La stratégie de Sarkozy : un système rhétorique jouant sur les affects
Rarement un homme politique n’aura autant provoqué la fureur de ses adversaires.
Voici un humble essai d’analyse de la stratégie de communication politique de NS, des raisons de sa victoire électorale et du silence assourdissant de ses adversaires contre son idéologie à l’oeuvre.
Et si nous faisions son jeu en laissant la haine nous submerger à son encontre ? Lorsque l’on hait, on ne pense plus. Lorsque l’affect prend le dessus, l’intelligence n’a plus rien à dire. Les idées de NS triomphent dans le silence des intellectuels de gauche.
Pour vaincre un adversaire il faut tout d’abord comprendre les raisons de sa victoire.
Ce n’est pas un mystère, le sarkozysme n’existe pas. L’action politique de NS ne résulte pas d’un modèle de pensée original, il ne s’agit pas d’une idéologie construite d’interprétation du monde. L’intéressé lui-même se défend d’être un intellectuel. Ecoutez sa rhétorique de manager dynamique, c’est un "homme d’action", pas de réflexion. L’action politique de NS ne répond pas à un schéma qui lui serait propre, loin de là. Il applique sans réelles nuances un programme de réformes économiques libérales de choc de type reaganien, inspirée par Milton Friedman.
Il n’a rien inventé, les modèles sont anglo-saxons, appliqués voilà plus de vingt ans aux Etats-Unis et plus de quinze au Royaume-Uni par Blair en Europe pour vaincre le chômage de masse, équilibrer le budget de l’Etat et favoriser les capacités concurrentielles des entreprises. Mais cela a un prix : la précarité et la fin du rôle protecteur de l’Etat.
Pour faire court, on privilégie le développement du travail dit "flexible" (emploi à temps variable et bas salaires), on "restructure" l’Etat (baisse drastique du nombre de fonctionnaires, limitation des mission de l’Etat) pour, dans l’ordre, permettre la baisse du coût du travail pour les entreprises et de l’activité pour les moins qualifiés et résoudre les déséquilibres budgétaires.
Ces politiques visent ouvertement la fin de l’Etat providence, fruit de l’Après-Guerre, et veulent faire entrer les nations dites développées dans un paradigme de concurrence internationale. Le but n’est plus de protéger au maximum les ménages contre les aléas de l’existence, mais les entreprises nationales contre ce qui peut freiner la progression éternelle de leurs bénéfices, car elles sont en concurrence avec les entreprises du monde entier.
C’est la vision néolibérale du vivre-ensemble.
La nation se transforme en une firme gigantesque, les objectifs sont financiers, le bilan doit être bon. Pour ces objectifs, tout ou presque doit être sacrifié. Nous devons être les salariés les plus productifs et proposer les produits les plus innovants et les moins chers possibles. Voilà le seul horizon politique de NS. Il est un "enfant politique" des années 1980, âge d’or du réformisme libéral.
L’ensemble des "grandes réformes" de NS vise l’entrée de la France dans cet "Âge d’Or du capitalisme triomphant" que nous vivons (Cf. fin de l’histoire de F. Fukuyama, ancien penseur officiel du néo-conservatisme de G. W. Bush). Selon Fukuyama, nous vivons la fin des temps des idéologies depuis l’effondrement de l’URSS et la victoire du modèle de société anglo-saxon, désormais seule la lutte pour les matières premières compte.
Voilà pour le fond défendu par NS, quelle forme a-t-il choisi, quelle stratégie pour faire triompher ses idées ?
NS l’a dit à qui veut l’entendre, il ne veut pas durer. Il s’ingénie à provoquer la haine de ses opposants politiques. Son personnage médiatique est parfois si caricatural (Rolex, Fouquet’s, vacances sur yacht...) que l’on peut se demander s’il ne le fait pas à dessein justement, tant il cherche à incarner ce qui irrite le "peuple de gauche". Ce qu’il fait est pensé.
Comment faire pour paralyser les intellectuels de gauche de ce pays ?
Comment faire pour qu’ils restent sans voix devant lui, afin qu’il puisse occuper seul l’espace médiatique, le saturer et ne plus permettre aucune critique construite ?
Comme rarement, un homme politique français aura autant provoqué la haine de ses adversaires. Or, la haine, appartenant au domaine du pathos, de l’affect, inhibe la pensée logique, le discours rationnel. Lorsqu’on hait, on invective, on crache son dégoût (souvenez-vous du quart d’heure de la haine de 1984), on ne pense plus.
La gauche le hait, le méprise, ce qu’il représente : l’argent roi, la réussite facile, l’anti-intellectualisme primaire, le flirt avec les thèses d’extrême droite... le bling-bling.
Sarkozy, dès le début, veut provoquer la haine de tous ceux qui pourraient s’opposer à sa vision du monde.
On critique son style brutal, ses manières rustres, son mauvais goût... et on ne critique plus son idéologie. Car, si le sarkozysme stricto sensu n’existe pas, il se réfère constamment à l’idéologie néolibérale, néoconservatrice. Cette "rupture" conservatrice et libérale a un modèle évident : G. Bush et le Parti républicain.
Que fut G. W. Bush, sinon l’incarnation de ce qui provoque la haine de la gauche intellectuelle américaine ? Son style rustre, son anti-intellectualisme, son côté "idiot du village". Et la gauche américaine, en face de ce phénomène politique, ne peut rien dire, elle ne peut que détester, se taire et subir la défaite, tout comme la gauche française. Sarkozy vit dans un pays qui respecte l’intelligence (ou son apparence), il ne peut pas "trop" jouer au "Français moyen" pendant la campagne, il le fera une fois la victoire acquise : Disneyland pour Carla, Bigard pour le pape. Mais déjà la stratégie est là avec Johnny Hallyday et Christian Clavier. Il sait se rapprocher des personnalités que la plupart des Français aiment et surtout que les intellos de gauche détestent.
Plus on critique l’homme, moins on critique ses idées, sa vision du monde et les conséquences de celles-ci pour notre société.
Ses adversaires socialistes, en mal de projet à lui opposer, sont tombés dans le piège durant la campagne. Ils faisaient du TSS, critiquaient l’homme lorsqu’il aurait fallu faire la déconstruction de son discours. Seulement voilà, déconstruire un discours aussi bien préparé, cela demande du temps d’antenne, et le temps médiatique n’est pas le temps de la réflexion.
Et puis, avouons-le, même les cadres du PS voulaient ces réformes. Ce n’est pas un hasard si l’"ouverture" sarkozyste fonctionne, s’il a réussi à débaucher tant de "gens de gauche" une fois l’élection remportée.
Son équilibre à lui se nomme RSA (celui de Jospin était 35 heures contre flexibilité du temps de travail), il achève l’Etat providence, dérégule complètement le marché du travail, met à mort les 35 heures, mais crée un mécanisme de minima sociaux revalorisés et incitatifs. RSA que la gauche est bien en peine de pouvoir attaquer.
Reconnaissons le génie de l’adversaire. Nouvelle rhétorique des affects : jouer sur les passions négatives pour marteler et faire avancer ses idées.
Plus on parle du "bruit médiatique" de Sarkozy, moins on parle des réformes que subit notre modèle social, notre modèle constitutionnel, et notre politique internationale. Plus on donne de l’écho aux anecdotes formelles de NS, plus on aide sa politique. C’est pervers car cela rend inefficace la critique la plus facile, celle de la forme, mais c’est ainsi.
NS paie sa dette stratégique à G. W. Bush, il est parmi les derniers au monde à saluer l’action du président des Etats-Unis. Ce n’est pas un hasard si NS est l’ami de Berlusconi, modèle du genre. Qui mieux que le condottiere joue sur la haine qu’il provoque chez les intellectuels de gauche italiens pour les réduire au silence ? Sur l’anti-intellectualisme ?
Pour vaincre NS, l’empêcher d’être réélu, ne pas jouer son jeu.
Il provoque, il cherche le vomissement d’articles et de commentaires de haine. Se faisant vous tuer votre propre capacité à construire un contre-projet de vivre-ensemble qui ne nous fasse pas tous devenir des maillons anonymes de l’entreprise France.
Ne nourrissez pas ce troll politique s’il vous plaît.
Sarkozy ne restera pas dans l’Histoire comme le constructeur d’un nouveau modèle français, contrairement à ce qu’il souhaite. Son intelligence politique est entièrement absorbée par la destruction de toute possibilité de critique valable. Ce qui peut expliquer son cruel manque de vision à long terme, ses idées jetées sans préparation, son improvisation perpétuelle. Il occupe le terrain, et ça lui prend toute son énergie. Ne nous focalisons pas sur ces gesticulations qui appellent le rejet violent, mais sur le triste visage de la France qu’il construit.
Plus le message de l’adversaire est efficace, et plus le contre-message doit être construit.
La critique facile, celle de la forme, ne fait que servir le fond de la politique de NS.
Ne tombez pas dans le piège de ce système rhétorique jouant sur les affects,
Bien à vous tous,
Zénon
49 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON