Le divorce sans juge, sans avocat
L’annonce d’un projet de réforme de la procédure de divorce par consentement mutuel fait vivement réagir la profession d’avocats, mais aussi certains magistrats concernés que l’on entend décharger de leurs fonctions au profit du notaire.
Les 47 000 avocats français sont ainsi en grève aujourd’hui.
Afin de comprendre cette réaction, il est d’abord nécessaire de saisir ce qu’est une procédure de divorce par consentement mutuel pour s’apercevoir qu’elle recoupe des situations multiples et parfois radicalement différentes.
Pour être synthétique, la procédure de divorce par consentement mutuel consiste pour les époux à s’entendre d’une part sur le principe même du divorce, mais également sur l’ensemble de ses conséquences (familiales, fiscales, patrimoniales...).
Une fois qu’un accord sur les différents points à traiter est trouvé, les avocats des époux (ou leur avocat commun) rédigent une requête et une convention reprenant l’accord dans les moindres détails afin de la présenter au juge aux affaires familiales.
Le juge a pour mission, d’une part, de s’assurer du caractère éclairé du consentement des époux et du respect des droits de chacun dans le cadre de la convention signée.
Le juge doit donc vérifier que le divorce n’est pas imposé par l’un des époux à l’autre et que les termes de l’accord ont été clairement discutés et compris par chacun.
Le juge doit également s’assurer d’un certain équilibre de la convention et du respect de l’intérêt des enfants du couple.
Le juge, s’il estime que l’un des époux n’apparaît pas clairement disposé à divorcer ou si la convention lui paraît déséquilibrée, peut refuser l’homologation de la convention qui lui est soumise.
Il joue donc un véritable rôle de garde-fou pour protéger les intérêts du plus faible des époux et des enfants.
Mon expérience personnelle démontre qu’il n’est pas rare que la décision de divorcer soit surtout celle de l’un des époux qui tente avec plus ou moins de finesse d’imposer cette décision à l’autre.
L’intervention du juge est donc une véritable nécessité car quoi qu’on en pense le divorce n’est pas un acte anodin tant sur le plan humain que sur le plan juridique.
L’intervention de l’avocat est elle aussi pleine de sens.
Le rôle de l’avocat contrairement à ce qui peut être écrit ici ou là n’est pas seulement d’encaisser des honoraires. L’honoraire n’est que la rétribution du service rendu.
L’avocat est d’abord aussi tenu de vérifier que la personne qui se présente à lui est bien décidée à divorcer et à user de la voie du consentement mutuel.
Pour certaines personnes qui estiment que leur conjoint a trahi son engagement marital, le recours au consentement mutuel n’est pas adapté. Il est tout à fait concevable qu’une épouse battue pendant des années ne souhaite pas recourir à un divorce à l’amiable tant elle aura besoin de « crever l’abcès » au travers de la reconnaissance des torts de son mari.
L’avocat se doit donc d’expliquer les tenants et les aboutissants de la procédure par consentement mutuel, mais également de ses alternatives afin que le client fasse un choix éclairé.
Si le client est décidé à recourir à une procédure par consentement mutuel, l’avocat doit encore expliquer dans le détail les implications d’une telle décision avec ses avantages et ses inconvénients.
Sur ce point, la réforme annoncée est basée sur une conception erronée du divorce par consentement mutuel.
Car si le consentement mutuel est la voie de prédilection pour permettre à des personnes n’ayant ni enfant ni patrimoine commun de divorcer « en douceur », la pratique démontre que les choses ne sont pas aussi simples.
D’une part, il arrive fréquemment que les clients n’aient pas balayé l’ensemble des questions à traiter même en l’absence d’enfant ou de patrimoine.
Il entre alors dans le devoir de conseil de l’avocat d’attirer leur attention sur les points oubliés et de les traiter dans le moindre détail.
D’autre part, il est également courant que les époux, s’ils
s’entendent sur le principe même du divorce, puissent être en
contradiction sur ses conséquences :
• Monsieur refuse de verser une prestation compensatoire à Madame
qui s’estime en droit de la réclamer parce qu’elle a sacrifié sa vie
professionnelle pour s’occuper des enfants ;
• désaccord sur le montant d’une pension alimentaire pour les enfants ;
• désaccord ou difficultés quant à la répartition du patrimoine commun.
Les difficultés peuvent être multiples.
Dans de tels cas, l’intervention des avocats prend tout son sens.
Comment imaginer que les époux qui n’ont pas de connaissances juridiques sont à même d’appréhender les conditions et critères de fixation du montant d’une prestation compensatoire ?
L’avocat a donc un rôle important d’assistance à jouer tout au long de la phase de négociation des conditions du divorce.
Ce rôle est loin d’être négligeable car l’avocat a nécessairement le recul que les époux, eux-mêmes, n’ont plus si tant est qu’ils arrivent encore à dialoguer.
L’avocat est donc non seulement le défenseur des intérêts de son client, mais également celui qui pourra ramener le client aux réalités afin que ses prétentions soient le plus conformes à ce qu’il peut obtenir.
C’est ainsi que grâce au travail des avocats des deux époux, il est possible de trouver un terrain d’entente la ou peut-être les époux n’y seraient pas parvenus seuls (il est possible aussi qu’au final aucun accord global ne soit possible et que les époux soient alors contraints de recourir à un autre type de procédure).
Je pourrais prendre l’exemple d’un dossier que je traite actuellement. Les époux sont séparés depuis plusieurs années, il n’y a donc aucune difficulté sur le principe du divorce. En revanche, ils étaient au départ en total opposition notamment sur les modalités relatives aux enfants et à l’attribution d’un bien commun. Après cinq mois de discussion avec les époux et entre avocats, un accord a pu être trouvé sur les enfants. Reste encore à régler le sort du bien commun.
Cela démontre d’une part que l’intervention de deux avocats a été utile et que surtout la conception que notre gouvernement a du consentement mutuel n’est que partiellement conforme à la réalité du terrain.
Il ne s’agit pas simplement de signer une convention pour ensuite la faire homologuer.
Enfin, la réforme envisagée pose d’autres questions.
• Qui choisira le notaire chargé du divorce ?
Sera-t-il choisi par l’un des époux seulement ? Par les deux ? Désigné par une autorité quelconque ?
Aujourd’hui, les époux ont le choix de leur avocat. Mais l’un des époux ne peut imposer à l’autre d’avoir recours à son propre avocat. Chacun des époux peut avoir son propre avocat pour éviter toute difficulté.
Surtout, les époux ne choisissent pas leur juge ce qui permet de s’assurer de son impartialité.
Le notaire sera rémunéré par les époux, le juge ne l’est pas.
• Le notaire sera à la fois le conseil des époux, le rédacteur de la convention de divorce et celui chargé de son homologation :
Comment une seule et même personne peut-elle cumuler autant de « casquettes » ?
Actuellement, la convention de divorce est négociée entre les époux assistés de leur avocat, rédigée par eux, mais soumise à l’homologation d’un tiers en l’espèce le juge aux affaires familiales.
La réforme envisagée ferait du notaire le conseil des deux parties, le rédacteur de l’acte et celui censé en assurer le contrôle.
On demandera donc au notaire de s’autocontrôler. Il est peu probable que le notaire refuse d’homologuer une convention qu’il aura lui-même rédigée et ça n’est pas mettre en doute le sérieux des notaires que de dire cela.
• Quelle est la compétence du notaire pour traiter des questions relatives aux enfants, à la prestation compensatoire, à l’usage du nom marital... ?
Il apparaît donc inenvisageable de faire disparaitre de ce processus l’avocat, mais également le juge qui seul pourra déterminer si une convention est équilibrée ou pas et ce en toute impartialité. Le notaire n’a jamais été un arbitre.
Il n’est pas par ailleurs anodin de relever que le projet aurait été suggéré par le ministère des Finances et non par la Chancellerie. De la à penser que l’objectif est avant tout de soulager les finances publiques, il n’y a qu’un pas, mais un pas franchit au détriment du justiciable, mais également de la profession d’avocat.
Enfin, il faut aussi comprendre le mouvement des avocats sur le plan financier.
Le droit de la famille est une spécialité de nombre d’avocats en France et fait partie du cœur de métier depuis de nombreuses années. Ceux qui ont choisi cette voie seront donc fortement impactés par la réforme envisagée et ce d’autant plus que la réforme intervenue en 2004 tendait à une dédramatisation des procédures pour favoriser les voies négociées.
Il n’y a rien de choquant dès lors de les voir réagir.
Que diraient les notaires si on leur annonçait la perte de leur monopole sur les ventes immobilières au profit des avocats (certains spécialistes de droit immobilier en sont très certainement capables) ? Nul doute qu’ils protesteraient vigoureusement. Les taxerait-on de corporatistes ? Leur demanderait-on eux aussi de se recycler ?
Il est bien évidemment malheureux que certains confrères, par des pratiques peu conformes aux règles déontologiques, ne soient pas transparents sur le coût de leur intervention et/ou excessif dans leur montant et, sur ce point, la profession se doit de balayer devant sa porte.
Mais il faut aussi comprendre que l’avocat offre une prestation de service réelle qui a un coût sans compter qu’aujourd’hui un cabinet d’avocats est une entreprise presque comme les autres avec des salariés, des charges de fonctionnement (le taux de charges moyen en 2004 pour un cabinet d’avocats était de 56-57 %, soit sur 100 € encaissés 57 € partant en charges avant impôt).
Cette prestation renvoie à ce qui a été exposé ci-dessus quant à l’assistance et au conseil prodigué au client dans le cadre de la négociation des conditions du divorce.
L’image encore ancrée dans l’opinion publique de l’avocat nanti est aujourd’hui bien loin de la réalité que vivent les avocats. Il est incontestable que certains vivent extrêmement bien de leur activité, ce qui n’a d’ailleurs rien de choquant pour autant qu’ils soient rémunérés à hauteur de leur compétence, d’autres vivent correctement, d’autres enfin vivent mal.
Il ne faut pas oublier à ce stade que la profession d’avocat participe activement à une mission de service public, la justice, notamment dans le cadre de l’aide juridictionnelle ce que ne font pas les notaires. Or, l’aide juridictionnelle est plutôt source de déficit pour un cabinet que source de bénéfices mirifiques (je vous renvoie au barème de rétribution de l’AJ pour vous en convaincre).
Espérons donc que grâce à la mobilisation qui se met en place, nos gouvernants réfléchissent à nouveau sur l’idée même de cette réforme.
NB : je tiens à préciser pour anticiper d’éventuels commentaires enflammés sur le corporatisme que mon activité dominante n’est pas le droit de la famille et que ce ne sont donc pas des raisons financières qui m’ont amenées à écrire ce texte.
Mise à jour :
Pour compléter mon propos sur l’utilité du juge, je vous invite à prendre connaissance de ce billet sur le site Paroles de juges
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