La mémoire des meurtres... de Maurice Papon
Enfin ! Aujourd'hui, je me réjouis de ce que vient de faire le nouveau président Hollande : enfin, même dirais-je, on va reconnaître la responsabilité de la police française dans le massacre d'algériens le 17 octobre 1961, à Paris, sur le territoire français, comme le souhaitaient de nombreux historiens, dont Benjamin Stora et Gilles Manceron, notamment. Un pays n'avance que dans la vérité et non pas dans la dissimulation. Un massacre donné sous le ordres de Maurice Papon, revenu aux affaires en ayant caché sa responsabilité dans les rafles bordelaises de juifs pendant la guerre. Cet épisode noir de l'histoire française a bel et bien été dissimulé pendant des années aux yeux des français : par un pouvoir coupable d'une terrible répression, dont le nombre de morts n'a jamais pu être évalué, un pouvoir qui a trop longtemps fait le sourd aux demandes des historiens dans le seul but de protéger des membres de sa police encore en activité (*). Aujourd'hui, François Hollande résout par sa déclaration officielle une injustice historique flagrante, en clouant au pilori une deuxième fois par la même occasion Maurice Papon, grand ordonnateur de ces meurtres gratuits du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 où cette fois neuf français avaient été massacrés, dont un jeune de 16 ans, tué par la même brutalité policiére que semble avoir totalement oublié le député Christian Jacob. Un député qui semble n'avoir aucune mémoire des deux événements, ou semble incapable d'assumer une responsabilité commune ou historique, un comble pour un responsable politique ! Il convient aujourd'hui, comme vient de le faire François Hollande, de se souvenir de tous ces meutres et d'en attribuer une fois pour toute la responsabilité. A Maurice Papon, en priorité.
Mais laissons donc Alain Dewerpe historien de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (et fils de Fanny, l'une des victimes françaises du carnage, morte à 31 ans (*)) nous raconter ce qui s'est passé ce jour funeste du deuxième massacre, dans son ouvrage "Charonne 8 février 1962 - Anthropologie historique d'un massacre« Je n'ai jamais assisté à un spectacle aussi horrible que le 8 février. Les coups de matraque ont plu à tort et à travers sur des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, des manifestants et des passants. Tout autour de moi des gens […] très paisibles s'écroulaient sous les coups et continuaient d'être frappés tandis qu'ils étaient à terre et perdaient leur sang en abondance. » Formés à l'action et même, pour certains dont les « disciples » de l'OAS, les compagnies de sécurité sont une factions interne à la Police de Paris, moderne, faite pour être violente, armée en conséquence".
Le préfet de Paris, Maurice Papon, avait donné ses ordres comme l'indique le compte-rendu de l'ouvrage : "Ces unités avaient reçu des instructions de « fermeté » à l'encontre des manifestants, tant en raison de l'époque (en plein crise d'Alger) que de l'opposition « rouge » qu'il faut mater. Cette fermeté s'illustrera au combien et rappellera plus les premiers affrontements entre les syndicats naissants et les milices de patrons que la surveillance par les forces de l'ordre d'une manifestation pacifique et dont le mot d'ordre, clairement énoncé, était de ne pas faire de vague et de se disperser dès 18h30. Mais sans prévenir, la police charge, va à l'assaut et au combat, « bidule » à la main (la longue matraque d'un mètre…) et frappe sur tout ce qui est dehors, un élu en écharpe tricolore venu annoncer la fin du rassemblement aussi bien qu'un passant, que des femmes, des enfants… la violence policière est déchaînée et entraîne un certain nombre de débordements, de courses poursuites qui se finiront tragiquement par la mort de 8 personnes au métro Charonne, 8 personnes mortes étouffées pour échapper aux coups, au plaques de fer ou au corps de blessés devenus projectiles… La police a perdu toute forme de raison et, mue par sa propre violence, s'avilit au rang des dictatures militaires" peut-on lire dans la présentation de l'ouvrage "Charonne, 8 février 1962, anthropologie historique d'un massacre d'état." Des policiers déchaînés, incapable de s'apercevoir que des gens s'étouffaient au fond de l'entrée du métro Charonne.
Ce qui a marqué les esprits, en effet ce jour-là, c'est l'extrême violence des troupes de CRS ; qui avait abouti au massacre de Charonne, qui ne demeure explicable que par une furie policière incontrôlée (et la responsabilité directe de Maurice Papon, pour les ordres donnés et le matraquage en règle !). On retrouvera une violence similaire de départ à peine 6 années plus tard, mais avec cette fois un préfet de Paris qui saura contenir les excès de ses propres troupes, et qui le racontera dans un livre sobre et émouvant. Maurice Grimaud, homme de dialogue, a empêché, c'est clair, les effusions de sang en mai 68, et la France lui en restera éternellement redevable : il a évité des morts. A sa disparition, son principal opposant, "Dany Le Rouge" (Daniel Cohn-Bendit), lui rendra un hommage appuyé en le qualifiant de "préfet de police hors norme" et "véritable républicain". Grimaud avait démontré avec brio toutes les erreurs faites par Papon en 1962. Grimaud était un humaniste, ce que n'a jamais été Papon. En prime, avant Charonne, Papon avait déjà eu les mains sales... de la même manière, dirons-nous.
Car ce n'était pas la première effusion de sang sous sa responsabilité. Revenons-en pour cela quelques mois en arrière pour le premier massacre, celui de l'année précédente : à cette époque là, la France était en guerre en Algérie, mais ne l'avouait pas officiellement. Les attentats des deux côtés de la Méditerrannée avaient attisé la haine, que le couvre-feu décrété le 5 octobre 1961 avait tenté d'éteindre ou de calmer : peine perdue, il avait été perçu comme une provocation par les algériens, qui, à ce moment là aussi, fabriquaient les années glorieuses de l'industrie française, notamment chez Renault. La France rêvait toujours à sa colonie, qui semblait la voir la quitter, et organisait à Alger des mascarades pitoyables pour convaincre la métropole que les algériennes et les algériens étaient tous disposées à devenir françaises et français, en abandonnant leurs particularismes : le vœux plan de la colonisation apporteuse de civilisation qu'un député proche de l'extrême droite avait eu le toupet de faire inscrire dans les livres scolaires. Un très bon document, lisible ici, nous explique cette infâme propagande de l'époque, qui ira jusqu'à mettre en scène le "dévoilement" de musulmanes en pleine rue pour tenter de faire croire à un ralliement massif des musulmans à la cause française. Bien entendu, tout cela était monté de toutes pièces : la majorité des algériens, y compris ceux en France, penchaient alors pour l'indépendance de leur pays (ou de leur pays d'origine). Et suivait donc à la lettre les ordres brutaux du FLN, alors que l'on songeait déjà des deux côtés à terminer cette guerre qui n'avait même pas de nom en entamant des négociations, qui se heurteront à un imbroglio provoqué par les arrestations d'un côté de certains hauts dignitaires du FLN, notamment grâce au FPA, une sorte d'agence parallèle de la police française, constituée d'algériens musulmans chargés de les traquer, et du même côté des attentats de ceux qui veulent garder l'algérie française. Le FPA, commandé par le capitaine Raymond Montaner, placé sous les ordres de Maurice Papon (les deux sont en photo ici à gauche, encadrant un troisième personne), ces harkis chargés de traquer le FLN à Paris essentiellement, dont l'histoire sanglante et tragique a été superbement racontée par Rémy Valat dans un ouvrage dont le titre rappelait leur surnom : "Les calots bleus et la bataille de Paris, une force auxiliaire pendant la Guerre d'Algérie" (je vous en reparlerai un jour sans doute). Ce qui ressort essentiellement du livre, c'est la pratique constante de la torture lors des interrogatoires menés par le FPA. Ce que LePen faisait à Alger, Montaner le faisait à Paris.
De l'autre côté, l'année est marquée par un nombre important d'attaques sanglantes contre la police française par le FLN, dont les exactions étaient parfois particulièrement sauvages. Dans cette atmosphère électrique, ou le désir de vengeance existe dans la police, lors des obséques d'un policier tué, le brigadier Demoën (abattu par le FLN), le 3 octobre 1961, le préfet de Paris, Maurice Papon, a cette phrase malheureuse " pour un coup donné, nous en porterons dix" déclara-t-il, ce qui mis le feu aux poudres, le FLN criant à la répression sans entraves. Lors d'une visite dans un commissariat, il récidivera en déclarant que "les fonctionnaires de police peuvent faire usage de leurs armes lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ou qu'ils ont des raisons de croire que leur vie est exposée. Vous êtes couverts par la légitime défense et par vos chefs ». D'aucuns y virent à juste raison un permis de tuer. Ou un permis de torturer, ce dont ne se cachent pas certains policiers français dans les commissariats lors d'arrestations de manifestants algériens ! Papon, que ce soit pour Charonne ou pour le 17 octobre 1961 a été celui qui n'a eu de cesse de mettre le feu aux poudres : il fut tout l'inverse d'un Grimaud ! C'est dans ce climat extrémement tendu qu'à lieu la manifestation du 17 octobre, déclenchée par le FLN malgré son interdiction et le couvre-feu décrété. Elle va se transformer en bain de sang.
La violence des policiers ce jour-là va être extrême et va en choquer plus d'un. Selon Paul Thibaud, secrétaire de rédaction de la revue Esprit, mais aussi directeur-gérant de Vérité et Liberté, note l'Express, "ce ne fut pas un "affrontement" : la foule était sans armes, sans bâtons, pacifique ; la police n'était ni menacée ni même débordée : elle se vengeait" . Une vengeance qui avait déjà commencé, au fond des commissariats : "se forment aussi, semble-t-il, selon l'historien Jean-Paul Brunet, des groupes de policiers activistes qui, en dehors du service, pour leur propre compte, enlèvent et liquident des Algériens attrapés au hasard. En août, l'Institut médico-légal avait reçu 12 corps d'Algériens victimes de violences ; il en verra arriver 48 en septembre et 54 du 1er au 16 octobre". La police de l'époque, rongée par l'extrême droite, se faisait justice elle-même... se sentant couverte par les phrases incitatives de Papon, dont tout le monde ignorait alors le rôle pour l'envoi des juifs du bordelais, dont de nombreux enfants, vers les camps d'extermination. Dans la soirée, les policiers français vont tuer, en nombre, mais aussi se débarrasser au plus vite des corps en les jetant dans la scène, alors que les centaines de personnes arrêtées (raflées !) sont dispatchées dans trois endroits (une pratique que reprendra Pinochet au Chili) le Palais des Sports de la Porte de Versailles, le Parc des Expositions, et le stade Pierre de Coubertin : sur 25 000 manifestants, la moitié sera raflée ! Et une bonne partie des tués de ce soir-là le seront dans les commissariats, ce qui rend leur dénombrement délicat : plusieurs corps furent ainsi... évacués ailleurs (on en retrouvera sur des chantiers de la périphérie). Aujourd'hui encore, on a du mal à dénombrer le nombre de victimes ; qu'on peut établir à 200 environ. En 1998, un rapport scandaleux avait tenté de minimiser le nombre de victimes. Au JT, on terminait le reportage par une bonne explication : "les archives de la brigade fluviale ont été détruites". Sciemment : elles contenaient le nombre de corps repêchés dans les jours qui avaient suivi.. on a cherché à minimiser à plusieurs reprises les méfaits, voire à supprimer les preuves. Papn a
Mais il était déjà trop tard pour ceux qui voulaient toujours en découdre , et l'indépendance algérienne allait survenir assez vite... et on oubliera très vite dans les années qui vont suivre la nuit funeste du 17 octobre, pour plusieurs raisons nous dit fort justement l'Express :
"Cette stratégie du silence avait plusieurs raisons d'inégale valeur.
1. Elle protégeait un préfet de police sec et orgueilleux qui avait "tenu Paris" (et sa police), mais dont la mauvaise gestion de la crise (qui lui fut reprochée par de Gaulle) serait apparue au grand jour.
2. Elle épargnait la police, désormais rentrée (à peu près) dans l'ordre. Infliger des sanctions, et même enquêter, informer, ç'eût été recruter pour l'OAS.
3. Elle permettait d'aller vers la paix sans regarder en arrière, comme le suggère la formule prêtée à de Gaulle. Malheureusement, octobre 1961, faute d'être "racheté" par un authentique succès, a fini par devenir, avec l'OAS, les harkis, l'exode des pieds-noirs, l'un des éléments de l'échec algérien".
Une stratégie à laquelle on a forcé de jeunes journalistes débutants, contraints de réécrire ce qu'ils avaient vu pour en dire le contraire : "ainsi l’hétéronomie d’une partie de la presse est patente, presque caricaturale : jeune journaliste ayant couvert la manifestation comme reporter, Jean-François Kahn a raconté qu’a été substitué à son récit un texte qui dédouanait la police et imputait la responsabilité de la violence aux manifestants. Cela lui a suffisamment déplu pour qu’il ait répété plusieurs fois son témoignage, sans d’ailleurs être démenti" précise Alain Dewerpe.
C'est un échec d'autant plus notable que beaucoup avaient crû la réconciliation possible. Quelques années plus tôt, pourtant, à l'Assemblée, un jeune député s'était fait remarquer en vantant l'Algérie, comme pour la propagande officielle cité juste auparavant. L'Algérie, facteur selon lui de vitalité pour la France : il s'appelle Jean-Marie LePen, et tient alors des propos qui sont tout le contraire de sa future ligne de conduite politique dans les années qui vont suivre : c'est un poujadiste, et comme tout bon poujadiste il est alors opportuniste, et marche avant tout dans le sens du vent. Sa déclaration dûment enregistrée par les assesseurs de l'Assemblée au Journal Officiel du mardi 28 et mercredi 29 janvier 1958, demeure sidérante au regard de ce qu'il affirme depuis un bon nombre d'années : "J’affirme que, dans la religion musulmane, rien ne s’oppose au point de vue moral à faire du croyant ou du pratiquant musulman un citoyen français complet. Bien au contraire, sur bien des principes, ses préceptes sont les mêmes que ceux de la religion chrétienne, fondement de la civilisation occidentale. D’autre part, je ne crois pas qu’il n’existe plus de race algérienne qu’il n’existe de race française (...) à mon sens, c’est dans la réforme des institutions, de cette législation musulmane que peut-être trouvé le secret d’une intégration à la patrie française de l’ensemble des Musulmans.(...) Je conclus. Encore une fois tout est une question d’optique. Offrons aux Musulmans d’Algérie - comme ces mots me gênent, car ils ne font que cacher, bien mal, la réalité ! - l’entrée et l’intégration dans une France dynamique, dans une France conquérante. Au lieu de leur dire, comme nous le faisons maintenant : « vous nous coûtez cher ;vous êtes un fardeau », disons leur : « Nous avons besoin de vous. Vous êtes la jeunesse de la Nation. » Ce n'est que plus tard que son vieux fond raciste et racialiste resurgira, à en devenir chez lui obsessionnel. L'homme torturera pendant la guerre d'Algérie, des témoignages indiscutables en font foi. Un tribunal, en 2003, le reconnaîtra après une longue enquête du journal LeMonde.
Les deux massacres, bien trop embarrassants, seront donc de fait longtemps occultés. Comme le rappelle ici Alain Dewerpe répondant à la question posée : "Le 17 octobre 1961, on tue en plusieurs endroits de Paris, plusieurs compagnies sont impliquées. Par contraste, Charonne semble localisé. Peut-on toutefois penser ces deux événements dans une continuité ?"
-Absolument. Certes, d’un côté, les différences sont fortes. Les circonstances d’abord : une manifestation du FLN pour protester contre le couvre-feu imposé par la police aux Algériens et une manifestation politico-syndicale française pour protester contre les attentats de l’OAS. Le nombre de victimes ensuite, beaucoup plus élevé le 17 octobre (plusieurs dizaines, voire plus d’une centaine de morts) et le caractère presque clandestin de la répression du 17 octobre qui, bien qu’ayant eu de nombreux témoins, permet au pouvoir de le censurer quasi totalement (on ne connaît toujours pas aujourd’hui le nombre exact de victimes). Les réactions de l’opinion publique, des partis de gauche et des syndicats enfin, dont les protestations ont été discrètes après le 17 octobre, massives après le 8 février. Pourtant les rapprochements faits par de nombreux contemporains nous invitent aussi à prendre en considération la continuité, comme une sorte de filiation, de l’un à l’autre. C’est en effet la même logique répressive qui prévaut. Non seulement le pouvoir adopte une posture agonistique très explicite, mais par la suite, dans les deux cas, il nie, se tait, censure. Ce sont d’ailleurs le même gouvernement, les mêmes institutions, les mêmes policiers. On retrouve dans les deux massacres le même modèle de « laisser faire, laisser aller » de la brutalité d’État. Et la même signature... de Maurice Papon, aurai-je tendance à a ajouter !
Un Papon qui n'en avait pas encore terminé avec sa carrière de grand commis de l'Etat. La vision idyllique de LePen vite oubliée (par lui-même, surtout !), Maurice Papon, qui avait aussi été secrétaire général du protectorat du Maroc puis préfet à Constantine (ce qui en avait fait quelqu'un connaissant l'Algérie) avait vite fait redescendre tout le monde sur terre à deux reprises donc, ce qu'il avait fait dès sa nomination à Paris en mars 1958. Vingt ans plus tard et deux répressions qui se sont terminées dans le sang, il était devenu ministre sous le gouvernement de Raymond Barre, sous Giscard d'Estaing, après une longue carrière administrative... et se fait épingler en 1980 par le Canard Enchaîné, qui subit aussitôt ses pressions constantes de sa part. Le journal satirique attend son heure : le 6 mai 1981, lors de l'élection de Mitterrand, il sort un dossier titanesque qui va faire vaciller l'image du préfet Papon, ce grand serviteur de la République... et des nazis. Dans le dossier, on trouve en effet des documents irréfutables sur le rôle majeur joué par Maurice Papon dans l'envoi de juifs en camps d'extermination, dont un bon nombre d'enfants. Sa carrière est détruite par ces révélations tardives. Il se retrouve inculpé de crimes contre l'humanité en 1983 et condamné le 2 avril 1998 à dix ans de réclusion criminelle (et à ne plus porter sa Légion d'Honneur, retirée par décret, ce qu'il fera quand même !). La suite sera rocambolesque, car il ne fera que trois ans de prison en se prétendant grabataire (alors qu'il se portait comme un charme) ou en s'enfuyant même en Suisse lors de son pourvoi en cassation. Il meurt en 2007... en se moquant une dernière fois de ses pairs, en se faisant enterrer avec sa Légion d'Honneur qu'on n'osera pas lui retirer. Pas une seule fois il n'avait été inquiété pour avoir ordonné deux massacres consécutifs en France. Pas une seule enquête n'avait été menée sur les agissements de la police lors des deux événements : Papon devait sa "brillante" carrière à des dossiers enfuis et enterrés : ce fut un juste retour des choses que sa carrière et son image soient brisées par l'exhumation d'autres dossiers forts compromettants.
Comme beaucoup de français, j'ai découvert tardivement la terrible séquence du 17 octobre 1961, Charonne ayant davantage fait la une des journaux... car il s'agissait de français qui avaient été tués. Clela, je l'ai dû à la découverte du titre "Meurtres pour mémoire" de Didier Daeninckx, sorti en 1984, qui dans un superbe roman policier m'avait appris un événement ne figurant alors dans aucun livre d'histoire. Un Daeninckx bien au fait de l'histoire, lui qui a habité à Aubervilliers, il avait écrit son ouvrage "naturellement" car il avait été aux premières loges : une des personnes tuées à Charonne faisait partie du cercle des relations de ses parents : "J’ai écrit Meurtres pour mémoire, mon deuxième roman, en 1983 pour me démarquer d’une sorte de silence qui pesait sur la société française, et qui était lié en partie à des épisodes de la guerre d’Algérie qui ont eu lieu en France. L’élément fondateur de mon intérêt pour cette guerre, ce sont des souvenirs d’enfance et de préadolescence et, surtout, les événements du métro Charonne. Une amie de ma mère, habitante de notre cité à Aubervilliers, a été l’une des huit personnes tuées au soir de ce 8 février 1962. J’allais au même collège que ses enfants et j’ai participé à l’enterrement qui regroupait pratiquement 500 000 personnes. Ces événements m’ont profondément marqué et de ce fait, en 1997, j’ai assisté, totalement médusé et révolté, à l’arrivée de Maurice Papon au gouvernement, en tant que ministre du budget. Préfet à l’époque de Charonne, il était pour moi le responsable direct de la mort de ma petite voisine. Outre cette mort, si la guerre d’Algérie est au cœur de mon enfance, c’est qu’il y avait alors chaque semaine, à Aubervilliers, une manif pour la paix en Algérie. Pas mal de jeunes de la ville avaient été appelés en Algérie, un certain nombre y ont été blessés et une dizaine y sont morts. À chaque fois, il y avait enterrement et manifestation. Enfin, dans la cour du collège, il y avait des bagarres entre gamins, ceux qui étaient pour l’Algérie française, ceux qui étaient pour l’indépendance, et les jeunes Algériens. Car, dans les années 60, Aubervilliers était une ville très mélangée. D’un côté il y avait une forte immigration, en particulier une immigration algérienne, principalement kabyle. De l’autre, il y avait la présence d’une petite et moyenne bourgeoisie très organisées et de l’église. Cette guerre a donc en quelque sorte rythmé mon enfance et ma préadolescence."
(*) la dernière idée en date, reprise depuis hier sur les sites d'extrême droite étant que le massacre était causé par... le seul FLN, qui avait appelé à manifester alors que des policiers français venaient d'être assassinés ! En oubliant le caractère paisible et familial de la manifestation ou beaucoup d'enfants avaient participé, comme l'ont relevé les historiens et comme le montrent les photos. Bien sûr, selon ces extrémistes nosalgiques de l'Algérie française, ou de l'OAS, c'était de la manipulation pure, ce n'étaient pas les CRS les responsables, et en somme, pour eux, pour eux aussi, alors, les huit morts de Charonne s'étaient donc étouffés eux-mêmes !
références :
-L'excellente BD "Dans l'ombre de Charonne" préfacé par Benjamin Stora.
-Alain Duwerpe, "Charonne, 8 février 1962, anthropologie historique d'un massacre d'état", Gallimard, inédit Folio
-"Les calots bleus et la bataille de Paris, une force auxiliaire pendant la Guerre d'Algérie".
le document indispensable :
Jean-Pierre Bernard, 30 ans, dessinateur
Fanny Dewerpe, 31 ans, secrétaire
Daniel Féry, 16 ans, apprenti
Anne-Claude Godeau, 24 ans, employée PTT
Édouard Lemarchand, 41 ans, menuisier
Suzanne Martorell, 36 ans, employée à L'Humanité
Hippolyte Pina, 58 ans, maçon
Raymond Wintgens, 44 ans, typographe
Maurice Pochard (décédé à l'hôpital), 48 ans
"Huit des neuf victimes de la tragédie de Charonne reposent au cimetière parisien du Père Lachaise dans la 97ème division".
Grimaud et mai 68 en 9 épisodes enregistré le 2 avril 2008 :
http://www.dailymotion.com/video/x5fwcc_entretien-avec-m-grimaud-prefet-de_news
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