La ponérologie politique : étude de la genèse du mal, appliqué à des fins politiques – une psychologie du complot (1/3)
La psychopathie est « le plus grand obstacle au développement de la personnalité et des groupes sociaux ». « L’incapacité générale à reconnaître le type psychologique de ces personnes [i.e. les psychopathes] provoque d’immenses souffrances, la terreur de masse, l’oppression violente, le génocide et la décadence de la civilisation… Tant que le pouvoir suggestif [i.e. hypnotique, charmant et “envoûtantˮ] des psychopathes n’est pas confronté avec les faits et avec les conséquences morales et pratiques de sa doctrine, des groupes sociaux entiers peuvent succomber à son appel démagogique. » (Kazimiers Dabrowski, 1902-1980, auteur de la théorie de la désintégration positive et du concept de psychopathie essentielle.)
À une époque où les crises et les évènements tragiques qui animent notre quotidien exacerbent nos peurs et nos angoisses les plus archaïques, où les théories du complot poussent comme les champignons à la pleine saison et où l’espérance en un avenir meilleur fond comme neige au soleil, il serait plus que temps de prendre une pause afin de réfléchir TRÈS sérieusement pour savoir où va le monde et POURQUOI il prend la direction qu’il semble suivre actuellement.
Tous les gens à qui il reste un tant soit peu de bon sens et qui s’interrogent sur l’avenir de notre planète – et de ses habitants – devraient en toute simplicité se poser une seule question, à savoir : existe-t-il un domaine scientifique qui en toute objectivité puissent nous permettre d’identifier les causes du mal-être que nous sommes de plus en plus nombreux à ressentir aujourd’hui dans notre société ?
La réponse à cette question est affirmative : OUI… il existe bel et bien une discipline scientifique qui, malgré ses imperfections et sa démarche heuristique parfois controversée, nous permet de poser un diagnostic fiable sur la nature du mal qui gangrène l’humanité tout entière depuis des millénaires.
Comble de malheur, cette science ne s’est pas développée comme on aurait pu l’espérer après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale et reste encore en germe dans l’esprit de certains chercheurs.
Un scientifique, Andrew Lobaczewski, réunissant un groupe de recherche, en a pourtant posé les bases dans un livre remarquable auquel cet article a emprunté le titre : La ponérologie politique ; étude de la genèse du mal, appliqué à des fins politiques.
Un titre très ambitieux pour un ouvrage qui ne l’est pas moins. Pourtant, comme le précise l’éditeur de cet essai, les éditions Pilule Rouge, ce livre « est peut-être l’ouvrage le plus important que vous lirez jamais » ; et, affirme-t-il : « en fait il le sera ».
Nous pourrions trouver cette assertion péremptoire bien présomptueuse, voire exagérée ou intéressée… Il n’en est rien !
Néanmoins, je reformulerais différemment cette allégation : cet ouvrage ne sera pas « le plus important que vous lirez jamais », il est probablement le plus important que vous puissiez jamais étudier. La richesse des idées qui y sont développées ne peut être appréhendée qu’au terme d’une longue réflexion à l’issue de laquelle il vous sera possible d’entrevoir les horizons ébauchés tout au long de cet essai, car outre la pertinence des analyses proposées, ce livre est aussi une invitation et un plaidoyer pour le développement d’une véritable science, la ponérologie, seule à même de nous immuniser contre les mouvements de violences macrosociaux qui conduisent l’humanité à s’entredéchirer comme ce fut déjà le cas au cours du siècle dernier.
Jusqu’à une période récente, nous précise A. Lobaczewski, il aurait été impossible d’écrire un tel livre dont le cœur du sujet porte sur les lois qui gouvernent l’apparition du mal dans nos sociétés, car notre système naturel de concepts et d’imagination n’est pas équipé du contenu factuel nécessaire à la compréhension raisonnée des caractéristiques du mal présentes avant et pendant les périodes de cruauté perpétrait à l’encontre de l’humanité. En d’autres termes, nous n’avons pas les mots justes pour dire nos maux et notre pensée nous fait défaut pour comprendre la complexité du monde tel qu’il se présente à nous désormais.
Ce qui situe le premier écueil de cette entreprise qui est d’ordre sémantique.
A. Lobaczewski appelle « pathocratie » un gouvernement « où une petite minorité pathologique prend le contrôle à la place d’une société de gens normaux ». Cette dénomination présente l’avantage de « souligner le caractère fondamental du phénomène psychopathologique macrosocial, et le différencie des nombreux systèmes sociaux possibles conduits par des structures, coutumes et lois de gens normaux ».
Mais pour comprendre comment se met en place une pathocratie, nous devons d’abord en saisir la racine – i.e. l’individu –, car « c’est l’homme qui est l’unité de base de la société, et de toute la complexité de sa personnalité. […] Pour comprendre les lois qui gouvernent la vie sociale, il faut d’abord comprendre l’être humain, sa physiologie, sa psychologie, et ensuite accepter pleinement la qualité et la portée des différences (particulièrement les différences psychologiques) entre individus des deux sexes, familles, associations, groupes sociaux, ainsi que la structure complexe de la société elle-même. »
Il ressort d’une telle vision des choses que toute explication causale d’influence purement sociologique de ce phénomène qui ne prendrait pas en compte le facteur des potentialités individuelles peut être considérée comme « naïve ». Il en est également de même de celles, analytiques, qui ignorent les effets de l’environnement social dans la genèse de la personnalité.
Cette présentation de l’étude des processus pathocratiques n’est pas sans rappeler la troisième topique psychanalytique développée par Paul-Claude Racamier[1] à l’usage des familles, des groupes et des institutions. Une théorie qui envisage les « mouvements perversifs » comme une « dérive psychopathologique » dont la compréhension nous permettrait d’inhiber, ou tout du moins d’anticiper, la « résurgence des âges sombres[2] » qui nous guette pour peu que nous en tirions les conclusions qui s’imposent et que nous mettions en place des solutions appropriées.
Cette parenthèse mise à part, existe-t-il des individus dont les caractéristiques intrinsèques sont à la source du processus de ponérogenèse ?
A. Lobaczewski en identifie plusieurs qui sont les troubles du caractère à tendance paranoïaque qu’il qualifie de caractéropathie paranoïaque, la caractéropathie frontale, les caractéropathies induites par des drogues, la psychopathie schizoïde et enfin la psychopathie essentielle qui peut être comparé au daltonisme et dont « l’intensité varie elle aussi : d’à peine perceptible pour l’observateur averti jusqu’à la déficience manifestement pathologique. Comme le daltonisme, cette anomalie affecte la transformation des stimuli, sauf qu’ici les choses se passent sur plan instinctif[3] et non pas sensoriel. » Cette dernière affecte les deux sexes et est principalement au cœur du processus de ponérogenèse dans nos sociétés.
À l’image du dispositif à trois étages de banalisation du mal mis en lumière par Christophe Dejours, nous pourrions construire une représentation pyramidale de ce système dont les différents niveaux, « lorsqu’ils sont correctement emboîtés […], ont un pouvoir efficace de neutralisation de la mobilisation collective contre l’injustice et le mal infligé à autrui, dans notre société[4]. »
Au plus haut niveau, nous trouvons « les leaders de la doctrine néolibérale et de l’organisation concrète du travail du mal sur le théâtre des opérations. Le profil psychologique le plus typique est représenté par une organisation de la personnalité de type pervers ou paranoïaque[5]. […] Leur engagement n’est pas défensif, il est porté par une volonté qui se situe dans le prolongement direct de leurs motions inconscientes[6]. » Le second niveau est constitué par les collaborateurs directs qui adhèrent à l’idéologie des leaders sans la remettre en cause. Auquel cas, ils seraient exclus. Et enfin, le troisième niveau compte la masse des individus qui constituent la société, eux-mêmes divisés en trois sous-groupes, etc.
L’unification de ces différents niveaux « est assurée par l’utilisation commune des contenus stéréotypés de rationalisation qui sont mis à leur disposition par la stratégie de la distorsion communicationnelle[7]. » Autrement dit, c’est la mise en pratique d’une idéologie basée sur les pulsions de leaders pathologiques qui assure la cohésion de l’ensemble aboutissant, in fine, à l’émergence d’une pathocratie.
Dès lors, pour identifier ce style de gouvernement nous devons définir les caractéristiques de cette idéologie et les procédés employés pour sa diffusion dans l’espace public ainsi que celles de l’instinct des personnalités à tendance psychopathique.
Sur ce dernier point, il est à noter que le fonctionnement psychique du psychopathe[8] est principalement régi par la satisfaction de ses besoins primaires (boire, manger, dormir, se reproduire, respirer, etc.) dont la gestion incombe avant tout au « cerveau reptilien », selon la théorie du cerveau triunique de Paul MacLean, chargé d’assurer la survie de l’organisme. (À ce titre et en aparté, souvenons-nous que la perversion narcissique est une défense de survie, ou de survivance, psychique.)
Concernant l’idéologie d’une pathocratie, nous la reconnaissons principalement à sa dimension impérialiste qu’elle cherche à imposer coûte que coûte, à sa « pensée inversive » et au double langage qu’il lui est subséquent.
Quant aux moyens les plus utilisés, ils font appel à la rationalité « pseudo-logique et la conversion, la projection sur d’autres personnes, groupes sociaux ou nations, de ses propres caractéristiques et intentions, l’indignation pseudo-moralisante, et l’état d’inversion. » Soit, tous les traits typiques de la communication déviante ou perverse à laquelle nous devons ajouter le double nœud[9].
Cette méthode, très prisée des pathocrates, est appliquée sur une grande échelle grâce aux moyens de communication dont nous disposons à l’heure actuelle et pousse les gens normaux dans une voie sans issue, car ceux-ci sont pris au piège de la double contrainte (double nœud) et n’ont dès lors plus que l’ultime recours du choix manichéen imposé : « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes[10] », véritable piège décervelant de la pensée unique.
Cependant, précise A. Lobaczewski, « il nous faut souligner que bien que certains travaux dans le domaine de la psychopathologie contiennent des descriptions de la plupart de ces méthodes qui frisent l’hypocrisie, il n’existe malheureusement pas d’étude générale permettant de combler les vides qui subsistent[11]. »
Voici très succinctement résumé, ce en quoi tient une pathocratie, mais n’allez surtout pas imaginer que cela est suffisant pour en diagnostiquer les signes avant-coureurs et en comprendre la complexité. Quoi qu’il en soit « la pathocratie trouvera toujours une réponse positive dans un pays indépendant contaminé par un état avancé d’hystéricisation, ou dans lequel une caste privilégiée peu nombreuse opprime et exploite les autres citoyens, les gardant ignorants et attardés ; tous ceux qui sont désireux de guérir le monde peuvent être pourchassés, et leur droit moral d’agir peut être mis en question. Le mal dans le monde constitue un continuum : une espèce ouvre la porte à une autre espèce, toutes essences qualitatives et slogans idéologiques confondus[12]. »
Ainsi, tout l’intérêt de ce livre ne se borne pas à l’énonciation des quelques caractéristiques inhérentes à une pathocratie, ce n’est là que la partie visible de l’iceberg… non ! L’importance de cet essai réside dans la description des processus ponérogéniques clairement identifiés et analysés par A. Lobaczewski qui induisent une pathocratie.
Ces dynamiques s’inscrivent sur un continuum vis-à-vis duquel nous perdons de vue les liens de causes à effets responsables du mal macrosocial qui en découle, car ceux-ci s’étalent sur plusieurs générations. Le risque de pathocratie est au plus haut lorsque les forces spirituelles et morales sont au plus bas et qu’elles se conjuguent avec l’ignorance des facteurs psychologiques qui concourent à l’apparition du mal dans nos sociétés.
Nous avons précédemment évoqué les facteurs psychologiques individuels à l’origine du mal, il nous reste à comprendre comment il se propage par contagion à l’ensemble de la société et permet à la pathocratie d’assurer son emprise sur le peuple. C’est ce qu’A. Lobaczewski nomme « l’état d’hystéricisation sociétale ». Laissons-lui la parole :
« Pendant les temps heureux de paix et d’injustice sociale, les enfants des classes privilégiées apprennent à chasser de leur champ de conscience tous les concepts inconfortables qui suggèrent qu’eux-mêmes et leurs parents tirent profit de l’injustice. Les jeunes apprennent à dénigrer les valeurs morales et mentales de toute personne dont ils exploitent le travail. Les jeunes esprits ingèrent ainsi des habitudes d’inconsciente sélection et substitution de données, ce qui permet une économie de conversion hystérique du raisonnement. Ils grandissent et deviennent des adultes hystériques à des degrés divers qui, par les moyens décrits plus haut, transmettent leur hystérie à la génération suivante, qui développe ensuite ces caractéristiques à un degré plus élevé. Les modèles d’hystérie de l’expérience et du comportement s’étoffent et s’étendent vers le bas à partir des classes privilégiées, jusqu’à franchir les limites du premier critère de ponérologie[13]. »
Puis il poursuit par cette remarquable description qui ne manquera pas d’interpeller plus d’un lecteur :
« Quand les habitudes de sélection et de substitution subconscientes de pensées atteignent le niveau macrosocial, la société se met à mépriser la critique de certains faits et humilier quiconque donne l’alerte. D’autres nations qui ont conservé des modèles de pensée normaux et des opinions normales sont elles aussi tenues en mépris. C’est la société elle-même qui par ses processus de pensée inversive a recours à la terrorisation de la pensée. Il n’est dès lors plus besoin de censurer la presse, le théâtre, les émissions de radio ou de télévision, puisqu’un censeur pathologiquement hypersensible se trouve parmi les citoyens. »
Sans achever pour autant sa longue analyse, il rajoute :
« Quand trois “égosˮ gouvernent : l’égoïsme, l’égotisme, et l’égocentrisme, alors le sentiment des liens sociaux et de responsabilité disparaissent, et la société éclate en groupes de plus en plus hostiles les uns aux autres. Lorsque dans un environnement hystérique il n’y a plus de distinction entre les opinions de gens limités, pas entièrement normaux, et celles de personnes normales et raisonnables, des facteurs pathologiques de natures diverses sont activés. »
Le fruit est alors mûr et peut être cueilli. Le résultat en est que le champ libre est laissé aux individus ayant adopté une vision pathologique de la réalité qu’ils finissent par imposer au monde d’autant plus facilement qu’ils dominent l’ensemble des médias. Internet excepté, d’où les tentatives de mainmise et les campagnes de dénigrement dont cet outil est l’objet[14].
Devant ce tableau quelque peu pessimiste, de quels moyens dispose le peuple pour se prémunir d’une telle « dérive psychopathologique » ?
A. Lobaczewski nous donne une solution qui laisse entrevoir l’énorme difficulté à laquelle nous sommes confrontés pour nous libérer de l’esclavagisme de nos « maîtres » :
« Le bon système social du futur devrait donc protéger individus et sociétés en empêchant les personnes affectées des déviances décrites [dans les pages de ce livre] d’exercer une fonction sociale où le sort d’autrui dépendrait de leur comportement. Ceci s’applique en premier lieu aux fonctions supérieures au sein du gouvernement. Ces questions devraient être traitées par une institution composée de gens reconnus pour leur sagesse et ayant reçu une formation médicale et psychologique. Les caractéristiques des lésions aux tissus cérébraux et les troubles du caractère qui en résultent sont beaucoup plus faciles à déceler que certaines anomalies héritées. Dès lors, l’arrêt des processus ponérogéniques par la suppression de ces facteurs de synthèse du mal est efficace pendant les phases précoces de cette genèse, et beaucoup plus aisé dans la pratique. »
Bien que difficile, cette solution n’est toutefois pas inenvisageable, mais nécessite ce que de très nombreux professionnels de la santé mentale, un peu partout au travers de la planète, en ont déjà conclu : « Nous ne pourrons vaincre cet énorme cancer social qui se propage que si nous comprenons ce qu’il est en essence et quelles sont ses causes étiologiques. Voilà qui éluderait le mystère de ce phénomène, mystère qui est son premier atout de survie. Ignota, nulla curatio morbi ! »
En d’autres termes, pour que les lignes de front puissent bouger, il est absolument nécessaire qu’une majorité de la population puisse prendre conscience de la réalité psychique des gens qu’elle élit au pouvoir avant qu’il ne soit trop tard.
Un dernier mot pour conclure.
Malgré le titre, si ce n’est au premier paragraphe qui suit la citation de Kazimierz Dabrowski, l’un des chercheurs ayant accompagné d’A. Lobaczewski dans son entreprise, je n’ai pas évoqué la problématique des théories du complot pourtant centrale dans notre sujet pour la simple raison que l’auteur de l’ouvrage présenté ici n’en fait nullement mention[15]. Néanmoins, je me dois de révéler le détail qui m’a incité à lier la ponérologie politique aux théories du complot afin d’éclairer le lecteur. Tous ceux qui ont pu approcher les arcanes du pouvoir de suffisamment près et ont eu maille à partir avec des psychopathes sans en être complices savent pertinemment que la peur du complot, dont le « délire de persécution » est l’un des principaux symptômes, obsède ce type de personnalité au-delà de ce que le commun des mortels – la personnalité normale – est capable d’imaginer. Et si l’on prend soin d’assimiler les méthodes employées par ces individus, comme exposées ici et développées dans le livre d’A. Lobaczewski, nous sommes alors à même de comprendre que les véritables complots, ceux qui privent les citoyens de la jouissance de leurs droits et qu’une certaine sociologie « naïve » réfute catégoriquement (conflit d’intérêts et/ou complicité ?), sont d’essence purement psychopathique et les dénigrer chez autrui fait intégralement partie des stratégies qu’ils utilisent pour faire croire aux masses que le pouvoir ne complote jamais et que les seuls « complotistes » qui existent sont ceux-là mêmes qui les dénoncent[16].
De son temps déjà, un jeune auteur de 18 ans, Étienne de la Boétie, avait compris cela lorsqu’il rédigea l’un des plus importants écrits de l’histoire de la philosophie française, son Discours de la servitude volontaire :
« Il y a trois sortes de tyrans. Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race. Ceux qui ont acquis le pouvoir par le droit de la guerre s’y comportent – on le sait et le dit fort justement – comme en pays conquis. Ceux qui naissent rois, en général, ne sont guère meilleurs. Nés et nourris au sein de la tyrannie, ils sucent avec le lait le naturel du tyran et ils regardent les peuples qui leur sont soumis comme leurs serfs héréditaires. Selon leur penchant dominant – avares ou prodigues –, ils usent du royaume comme de leur héritage. Quant à celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu’il devrait être plus supportable ; il le serait, je crois, si dès qu’il se voit élevé au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi qu’on appelle grandeur, il ne décidait de n’en plus bouger. Il considère presque toujours la puissance que le peuple lui a léguée comme devant être transmise à ses enfants. Or dès que ceux-ci ont adopté cette opinion, il est étrange de voir combien ils surpassent en toutes sortes de vices, et même en cruautés, tous les autres tyrans. Ils ne trouvent pas meilleur moyen pour assurer leur nouvelle tyrannie que de renforcer la servitude et d’écarter si bien les idées de liberté de l’esprit de leurs sujets, que, pour récent qu’en soit le souvenir, il s’efface bientôt de leur mémoire. Pour dire vrai, je vois bien entre ces tyrans quelques différences, mais le choix je n’en vois pas : car s’ils arrivent au trône par des moyens divers, leur manière de régner est toujours à peu près la même. Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à dompter, les conquérants comme leur proie, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature[17]. »
Alors si un jeune homme de 18 ans, en l’an de grâce 1549, a pu écrire une analyse aussi profonde sur laquelle nous reviendrons à la suite de ce billet, nous pouvons garder quelques raisons d’espérer en l’avenir de jours meilleurs, à condition toutefois de prendre conscience des déviances de nos élus et de réussir à y mettre un terme.
Philippe Vergnes
N. B. :
Les citations sans référence sont toutes extraites du livre présenté dans cet exposé.
[2] Cf. « Où est Charlie ? Le retour du fascisme et du totalitarisme sous le masque de la perversion narcissique ».
[3] Des recherches récentes suggèrent que nombre de caractéristiques trouvées chez des psychopathes sont étroitement associées à une totale incapacité à construire un « facsimilé » mental et émotionnel empathique d’une autre personne. Ils semblent totalement incapables de se « mettre dans la peau » de quelqu’un d’autre, sauf dans un sens purement intellectuel. [Note de l’éditeur]
[4] Dejours, Christophe (1998), Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale, pp. 180-181.
[5] Cf. Enriquez, Eugène (2012), « Le pouvoir entre paranoïa et perversion » p. 119-136, in Clinique du pouvoir. Les figures du maître, Villematier : Érès, 252 p.
[6] C’est moi qui souligne.
[7] Dejours, Christophe, op. cit., p. 181.
[8] Beaucoup de choses ont été dîtes et écrites sur les « psychopathes », tant et si bien qu’il est très difficile aujourd’hui d’en donner une définition nosologique claire et consensuelle. Un sujet sur lequel nous reviendrons tantôt.
Toutefois, la tendance actuelle porte sur la distinction entre psychopathie primaire ou « successful » et psychopathie secondaire ou « unsuccesful ». La principale différence se situant dans la gestion émotionnelle du psychopathe, maîtrisée chez le premier, à fleur de peau chez le second. C’est Karpman (1941) qui, le premier, formule l’existence de deux types distincts de psychopathie : la psychopathie primaire engendrée par un dysfonctionnement neurologique et la psychopathie secondaire induite quant à elle par des conditions environnementales déficientes (rejet parental, sévérité parentale démesurée ou permissivité parentale excessive). Alors que le psychopathe primaire est fort peu sujet à l’expérience de l’anxiété, le psychopathe secondaire est littéralement habité par celle-ci dont les manifestions se résument pour l’essentiel à la dépression, la fragilité émotionnelle (neuroticisme) et le sentiment de culpabilité. Foncièrement insensible et égocentrique, le psychopathe primaire possède, contrairement au psychopathe secondaire affligé d’une impulsivité exacerbée, la capacité de planifier froidement ses actions.
[9] Sur la communication déviante, lire notamment : « L’instrument majeur du pervers narcissique : la parole » et les articles en lien, plus particulièrement celui portant sur « Le “pouvoirˮ, les “crisesˮ, la communication paradoxale et “l’effort pour rendre l’autre fouˮ » pour connaître certains des effets délétères sur le psychisme de ce type de rhétorique que nous subissons tous sans en avoir conscience. De là toute la duplicité de cette communication qui s’impose désormais dans tous les secteurs professionnels grâce, ou à l’aide, des politiques publiques actuelles.
[10] Article sur lemonde.fr : « Après les attentats, les similitudes entre le discours de Hollande et de Bush en 2001 ».
[11] Si je me suis permis de citer ce passage du livre d’A. Lobaczewski, c’est pour attirer l’attention sur le fait, inconnu de cet auteur à l’époque où il rédigea ces lignes (1980), que cette étude a depuis été en très grande partie accomplie par P.-C. Racamier et ses successeurs au travers de sa troisième topique psychanalytique et de la théorie de la perversion narcissique qui en découle.
[12] Tel est aussi le constat que pose Eugène Enriquez lorsqu’il écrit dans Clinique du pouvoir : « D’autant plus que paranoïaque et pervers ont l’art, soit de se succéder habilement, soit de combiner leurs efforts. Ce point central se doit d’être souligné et commenté… » (cf. « Le pouvoir entre paranoïa et perversion »).
[13] A. Lobczewski consacre tout un chapitre à se premier critère qui est le cycle d’hystérie sommairement décrit. Le second concerne la pathocratie proprement dite telle que résumée dans cet article.
[14] Bien qu’étant foncièrement pour la prévention de toute forme de harcèlement, le discours autour du cyber-harcèlement qui vise à incriminer Internet comme « cause » de ces conduites déviantes est un discours foncièrement pervers : en visant les moyens plutôt que les fins, on peut appliquer une tout autre politique que celle affichée qui est celle d’un contrôle croissant de la population ; même si cela n’est jamais dit.
[15] Toutefois, si A. Lobaczewski ne parle pas de « complotisme » ou de « conspirationnisme », il évoque de façon très claire le cas proche du « révisionnisme » en des termes qui situent parfaitement les enjeux de cet exercice du point de vue des pathocrates : « Les pathocrates font bien de craindre les réactions à leur idéologie traditionnelle après correction et reconstruction dans sa forme primitive [Nda : c-à-d, après dénonciation de leur rhétorique paradoxale à but manipulatoire, un exercice que nous devrions entreprendre pour notre constitution]. En fait, ce qui est appelé “révisionnismeˮ leur arrache des mains leurs instruments de propagande et leurs armes. » (p. 294)
[16] Cette assertion psychopathique est typique de la pensée inversive et l’énoncé de ce paragraphe pourrait peut-être poser problème à quelques lecteurs. Cela tient à la nature de la pensée inversive – pensée perverse – et au double langage – novlangue ou communication paradoxale – qu’elle utilise et pour lesquels j’ai déjà consacré de nombreux articles communiqués en lien dans le billet intitulé « L’instrument majeur du pervers narcissique : la parole ». Un sujet sur lequel il sera toutefois nécessaire de revenir.
[17] De la Boétie, Étienne (1549), Discours de la servitude volontaire ou le Contr’un, Paris : Mille et une nuit (1997), 64 p., (pp. 19-20).
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