La dévaluation est-elle une source de croissance ?
Septembre 1992, éjectée du système monétaire européen, la livre chute de 20%. La dévaluation permet au Royaume-Unis d’accélérer sa reprise et le rétablissement de ses comptes extérieurs. Comme chaque dévaluation avec un effet positif sur la croissance, cet événement ravive les débats sur la politique monétaire et la monnaie unique. A mon sens, la politique de dévaluation n’est ni un miracle ni un mirage, mais un outil monétaire avec des avantages et des inconvénients, dont l’efficacité dépend avant tout de la structure de l’économie du pays concerné et de sa situation conjecturelle.
La dévaluation est-elle une source de croissance ? Le débat est vieux comme Hérode et je me rappelle de débats à table durant lesquels mes oncles regrettaient les dévaluations de l’ère Gaullienne. Si ce débat est aussi vieux, c’est qu’il est fondamental, car l’étude des conséquences de la dévaluation sur la croissance économique d’un territoire pourrait remettre en question l’ensemble de notre organisation monétaire.
Historiquement, c’est à ne rien y comprendre ! En 1992, c’est la dévaluation qui sauvait l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne de la crise du système monétaire européen. Cependant, la dépréciation du dollar entre 2002 et 2014, celle du yen après 2013 et de la monnaie chinoise en 2014 n’ont pas eu d’effet sur la croissance des pays concernés. Alors, la dévaluation est-elle un levier viable pour relancer la croissance ?
Une politique de dévaluation est une mesure de politique économique prise par les autorités monétaires et qui consiste à modifier la parité de la monnaie nationale en diminuant sa valeur. Plus simplement, c’est une politique des autorités monétaires visant à diminuer la valeur d’une monnaie nationale par rapport à un étalon de référence.
Dès la mise en vigueur du régime de change fixe, soit un régime où le cours d’une devise est fixé par rapport à un étalon, la dévaluation monétaire a été une arme économique pour promouvoir l’exportation. Ainsi, les dévaluations font leur apparition dans l’entre-deux guerres, avec la dévaluation du franc par Poincaré en 1928 et la dévaluation du dollar par Roosevelt en 1933.
Dès la fin du système de Bretton Woods en 1973 et l’instauration des monnaies flottantes, dévaluer devient plus complexe et nécessite une plus grande activité des banques centrales. Aujourd’hui, la libéralisation des échanges et de la finance, ont rendu les dévaluations presque impraticables. Alors, la perte de ce levier de politique monétaire est-elle fondamentalement grave ?
Si l’on s’en tient à la théorie économique, la dévaluation monétaire améliore la compétitivité des produits domestiques et permet de restaurer l’équilibre de la balance commerciale.
Pour être plus précis, les conséquences d’une dévaluation se décomposent en deux effets : un effet prix et un effet volume. A court termes, la dévaluation aggrave le déficit commercial car les termes de l’échange se dégradent : le prix des importations se renchérit alors que le pouvoir d’achat des exportations diminue, c’est l’effet prix. A moyen terme, intervient un impact sur les volumes, la dévaluation permet d’accroître la compétitivité des exportateurs. Ce changement de prix relatif conduit à une demande plus importante venue de l’extérieur et à une substitution des biens importés pour des biens locaux dans la consommation domestique. Grâce aux phénomènes multiplicateurs, cette hausse de la demande de biens d’exportation et de substitut s’étend à l’ensemble de l’économie entrainant une hausse de la demande globale stimulant la croissance.
Albert Einstein nous a déjà avertis sur les limites d’une approche purement théorique : « la théorie c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne ». Ainsi, si théoriquement, dévaluation est synonyme de croissance, il est important de confronter cette théorie à la structure des économies contemporaines.
En effet, différentes caractéristiques de la structure de nos économies justifient que les variations des taux de change ne jouent plus autant sur l’économie réelle.
Premièrement, la mondialisation crée des chaines de productions mondiales avec des biens intermédiaires provenant de nombreux pays. Comme une dévaluation baisse le prix des exportations mais augment le prix des composants importés, une politique de dévaluation augmente les coûts de productions des entreprises domestiques. Par ailleurs, ces composants ne peuvent pas être fabriqués domestiquement, soit dans des veilles économies, car la main d’œuvre y est trop chère. Face à l’augmentation de leurs coûts, les entreprises domestiques augmentent leurs prix pour rester rentables, réduisant la demande intérieure. Un processus inflationniste se met en place car, face à la baisse de leurs pouvoir d’achat, les salariés réclament une hausse de salaire.
Deuxièmement, la baisse du poids de l’industrie dans certains pays réduit l’influence des politiques monétaires car le prix des produits manufacturés est plus sensible aux mouvements des taux de change que le prix des services.
En fait, l’impact de la politique de la dévaluation dépend avant tout de la structure économique du pays concerné, et il n’existe aucune règle immuable selon laquelle dévaluation égale croissance
Par exemple, l’effet du taux de change dépend significativement du poids des produits importés dans les exportations d’un pays Comme expliqué précédemment, le processus inflationniste se déclenche avec la hausse des coûts d’importations entrainant l’augmentation des coûts de productions des entreprises domestiques. Ainsi, en Argentine où la part des produits importés dans les exportations est 7% une politique de dévaluation devrait être plus efficace qu’au Vietnam où les produits importés représentent 44% des exportations.
Ainsi, si l’on étudie les politiques de dévaluation passés ayant eu un effet positif sur la croissance, plusieurs éléments structurels et conjecturels permettent d’expliquer ces réussites.
Par exemple, pour la dévaluation anglaise en 1992, le contexte économique et la structure de l’économie britannique à l’époque expliquent l’effet positif de cette politique sur la croissance. En 1992, comme prévoit le processus théorique, la dévaluation anglaise a permis aux exportations, mesurées en monnaie locale, de croitre plus rapidement en Angleterre qu'en France. L’augmentation des exportations est contrebalancée par une augmentation des coûts de production pour les entreprises locales qui aurait dû résulter en une augmentation généralisée des prix. Mais, en 1992, l’économie britannique échappe à la spirale inflationniste. Cette prouesse tient probablement à trois explications. D'abord, la livre était surévaluée en 1992, dû aux efforts de sa banque centrale pour maintenir le pays dans le système monétaire européen (SME), et il ne s'agit donc finalement que d'un retour à la normale. Ensuite, la dépréciation a eu lieu à la sortie d'une récession particulièrement profonde, décourageant les velléités inflationnistes. Enfin, la Grande-Bretagne sortait d’un processus de dix ans de conversion au libéralisme déclenchée par Margaret Thatcher.
Ainsi, la politique de dévaluation n’est ni un miracle ni un mirage, mais un outil monétaire avec des avantages et des inconvénients, dont l’efficacité dépend avant tout de la structure de l’économie du pays concerné et de sa situation conjecturelle.
PS : Merci de m'avoir lu jusqu'à la fin, n'hésitez pas à me laisser votre avis en commentaires ainsi que vos points d'accord et de désaccord.
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