévère (97% des candidats ont passé l’exament 2006 remportant de bonnes notes) 3. abolition, au collège (Scuola Media), de la figure du Tutor et du Portfolio, deux dispositifs adoptés dans la quasi-totalité des pays membres de l’UE.
Est-ce qu’il faut repenser à une modernité qui se défait ? Peut-être... Ce que nous voulons, c’est une école de qualité, qui ne se fasse pas en reproposant « sic et simpliciter » un passé mythifié et qui ne se réalise pas sous la poussée de manifestations dans les rues. La loi Fillon peut être un point de départ important pour un approfondissement sérieux de certains aspects de la réforme qui sont faibles, car nous sommes persuadés que c’est bien d’intelligence et de bon sens qu’il faut « s’armer », sans oublier bien évidemment des années de recherche et d’amélioration sur le terrain méthodologique, pour retrouver, ensemble, un nouvel enthousiasme et surtout un nouvel équilibre, car « les risques d’irrationnalité sont grands » (4).
Prof. Raphaël Frangione
Notes
: 1. Cfr., Jean-Paul Brighelli, La fabrique des crétins et L’école sous influence, Éditions Jean-Claude Gawsewitch ; E. Davidenkoff, Réveille-toi Jules Ferry, ils sont devenus fous, Éditions Oh ! ; G. Morel, Le livre noir de l’éducation nationale, Éditions Ramsay 2. C’est là un des thèmes [L’Atelier A « Culture et savoirs scolaires » est confié à Mme Florence Castincaud, professeur en Collège] du Colloque du CRAP-Cahiers pédagogiques « La Culture à l’école, c’est pas du luxe ! » qui se tiendra les 27 et 28 octobre 2006 à Montreuil. 3. Roland Goigoux est professeur des Universités en sciences de l’éducation et enseignement à l’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres). Formateur à l’ESEN (École supérieure de l’Éducation nationale), il est aussi auteur d’un livre Apprendre à lire à l’école, Éditions Retz, dans lequel il a critiqué certains points de la réforme de l’apprentissage de la lecture, causant son exclusion du centre de recherche. Il va sans dire que la décision du ministre M. Gilles de Robien a ouvert un conflit avec les syndicats et a rendu les rapports avec les enseignants, le monde des spécialistes, les familles et la presse plus tendus. 4. Entretien avec François Dubet, Cafépédagogique du 3 octobre 2006.
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