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La tumultueuse relation auteur-éditeur

La relation éditeur-édité est la même depuis qu’un individu en a convaincu un autre de lui confier la gestion de ses droits intellectuels pour l’aider à diffuser les fruits de sa pensée au plus grand nombre. Variations autour d’idées reçues qui ont encore la vie dure...

J’ai la chance et le bonheur - ou la malchance, si l’on se place parfois du point de vue de ma banquière - d’avoir la triple casquette d’auteur, de directeur de collection pour une "maison" parisienne indépendante, et d’animateur de publications littéraires. Il ne se passe donc pas une journée sans que je n’entende les mêmes réflexions qui se partagent en deux grandes catégories. D’un côté : "Ah ! Vous écrivez ? Et à part ça, vous faites quoi dans la vie ?" De l’autre : "Les éditeurs sont des voleurs, ils exploitent les auteurs et s’engraissent sur leur dos." C’est un interminable procès d’intention, émaillé d’idées reçues et de contre-vérités qui, décidément, ont la vie dure.

L’éditeur Pierre Nora, au détour d’une préface pour un rapport du Centre National des Livres, écrivait en novembre 2004 : "Je m’amuse parfois à résumer mes quarante ans d’éditeur dans une opposition hautement structurale et pas complètement caricaturale. Hier venait me voir un grand auteur avec trois cents pages qu’il avait couru chez lui corriger au premier haussement de sourcil involontaire qu’il avait cru apercevoir, en s’excusant de vous avoir montré ces pages sous une forme imparfaite. Il ne demandait pas d’à-valoir anticipé et disproportionné, attendait gentiment la publication, remerciait tous les services, vendait 30 000 exemplaires et vous invitait à dîner pour vous remercier de ce succès inattendu. Aujourd’hui, l’auteur exige contrat et gros à-valoir avant d’avoir écrit une ligne, remet son manuscrit avec retard, finit par apporter triomphalement six cents pages. Six cents pages qu’il faut récrire sans en avoir l’air ou en négociant péniblement. Il récrimine contre tous les services, attend une publication rapide, se vend à 800 exemplaires, l’impute au manque de publicité et vous certifie qu’il ne reviendra la prochaine fois que bien parce que c’est vous. Encore heureux qu’il n’ait pas d’agent, la nouvelle plaie, par qui passent par définition les auteurs étrangers dont les ouvrages traduits se vendent par définition encore moins bien. Le miracle est qu’il y ait encore dans ces conditions des éditeurs..." On ne peut être plus clair... Tout est dit. Pierre Assouline s’était fait l’écho de cette préface sur son blog. Et ce fut la déferlante de commentaires du style : "C’est bien, jusqu’à preuve du contraire, l’auteur qui effectue (au moins) 90 % du travail et reçoit (au mieux) 10 % des bénéfices. C’est bien l’auteur qui fait vivre l’éditeur, et bien plus rarement l’inverse." Tous pointent du doigt l’abominable éditeur, l’affameur, le détrousseur de vieilles dames, faisant son beurre, et l’argent du beurre - sans oublier le cul de la crémière, pourquoi se priver ? - sur le dos de ces pauvres écrivains - mal aimés, incompris, spoliés, et j’en passe... -, qui n’en peuvent mais, acculés à la ruine, à la déchéance et à la misère, futurs SDF... mais qui persistent et s’acharnent à expédier leurs manuscrits à ces voleurs patentés que sont les éditeurs... Il y a du Bloy et du Céline dans ces jérémiades qui ne font malheureusement pas avancer le débat, si débat il devait y avoir. Car la relation éditeur-édité est la même depuis qu’un individu en a convaincu un autre de lui confier la gestion de ses droits intellectuels pour l’aider à diffuser les fruits de sa pensée au plus grand nombre. "Le plus étonnant, dans cette histoire, écrit Sylvie Perez, en introduction de son excellente enquête sur l’écrivain et son éditeur (Un couple infernal, Bartillat), c’est que tout ce que nous connaissons aujourd’hui du milieu de l’édition était en place au XIXe siècle, dès l’apparition du nouveau métier d’éditeur. À ce titre, le XXe siècle n’a rien apporté, et, du même coup, n’a pas grand-chose à se reprocher. Tous les excès relatifs à l’exploitation commerciale de la littérature, la surenchère des avances sur droits, les transferts d’auteurs, l’invention des nouveaux formats et des petits prix, la promotion échevelée, l’empire des "people", les livres-concepts les plus éloignés possible de toute idée de littérature, les compilations, les "digests"... tout, absolument tout est conçu au XIXe siècle. Les idées sont là. Ça n’est plus qu’une question d’échelle. Les outils se sont perfectionnés."
Alors de grâce, n’en jetez plus ! Arrêtez, tel l’esclave dans Salammbô, de saler les lentilles avec vos propres larmes.

Je fais donc partie de ceux qui voient passer des factures d’imprimeurs et de distributeurs, des notes d’honoraires de graphistes et de cabinets de relations presse, des budgets de fonctionnement avec les coûts fixes et variables et des relevés de comptes d’auteurs. Je vois également passer ces centaines de manuscrits qui sont tous étudiés - dont la plupart ont cette saveur de déjà vu, déjà lu - et agrémentés de notes de lectures, refusés ou défendus en comités. Et, désolé, mais je n’ai pas l’impression de voler les auteurs dont j’ai la charge du suivi.
On ne le répétera jamais assez : écrire n’est pas un métier, même si c’est une impérieuse nécessité. Les écrivains qui ne vivent que de leur plume se comptent sur les doigts des mains ; et c’est la conséquence d’un long processus basé à l’origine sur un investissement à long terme de l’éditeur. Écrire suppose le plus souvent d’avoir un autre métier (enseignant, journaliste...), avant de franchir le pas. Il n’y a là rien de déshonorant. Nous ne sommes plus à l’époque où de jeunes héritiers disposaient d’une fortune ou d’une rente, leur permettant de se consacrer pleinement à l’écriture, souvent par désoeuvrement : Flaubert, Gide, Proust, pour ne citer qu’eux ; et qui d’ailleurs publiaient le plus souvent à compte d’auteur. Pour les plus sceptiques, je leur suggère de se procurer les relevés d’auteur de Gide, d’avant 1920... Les temps ont changé, l’édition s’est industrialisée. On peut certes le déplorer, mais c’est ainsi, il faut faire avec. Ce qui n’empêche pas, soyons honnêtes, certains éditeurs d’en profiter et de se comporter comme des margoulins. Nous les connaissons tous. Autant ne pas s’adresser à eux... De même que je ne nie pas l’opacité du système. Mais, quelles que soient les réformes et autres améliorations qui pourraient lui être apportées, vouloir vivre exclusivement de sa plume dès le premier roman, voire même le deuxième, relève de l’utopie et du rêve éveillé. Dans l’écriture et l’édition, il y a une part de prise de risque qui, quoi que l’on en pense, pèse plus sur l’éditeur que sur l’écrivain. Je ne nie pas non plus la dimension marketing qui parfois prend le pas sur l’instinct ou tout simplement le désir. Mais une démarche purement marketing et rémunératrice permet aussi en parallèle à l’éditeur de prendre plus de paris sur de nouveaux auteurs. C’est basique. Et lorsqu’il verse cent mille euros d’à-valoir à un auteur, il sait ce qu’il fait. Lorsqu’il n’en verse que deux mille, il paie pour voir. L’avance n’est qu’une avance. Et, au risque de choquer, il me semble que les relations seraient beaucoup plus sereines s’il n’y avait pas d’à-valoir, mais une réalité des comptes, dans une logique de marché, d’offre et de demande.
Je regrette d’ailleurs amèrement que l’édition à compte d’auteur soit à ce point dévalorisée, décriée et mise à l’index. Au lieu de cela, les écrivains putatifs pourraient se rendre compte in vivo, in situ, de visu et de facto des difficultés à imposer un livre et son auteur, aux commerciaux, aux représentants, aux médias, aux libraires et, in fine, aux lecteurs...

Ceci étant dit, il y a un aspect du sujet rarement - voire jamais - abordé. Alors que je me confiais voici quelques semaines à l’un de mes éditeurs - et néanmoins ami -, au sujet d’un auteur m’ayant rendu un manuscrit ni fait ni à faire, avec plus de huit mois de retard et moult relances téléphoniques, texte finalement refusé parce que ne correspondant absolument pas au projet de départ (mais rémunéré rubis sur l’ongle le jour de la signature du contrat), il me fit cette réponse évidente : "On parle toujours des auteurs qui se plaignent de leurs éditeurs, et jamais des défaillances des auteurs..." Effectivement, parlons-en aussi. Mettons les pieds dans le plat.
Nous vivons une période formidable où chacun se targue d’être écrivain. Il y a en France quelque trois mille écrivains répertoriés comme tels (par les Agessa notamment), qui vivent exclusivement de leur plume et... plus de 2 000 000 (je le mets en chiffre pour bien marquer les esprits) de personnes qui écrivent. C’est énorme ; et c’est tant mieux. La question n’est pas là. Beaucoup de gens, donc, qui écrivent, et presque tout autant qui se flattent de savoir écrire. Combien de fois ai-je entendu des phrases dans le style : "Ah ! Moi aussi j’aurais tant de choses à raconter"  ; et aussi : "Si j’avais le temps, avec la vie que j’ai vécue, je ferais un succès de librairie", ou encore, la phrase qui tue : "Mais vous vendez du vent : quand je pense qu’il suffit d’aligner des phrases ; si je voulais..." Et lorsque les tenants de cette dernière assertion me demandent pourquoi j’écris, je réponds, histoire de couper court : "Mais tout simplement pour coucher avec des filles !" - quoi qu’il me faille bien admettre que le résultat n’est pas toujours à la hauteur, ni de mon énergie, ni de mes espérances... Beaucoup s’installent devant la feuille blanche et noircissent du papier : leur quotidien d’écrivains se résume alors très vite à écrire leur quotidien. Sans parler enfin de l’écriture conçue comme une thérapie, le dévidoir d’une diarrhée verbale intarissable, toute une vie chiée sur une rame de papier. Il suffit de demander à n’importe quel éditeur : la fonction de publier s’apparente souvent une séance géante de psychothérapie ; sans parler des auteurs qui harcèlent le standard, hurlant au complot, ne concevant pas de ne pas être publiés, persuadés de tenir en main le prochain Goncourt, hurlant à la censure au moindre déplacement de virgule, intransigeant à la moindre suggestion de modification du texte.

L’écriture, le monde du livre et des lettres font fantasmer. Car "ce qui est redoutable pour les écrivains, disait très justement Jacques Chardonne, c’est qu’ils écrivent ; et même ils se font voir et entendre partout où cela est possible, en toutes saisons". Connaît-on d’autres activités, non artistiques, qui suscitent autant de "vocations" ? A-t-on déjà entendu un quidam non médecin s’écrier dans un dîner en ville : "Une appendicectomie ? Mais je vous en fais dix tous les matins au petit déjeuner !" ?
Le problème reste entier. Pour ceux qui ne manquent pas de talent et qui ont franchi toutes les épreuves de ce qui est parfois considéré comme un parcours du combattant, Pierre Nora, dans son coup de gueule en forme de préface, n’a pas tout à fait tort. On pourrait dérouler la longue litanie des carences, défaillances et autres travers des auteurs que l’éditeur se doit de gérer à vue  : les retards, les "pertes" d’inspiration, les doutes à trois heures du matin, les manuscrits qui partent en vrille, les problèmes d’alcool et autres substances illicites, de couple, d’argent, d’huissiers, de susceptibilité, d’ego, j’en passe et des meilleurs. Et je pourrais même écrire un livre sur l’insondable génie créatif des excuses bidon de l’auteur en retard... Combien d’éditeurs ont l’étrange sensation d’être des psy, des banquiers, des confesseurs, des conseillers informatiques version traitement de texte, des rebouteux de l’âme et du corps, des redresseurs de torts, avant d’être tout simplement des éditeurs ?
Et au final, tout le monde sait qu’un livre qui marche, c’est grâce au talent de l’auteur, et qu’un livre qui ne décolle pas, c’est à cause de l’éditeur, celui-là même qui, une fois l’ouvrage imprimé, mettra tout en œuvre pour planter le lancement et s’interdire toute chance de retour sur investissement...

J’en resterai là pour ne pas rentrer dans des détails désobligeants. "Il faut se figurer une vie de couple entre deux personnalités de fer, analyse Sylvie Perez, égocentriques et, il faut bien le dire, un peu cinglées. L’un sans l’autre, ils ne sont rien. Ensemble, ils aspirent à la gloire." Car à y regarder de près, le rapport éditeur-édité n’est pas loin du rapport mari-femme dans un couple : on s’aime, on se le dit ; on s’engueule, on se déteste, on se le dit aussi. On se déchire, mais au final, on reste ensemble, pour les enfants au mieux, pour le chien au pire.


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12 réactions à cet article    


  • La mouche du coche La mouche du coche 3 septembre 2007 13:45

    Article surréaliste mais passionnant parceque reprenant tous les lieux communs sur ce métier et qu’à aucun moment, VOUS NE PARLEZ DE LA QUALITE DU LIVRE, ce qui est cynique très honnête de votre part.

    Pour gagner de l’argent les éditeurs ont 3 solutions :

    . Soit l’auteur est connu et son livre se vendra même s’il est mauvais.

    . soit l’auteur donne de l’argent pour publier.

    . Soit le livre a des subventions du Centre National du Livre ou autres organismes.

    Donc, en aucun cas, la qualité du livre est en jeu et c’est pour cela que Proust a publié à compte d’auteur. La honte, l’infamie pour votre métier.


    • Vebret Vebret 3 septembre 2007 14:19

      Je n’ai pas parlé de la qualité du manuscrit pour la simple raison que ce n’est pas le sujet de cet article, mais bien la relation amicale, contractuelle, sociale, de l’auteur avec son éditeur et inversement. Pour gagner de l’argent, l’éditeur a une quatrième solution : utiliser les trois premières pour dégager des marges (quoi que les subventions du CNL ne représentent pas grand-chose, et qu’un éditeur digne de ce nom ne fait pas payer son auteur) et investir dans de jeunes auteurs en attendant un retour qui ne se produit qu’après plusieurs livres publiés. Ce qui suppose donc d’avoir les reins assez solides. Quant à Proust, il a publié à compte d’auteur parce que son manuscrit a paru trop gros à la NRF, Gide ayant reconnu plus tard s’être trompé. Impatient, ne voulant attendre, il s’est tourné vers Bernard Grasset, à une époque où le compte d’auteur était pratique courante.


    • La mouche du coche La mouche du coche 3 septembre 2007 15:03

      Oui ces 3 critères peuvent fonctionner ensemble. L’incompréhension vient de ce que pour acheter et lire un livre, il faut d’abord en PARLER. Et le milieu des la parole, (qui est le milieu des journalistes, des éditeurs, des présentateurs médias) est un milieu absolument ... spécial où les critères de jugement d’une oeuvre n’ont pas de lien avec la qualité littéraire. Parfois et par hasard une grande oeuvre est saluée mais c’est uniquement un hasard.

      Je vous invite pour me croire à lire le livre remarquable « comment parler des livres que l’on n’a pas lu » de Pierre Ayard, professeur de littérature qui parle, par l’intermédiaire de Balzac, de ce milieu littéraire.

      Quand à Proust, s’il a eu des problèmes de dimensions de son ouvrage, ce critère n’est pas le seul à avoir joué. (cf le récit de sa publication dans la Pleiade)


    • Emile Mourey Emile Mourey 3 septembre 2007 18:33

      @ Vebret

      Ce que vous dites me semble en effet pouvoir s’appliquer aux romans et aux œuvres de fiction. Je veux bien croire que les maisons d’édition qui arrivent à sortir un roman à succès - du fait de la qualité d’un auteur ou du fait du matraquage publicitaire - ont dû, également, perdre de l’argent sur d’autres auteurs qui, dans ce domaine, n’ont pas marché. On est là dans le domaine de la spéculation plus que dans celui de la littérature.

      Le domaine qui m’intéresse est celui du Livre au sens noble du mot, celui qui fait évoluer la connaissance. A la différence du roman courant, ce type d’ouvrages est le fruit d’un important travail de recherche, de réflexion et d’études. Si l’auteur est sûr de la qualité de son travail, je pense qu’il serait prêt à prendre les risques financiers ou à les partager. Mais il faudrait pour cela un cadre clair et honnête qui n’existe pas. Dans ce cadre, la maison d’édition pourrait lui faire bénéficier du fait qu’elle a pignon sur rue ainsi que de son réseau d’information et de diffusion, ce service pouvant être rémunéré sur le prix de vente mais non d’une façon exagérée comme c’est le cas aujourd’hui (60%). En outre, l’auteur pourrait conserver l’entière propriété de son œuvre et non le céder à l’éditeur, ce qui se fait sans véritables garanties et qu’il faut bien appeler une spoliation.

      Je vous parle en connaissance de cause. Après avoir tenté une modeste approche, j’ai vite compris que vos comités de lecture n’étaient pas compétents dans le domaine que je traitais et qu’au mieux, ils ne pouvaient que passer un coup de fil à un auteur connu ou à un spécialiste qui développe une thèse différente. Dire que Bibracte n’est pas le mont Beuvray, comme je l’explique au début de mes ouvrages, c’est se faire classer, au départ, dans les auteurs farfelus, jugement vite fait par un comité de rédaction qui croule sous le poids des œuvres romanesques.

      J’ai donc choisi la voie de l’auto-édition, ce que je ne regrette pas (mise en page et impression soignées, cahiers cousus et non collés). La seule chose qui me gêne est l’emprise que les maisons d’édition exercent sur les médias et cela aux dépens du journalisme d’investigation, du débat citoyen... et des auteurs auto-édités dont le souci est souvent beaucoup plus de faire partager leurs connaissances que de faire des affaires.

      E. Mourey

      http://www.bibracte.com


      • damian 3 septembre 2007 21:35

        Magnifique article qui a le mérite de compiler tous les clichés sur le sujet (« les méchants écrivains » ingrats, avides, qui ne respectent pas les délais, etc. face aux gentils éditeurs qui prennent plus de risque que l’auteur, la bonne blague !), tout en occultant les vrais enjeux, notamment la question de la propriété de l’œuvre : pourquoi l’auteur devrait-il accepter de céder à l’éditeur tous les droits d’exploitation de son travail, pour tous les pays, pour tous les supports et pour toute la durée de la propriété intellectuelle, comme l’y obligent les contrats-type aujourd’hui en vigueur, alors que dans les faits les éditeurs se comportent comme de simples gérants de fast-food. Sur toutes ces questions lire le point de vue iconoclaste d’un écrivain publié chez Gallimard dans le dernier numéro de la revue Ironie : http://ironie.free.fr/iro_124.html


        • La mouche du coche La mouche du coche 4 septembre 2007 07:54

          ..Pas mieux


        • Bérenger 4 septembre 2007 09:47

          Ecrire n’est pas un métier, non ! C’est un sport passionnant, un jeu de rôles jouissif, une passion peut-être, encore que la passion suppose une part de souffrance, et pour qui aime vraiment écrire des petites histoires marrantes, ce que je fais ponctuellement, c’est surtout de plaisir qu’il s’agit, j’oserais même parler d’une griserie voisine de celle de l’alpiniste s’expliquant avec un surplomb, ou du motard lancé à 200 sur une Nationale.

          J’ai publié deux micro-éds chez un petit éditeur provincial, moyens réduits, distribution restreinte à deux ou trois librairies. Cette aventure m’a valu de rencontrer toutes sortes de gens passionnants parmi mes lecteurs, et de me faire ma petite idée, au travers des séances de signatures et des salons auxquels j’ai pris part, sur ce milieu littéraire dont je me suis vite rendu compte que je n’avais rien de valable à en attendre, en ce que sa conception de l’écriture se situait à des milliards d’années-lumière de la mienne. Egos surdimensionnés, comptables compulsifs, pique-assiettes stylés, mondains d’occasion et autres bobos distillateurs de lieux communs, soixante-huitards bedonnants et faux Gavroches, fils de pube et fils-de tout court, libraires blasés et revuistes prétentiards... Tout ce joli monde poudré, parfumé, laqué, relifté, griffé, se prenait terriblement au sérieux et je voyais ça comme un grand cirque de dupes où l’artisanat consistant à raconter des histoires n’a pas plus sa place que le lecteur, en bout de course. Le lecteur et ce qu’il attend du bouquin qu’il aura payé relativement cher, toujours trop cher à mon goût, au regard de son contenu, le plus souvent consensuel, ronronnant, ou stratégiquement dépravé, opuscules d’une centaine de pages en police de 14 adornés ou pas du rituel bandeau-pour-faire-vendre, quelle qu’en soit l’appellation. Produits de l’actuel paysage littéraire franco-français. Littérature d’instituteurs et chroniques de la marge dorée.

          Aujourd’hui je continue à écrire pour moi, pas de publications ni de blogs. Je pratique mon sport favori, point barre. Et je lis comme j’ai toujours lu, comme j’ai toujours aimé lire, affamé que je suis d’une littérature qui a de la consistance, d’histoires qui nous mènent loin, pondues par des vécus tourmentés, minimum trois cents pages en police de dix, pas de limite pour le max, les pavés insoulevables sont les bienvenus. Et cette littérature-là, actuellement elle se fabrique Outre-Atlantique, allez savoir pourquoi. Don DeLillo, Douglas Kennedy, Paul Auster, Jim Harrisson, Rick Moody, Thomas Pynchon, héritiers en droite ligne des Henry Miller, Brautigan, Bukowski et John Fante. Ici on n’a que les produits culturels de notre chère exception du même nom à se mettre sous la dent. Des Houellebecq, des Nothomb, des Frédéric Mitterrand, et quelques autres de ces no-lifers issus du milieu des affaires, qui se collent devant un traitement de texte comme ils nous pondront, demain, un film mis en scène par leurs soins et produit par leurs bons copains, après-demain un disque chanté par leurs soins et produit par leurs bons copains, et d’ici vingt ans des croûtes badigeonnées par leurs soins et vendues très chères dans les galeries tenues par leurs bons copains.

          Du grand art, quoi !


          • DZA 5 septembre 2007 16:45

            Article drôle et intéressant. Il était temps de retourner le cliché éditeur-bourreau/auteur-victime. Je précise que je suis auteur.

            Ceci étant dit, la pression sur les éditeurs, que décrit si bien Joseph Vebret, provient plus sûrement des « mauvais » auteurs, qui sont de plus en plus nombreux (80000 personnes écrivent, plus ou moins bien, en France), que des confirmés. Les stars qui vendent, on leur pardonne quasiment tout, comme Houellebecq et son avance mirifique jamais « retournée sur investissement » de 1,5 million d’euros pour « La possibilité d’une tuile », pardon, d’une île. Le feuilleton de l’été 2005.

            La relation de confiance qui doit s’instaurer entre un auteur et son éditeur prend du temps. Au début, souvent, règne un semblant de paranoïa. L’éditeur me roulera-t-il dans la farine ? L’auteur me rendra-t-il quelque chose, et à temps, et si oui, ce quelque chose sera-t-il correct ? Pour faire baisser la tension, mieux vaut se voir régulièrement, car le téléphone ou le net isolent, et ne pas perdre de vue les contraintes de l’éditeur, même si c’est SON métier. Contraintes de temps, de contenu, de cible... que les auteurs novices oublient ou ignorent. On part à l’assaut du Grand Public, croyant écrire le livre du siècle -sans cette croyance, il n’y aurait pas 10 livres produits par an en France- et on finit souvent dans le fossé... avec 21 ventes (la famille et les amis), chez 2 libraires, zéro promo, pas la moindre télé, et un retour de bâton dans le bide dont on ne se vante pas.

            Je dirais qu’un novice est statistiquement et par définition forcément mauvais. Dans son travail, et dans l’appréhension de sa relation avec l’éditeur. Il rêve, par définition, il plane, et s’il tient le coup, passe alors le cap du désenchantement, c’est-à-dire du premier crash au sol, un sol bien dur. Il faut que le cœur se brise ou se bronze, disait le poète. Celui qui n’a pas compris ou mal interprété ce démenti du Réel jure de se venger : la postérité m’attend, cette andouille d’éditeur se mordra les poings en voyant MON livre grimper au juteux classement des ventes de L’Express... Je serai le roi du monde des livres, je je je, ils verront qui JE suis !

            Mon expérience en tant qu’auteur est une longue suite de souffrances indescriptibles. Mais jamais je n’en ai voulu à mon premier éditeur. Les grandes maisons ayant refusé mon enquête sur un personnage très en vue de la télé, j’ai accepté la proposition d’un petit éditeur... au parfum de souffre. Conséquence, il a fallu tout faire tout seul, et tout affronter : un maquettiste qui oublie le sommaire, enfile 15 chapitres sans coupure, un directeur de collection qui s’enfuit au moment de la réécriture, un éditeur qui « oublie » de faire relire le manuscrit par son avocat (3000 euros qui peuvent éviter 50 000 euros en diffamation), des chiffres de vente jamais communiqués, des droits sur les ventes jamais versés, une promo et des services de presse assurés par ma pomme... Ne compte que sur tes propres forces, comme le disait fort justement Mao, qui a dû être auteur avant de devenir empereur.

            Mais, car il y a un mais, j’ai touché près de 12 000 euros en 4 versements pour ce travail. Comme convenu dans le contrat, un contrat qui ferait bondir comme un wallaby sous LSD un étudiant en droit. Depuis, j’ai arrêté ma collaboration avec cet éditeur, qui est beaucoup plus dans la merde que moi : j’ai perdu toutes mes collaborations en presse (je suis journaliste dans le civil) suite à la sortie du livre, mais lui se fait poursuivre par une horde d’auteurs non rétribués, et rembourse difficilement ses fournisseurs depuis un procès très dur perdu face à une intransigeante star de la télé. Le malheureux passe ses journées à se planquer, promettre, rembourser, fuir, parce qu’il a eu l’outrecuidance de produire une vingtaine de livres en 2 ans. Je préfère ma place d’auteur peinard, et je respecte le difficile métier d’éditeur.


            • La mouche du coche La mouche du coche 5 septembre 2007 16:51

              Il vaut mieux lire ça qu’être aveugle :-0


            • Bérenger 5 septembre 2007 22:16

              Cela dit, les stars de l’écriture, si elles sont des stars c’est qu’elles ont un public à qui on a su vendre, ou plutôt qui s’est laissé vendre, ce qu’elles ont éventuellement de lisible à proposer. C’est comme en musique : la soupe se vend mieux, question d’emballage, que le mets surfin...

              Vous dites que 80 000 personnes écrivent plus ou moins bien en France. D’où tenez vous pareille statistique ? Ensuite, ces 80 000 quidams, ils écrivent quoi, où, et qui les lit ?

              Le novice qui part à l’assaut du Grand Public... Pardonnez-moi, mais là vous donnez un brin dans le cliché parisien. Pour avoir côtoyé pas mal de jeunes auteurs du temps où j’en étais un moi-même, je peux vous assurer qu’aucun d’entre nous n’était dupe, ni de ce qu’il valait au regard des géants du siècle dont les oeuvres nous fascinaient, ni de ce qui se tramait dans le monde merveilleux des z’éditeurs. Nous nous savions promis à la confidentialité, talentueux ou pas, parce que nous étions des petits provinciaux sans grade, de modestes fils de gens de peu qui savaient pertinemment que pour publier chez un éditeur, un vrai de vrai, de ceux qui vous transforment un tapuscrit photocopié à l’arrache en produit commercial qui rapporte de la thune et du suivi, eh bien il valait mieux détenir un carnet d’adresses rebondi comme un portefeuille de bourgeois. Ou tricher effrontément, comme l’avait fait Ravalec, selon la légende, au moyen d’un faux à l’en-tête d’une huile de la télé...

              De fait, aucun d’entre nous n’a fait carrière. Et aucun d’entre nous n’a connu le crash que vous décrivez. Chacun a publié ce qu’il a pu comme il l’a pu, et peut-être que la finalité n’était pas de venir se montrer à la télé, des demi-lunettes sur le bout du nez, avec des airs polis de toutous savants. En tout cas, notre but n’était sûrement pas ne nous laisser prendre pour des bleus par des gens que nous tenions pour un ramassis de cuistres avisés. Car tout ce que vous dénoncez, les uns et les autres, du milieu éditorial, tout ça on le dénonçait déjà il y a vingt-cinq ans ! Une certaine Anne Gaillard en faisait d’ailleurs ses choux gras sur France-Inter (la fameuse affaire du manuscrit adressé à je ne sais combien d’éditeurs sous des noms bidons, manuscrit à chaque fois recalé, et qui n’était rien moins qu’une oeuvre majeure de Rimbaud)... pendant que Paula Jacques, sur la même antenne, le dimanche après-midi, faisait défiler ses petits copains aux tourments nombrillistes, qu’elle présentait immanquablement comme de grands z’auteurs. Ben voyons ! Tous émargeaient chez Galligrasseuil, le Cherche-Midi, La Table Ronde, Plon et consort, comme d’ailleurs les lauréats de la plupart des prix littéraires, Livre-Inter compris.

              J’écrivais, nous écrivions, certains d’entre nous écrivent toujours, mais ce qui nous distinguait des masos qui s’évertuent à vouloir séduire les Majors du Livre et leur valetaille sortie de HEC, c’est que nous avions en commun un certain respect de l’écriture, de ce que nous écrivions, et de la chose écrite en général. Je n’ai pas dit de la chose publiée... à quoi se résument bien des bouquins, par les temps qui courent.


            • ernst 10 septembre 2007 00:09

              Effectivement, le fait d’écrire droit ou même bien n’est pas la panacée pour séduire un éditeur.

              J’ai commis deux petits ouvrages, le premier vendu à 50.000ex, le second officiellement 63.000 et revendu sans mon accord à la distribution petit prix. Dont je n’ai aucune nouvelle.Il est d’autre part entendu que je n’ai besoin de personne pour faire ma promotion.On utilise même cette position pour négocier le passage médiatique d’autres auteurs de l’édition dans ma foulée...Position rêvée s’il en est.

              Dans mon troisième ouvrage, j’ai fait l’effort d’écrire tel que je pense. Plutôt mieux que les deux autres fois.

              Que croyez vous qu’il arriva ?... Rien. Le changement de genre est interdit chez Grasset qui m’avait pourtant demandé l’ouvrage. Je n’essaierai même pas de refiler le manuscrit à un autre des grands éditeurs. Ils se tiennent tous et ont, eux seuls, le pouvoir d’imposer le succès qui leur convient( Houellebecq, Littel...). Il est vrai aussi que, dans ce dernier manuscrit, je ne disais pas que du bien des francs maçons, témoignage rare mais très mal vu par ces messieurs...

              Vive donc le compte d’auteur, avec tout de même la référence proustienne comme compagnon de bras d’honneur.

              Tout ceci pour donner à comprendre que, hormis les problèmes de droits, d’avances,de frais de papier et d’imprimeur, bref de fric, reste le problème de la stratégie de l’édition française qui est laissée au seul soin des éditeurs. Et c’est là que je rejoins l’ami féru comme moi de Pynchon. Notre littérature fait pitié et donne exemple aux jeunes provinciaux évoqués plus haut, du plus médiocre des dénomminateurs de parutions (Houellebecq, Littel ), pour les inciter à embrasser provisoirement une carrière dans la littérature française.


              • Icks PEY Icks PEY 12 septembre 2007 10:04

                Merci pour votre article fort intéressant et agréable à lire.

                Icks PEY

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