Le bronzage de M. Obama : l’humour noir de l’un, la colère blanche de l’autre
Avec les parvenus, le problème est qu’une fois parvenus, ils ne peuvent changer d’état d’esprit. Incultes ils étaient, incultes ils restent. Ils ont tant joué des coudes et piétiné de pieds qui leur barraient la route, qu’une fois arrivés au faîte de la puissance convoitée, ils restent encore secoués des convulsions contractées à s’ouvrir un passage vers le sommet. Ils continuent frénétiquement à jouer des coudes dans le vide et à piétiner inutilement tout ce qui leur rappelle leur ascension forcenée à la force du poignet.
L’humour, pierre d’achoppement du parvenu
M. Berlusconi en est une caricature. Il n’a pas pu ainsi s’empêcher de faire un bon mot dont il s’est étonné qu’il ne fût pas apprécié. Lors d’une conférence de presse à Moscou, jeudi 6 novembre 2008, en présence du président russe, M. Medvedev, il a cru amusant de présenter M. Obama en insistant sur son originalité : « il est jeune, beau et aussi bronzé… » a-t-il déclaré sans penser à mal sans doute, en croyant faire de l’humour.
Seulement, l’humour est la pierre d’achoppement du parvenu. C’est un jeu de l’esprit délicat. Parler gravement de ce qui est léger ou légèrement de ce qui est grave, exige à la fois flair et doigté pour juger du contexte où s’y risquer. Car la lecture contraire de ce qui est affirmé, n’est possible qu’au vu d’indices implicites que seule une communauté d’esprit rend perceptibles. C’est en ce sens que se comprend le mot de Pierre Desproges : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui ! » Rien ne prépare le parvenu à ces subtilités. Il croit que l’humour se pratique à la hache comme il l’a toujours fait pour s’ouvrir un chemin vers la fortune avec les gros sabots qu’il traîne aux pieds depuis toujours pour écraser les autres.
Il a pu échapper ainsi à M. Berlusconi que l’adjectif « bronzé » pouvait être offensant pour M. Obama. Sans doute a-t-il l’air d’un euphémisme à la place du mot "noir" ou "métis". Mais quelle est sa raison d’être sinon d’atténuer une couleur qui offusque et qui n’est tolérable qu’éclaircie selon une longue tradition européenne où le blanc est la couleur de l’innocence et le noir, celle de la culpabilité. Traiter un noir de « bronzé » s’inscrit dans ce cadre de référence : le noir n’est toléré que « blanchi », assimilé au blanc qui bronze quand il s’expose au soleil. Et Dieu sait si aux Antilles françaises cette conduite a été longtemps intériorisée : on saluait le nouveau-né à la peau claire, les jeunes filles lissaient leur chevelure, la considération était proportionnelle à l’éclaircissement de la peau : le livre de Frantz Fanon Peau noire et masques blancs l’analysait en 1952.
Mais l’adjectif n’est pas seulement péjoratif. Il jette le ridicule sur le noir pour qui le bronzage n’a pas de sens puisque sa peau pigmentée le protège naturellement du soleil. Ainsi l’adjectif, qu’on prenait pour un euphémisme, est en fait une litote ethniste qui, en prétendant dire moins, fait comprendre beaucoup plus. Qualifier un noir de « bronzé » revient à paraître atténuer sa couleur pour mieux l’intensifier et même la lui reprocher puisqu’on ne peut s’empêcher d’en faire état, comme si elle avait de l’importance. En fait, ne pouvant décemment aujourd’hui le traiter de "nègre" comme autrefois, l’ethnisme s’est rabattu sur "bronzé".
L’indignation, autre pierre d’achoppement du parvenu
Pareille bévue n’a d’égal que l’indignation insensée qu’un tel « humour noir » peut aussi susciter chez un autre type de parvenu. Selon l’agence Reuters, le 9 novembre 2008, Mme Bruni-Sarkozy a sauté sur l’occasion pour oser renier son origine italienne et dire combien « (elle était) très heureuse d’être devenue française ». Ainsi le parvenu, à qui échappe les subtilités de l’humour, peut-il perdre aussi toute mesure quand il s’agit de donner des gages dans sa nouvelle condition. Une colère blanche emporte Mme Bruni-Sarkozy jusqu’à lui faire renier ses origines. Se serait-elle sentie visée par "l’humour noir" de M. Berlusconi sur le bronzage de M. Obama, elle qui n’est après tout que Bruni ?
Car en quoi l’égarement d’un parvenu italien, fût-il président du conseil, ruine-t-il le crédit d’une culture italienne trente fois séculaire ? On pourrait certes souhaiter que celui qui exerce une fonction de représentation temporaire du peuple italien s’en montrât digne. Mais son indignité personnelle porte-t-elle atteinte à l’héritage culturel d’un peuple au point de justifier séance tenante qu’on veuille rompre avec lui ? Une parvenue malheureusement ne sait pas faire la différence. Sans doute l’arrivisme est-il une « came », selon le jargon d’une chanson de l’intéressée, auteur-compositeur-interprète, qui paralyse la raison. Il est consternant de voir qu’emportée par l’élan pour défendre M. Obama, le « bronzé » de M. Berlusconi, Mme Bruni-Sarkozy se soit crue obligée d’aller jusqu’à jeter l’opprobre sur la nationalité italienne que toutes les turpitudes berlusconiennes ne sauraient affecter.
La pratique de l’indignation et celle de l’humour sont des exercices subtils qui ne sont pas à la portée du premier parvenu venu. Sa représentation du monde, qui ne connaît que la brutalité et la grossièreté, peut bien l’avoir conduit à la richesse et au pouvoir : il lui barre sans espoir tout accès aux raffinements de la culture que sont l’humour et l’indignation. Ce n’est pas une mince consolation. Paul Villach
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