La légitimité dévaluée des assemblées générales étudiantes
La mobilisation qui a lieu dans les universités depuis deux mois tire sa légitimité d’un mode de décision considéré comme « naturellement » légitime : l’assemblée générale. Le mode d’emploi est simple : l’assemblée générale est convoquée, les participants votent à main levée et la décision prise doit être acceptée par tous, présents comme absents. Le paradoxe de la mobilisation actuelle est le suivant : le mécanisme décisionnaire de l’Assemblée générale connaît un regain. Il n’est attaqué ni par les étudiants lésés ni par la droite. Mais dans le même temps, sa légitimité semble de moins en moins probable.
Les promoteurs d’assemblées générales refusent évidemment d’indexer la valeur des décisions sur la quantité des participants. Les assemblées étudiantes et enseignantes regroupent aujourd’hui entre 10 et 30% des personnes concernées. Le fait qu’un cinquième des personnes puisse imposer des décisions à tous les autres est un fait connu de tous. Il n’y a aucun seuil pour valider une décision. 30 voix peuvent imposer leur choix à 500 citoyens, légitimement. Pour les promoteurs des assemblées générales, l’argument est tout trouvé : les absents ont toujours tort. "Ils n’avaient qu’à venir."
Dans le cadre des assemblées de professeurs, il est de mise de refuser la consultation par mail. C’est une manière d’exclure ceux qui, par leur statut, ne peuvent pas se consacrer à 100% au travail universitaire. Les autorités universitaires ont mis en place, ici ou là, des votes étudiants par internet autour de la question du bloquage. Le taux de participation a été aussi faible que celui des assemblées générales mais le résultat exactement inverse : une majorité pour la reprise des cours.
Les organisations étudiantes, conscientes de la fragilité de leur action, se sont employées à gonfler les assemblées avec des étudiants extérieurs, et à regrouper plusieurs assemblées en une seule "coordination" pour atteindre de gros chiffres de participation absolue malgré un taux toujours très faible. La légitimation de l’assemblée générale est ainsi poussée à l’extrême : pour avoir le droit de décider, il faut participer. Même celui qui ne fait pas partie du corps social consulté gagne le droit de décider, puisqu’il est là.
Une telle conception, posée dans le cadre d’un mouvement déterminé à interrompre durablement le SERVICE public d’enseignement, crée un problème de fond complexe mais parfaitement palpable.
En effet, un étudiant ne s’inscrit pas à l’Université pour ne pas suivre les cours. On n’achète pas un billet de train pour ne pas voyager et on ne va pas voir un médecin pour ne pas être soigné.
On s’inscrit à l’Université par choix, dans le cadre d’un projet d’avenir. On choisit des cursus, des options, des rythmes, des villes, des pays. On investit en temps, en argent, en logement, en déplacement, en sentiment. Et à aucun moment, par aucun biais légal ou réglementaire, l’étudiant qui s’inscrit à l’Université se doit d’adhérer à des mécanismes décisionnaires flous, aptes à s’opposer au projet qui lui tient à cœur. Une telle absurdité ne peut traverser les esprits.
Les assemblées générales qui se pratiquent dans d’autres domaines fonctionnent tout autrement. Une assemblée de copropriétaires est un organisme qui se pose sur une inscription et une adhésion franche de tous ses membres. Il en découle une transparence démocratique remarquable. De même, une assemblée générale de grève dans une usine s’inscrit dans le cadre du code du travail. La qualité des décisions prises découle d’une obligation citoyenne claire et partagée.
Les actuelles assemblées générales étudiantes posent un double problème de droit : d’une part, elles éludent la question de la représentativité, et d’autre part, elles s’arrogent le droit d’opérer CONTRE la décision prise par l’étudiant au moment de l’inscription aux études : l’engagement sur la base du programme des cours.
Pourquoi donc la grande majorité des étudiants ne viennent-ils pas aux assemblées générales dont les décisions les nuisent ? Ils ne considèrent pas que l’assemblée générale soit illégitime puisqu’ils ne se donnent pas non plus le mal de voter par internet. Ils considèrent, tout simplement, qu’ils ne sont pas là POUR ÇA. Qu’ils ne se sont pas inscrits à l’Université pour dépenser leur énergie à œuvrer contre leurs propres intérêts ou pour se consacrer au lourd et pénible travail que suppose contester efficacement les obstinations des assemblées...
Il en résulte aujourd’hui une situation bien étrange.
Les assemblées étudiantes sont très largement nourries de contingents de jeunes qui envisagent leurs études supérieures sans projet et naufragent dans des filières inconsistantes qu’ils ne désirent pas vraiment. N’ayant pas fait le choix fort d’étudier, ils se rabattent sur le choix fort de ne pas le faire. Ils mettent alors l’énergie dont ils disposent au service des causes extérieures qui les sollicitent.
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