Le paradis terrestre d’Adam et le mystère sumérien des origines
Publié en 1957, L’histoire commence à Sumer de S.N. Kramer est un ouvrage incontournable. Il suscite néanmoins quelques interrogations. Wikipedia résume en ces mots la plus importante : l’apparition de cette civilisation urbaine peut paraître soudaine. On ne sait d’ailleurs pas d’où viennent les Sumériens.
En ce moment où notre civilisation se met en danger, il me semble qu’il n’est pas sans intérêt de faire un retour sur son origine biblique. Les exégètes s’accordent généralement pour dire que les premiers chapitres de la Genèse véhiculent les légendes et histoires de la civilisation sumérienne (cf. site internet "les Sumériens et les origines de la civilisation"). Apparemment oui, mais comme le texte de la Genèse ne nous est pas parvenue sur une tablette datable mais dans un Pentateuque probablement plus ou moins modifié par Moïse, il nous faut plutôt douter.
Au début, il y a la géographie. Pour ma part, dans l’ancien Croissant fertile, je ne vois pas de meilleur paradis terrestre que la vallée du Jourdain. Véritables dons de Dieu ou de la nature, la luxuriance de la végétation, les arbres naturellement fruitiers, l’abondance du gibier et des poissons, tout cela s’y trouvait comme le dit la Genèse (Gn 11, 12, 20, 21, 24, 25), et tout cela s’y trouve encore. Faisant l’éloge de la région au Ier siècle de notre ère, Flavius Josèphe évoque le lac de Tibériade aux eaux poissonneuses et la Galilée aux nombreux paturages et aux arbres variés.
Le problème de cette vallée, c’est qu’il ne s’y trouve pas de reliefs accidentés qui auraient permis à un clan de s’y installer en position de force pour la dominer au sens militaire du terme. Alors Dieu prit un peu d’argile et, à la façon des potiers, il façonna (un cône ?) et il lui donna le nom d’Adam. C’est donc plus au nord, dans les premiers contreforts montagneux, et probablement à la source du Jourdain, qu’il faut rechercher la cité d’Adam.
Comment traduire le mot "Adam" ? L’hébreu permet deux traductions : l’homme ou les hommes. C’est là qu’il s’agit de bien raisonner ; non pas dans l’esprit mondialiste de notre temps mais dans celui bien plus étroit de cette époque reculée. Adam ne peut désigner que des hommes qui s’estimaient supérieurs aux autres ; il ne peut désigner que les hommes "élus", fondateurs de la première cité qui a établi son autorité sur la vallée du Jourdain, autrement dit "un clan". A ce clan, hommes privilégiés, il fallait une population ; et ce fut Ève (voyez mes précédents articles). Puis Dieu dit à Adam et à Ève : "Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et rendez-vous en maîtres" (Gn 28).
En termes clairs, cela signifie que la cité d’Adam veut imposer son autorité au sein du Croissant fertile.
L’histoire a une logique. La première cité socialement organisée du Croissant fertile - nous sommes dans l’interprétation biblique - était intellectuellement obligée de s’appuyer sur deux groupes d’habitants : les paysans, et ce fut Caïn qui offrait à Dieu une gerbe de son blé, et ce fut les soldats, Abel, qui lui offrait une brebis de son troupeau, symbole du sacrifice militaire.
Poursuivant dans cette interprétation, le meurtre par Caïn d’Abel serait donc l’évocation logique des révoltes paysannes contre les soldats du maintien de l’ordre. Conséquence tout aussi logique, Caïn - c’est-à-dire les paysans révoltés - ne pouvaient être que chassés du paradis terrestre. Il n’y a là que du très normal. Car cette histoire biblique ne fait en réalité que résumer sous une forme imagée l’évolution bien connue des premières cités humaines lesquelles fructifiaient pacifiquement par fondation de colonies jusqu’au moment où le trop plein de leurs populations et de leurs élites devenait une cause de déséquilibre qui ne trouvait sa solution que dans l’exil et l’émigration.
Mais ce qui est le plus étonnant dans cette affaire, c’est que le Dieu d’Adam, bien qu’ayant chassé Caïn, a néanmoins continué à le protéger dans son exil, et encore davantage son descendant Lamech ; je cite la Bible : Dieu dit : "Celui qui tuera Caïn, sept fois sera tué" (Gn 4, 15). S’adressant à ses femmes, Lamech les menace en ces termes : "Ecoutez-moi bien : sept fois fut vengé Caïn, mais Lamech le sera soixante-sept fois !" (Gn 4, 24)... un homme pour ma blessure, un enfant pour ma meurtrissure (Gn 4, 23).
Soyons réalistes ! Chassé à l’est d’Eden (Gn 4,16), le clan Caïn a enfanté d’autres clans dont Lamech. Les femmes de Lamech sont des populations sumériennes qu’il a épousées et qu’il menace de représailles au cas où. Tout cela crie de vérité. Nous sommes dans une aventure de type colonial. Les colons viennent du pays d’Adam et la cité-mère continue à les protéger par une classique politique de dissuasion.
Cette région colonisée par les fils d’Adam, ce ne peut être que le pays de Sumer, pays alors défavorisé par son manque de pluie. Ainsi pourrait s’expliquer la mise en valeur des terres par un système très élaboré d’irrigation que ces colons ont mis en oeuvre ; ainsi pourrait s’expliquer l’essor de certaines grandes villes sumériennes. Ainsi pourraient s’expliquer les trois périodes classiques de cette aventure "coloniale" : une première période d’installation des migrants/colons, une deuxième période de troubles (déluge de Noé, révolte sanglante du sumérien Lugalzagisi, répression de Sargon) pour s’achever finalement - troisième période - par le retour des colons "Abraham" d’Ur dans leur cité-mère sémite d’Harran. Car Abraham n’était pas un sumérien, mais un descendant de Sem et donc d’Adam (Gn 11, 10-26).
S’expliquerait également ce mélange des langues qui obligea les scribes à écrire côte à côte leurs textes en sumérien et en akkadien/sémite. Puis l’imposition de l’akkadien comme langue officielle. Toute la terre avait un seul langage et les mêmes mots (Gn 11, 1). Puis la confusion des langues de la tour de Babel qui marque la division des fils de Noé. Bien que s’étant répandu sur toute la terre (mésopotamienne), les fils de Noé
n’ont pu réaliser leur unité linguistique (d’après Gn 11).
La chronologie biblique est-elle fiable ?
La création d’Adam - de la cité d’Adam - vers l’an 4 000 avant notre ère suivant la chronologie biblique s’accorde bien avec l’apparition des premières agglomérations de la région. Dans cette reconstitution chronologique, le déluge de Noé - déluge de fer et de feu suivant mon interprétation, prophétique ou non - se situe vers l’an 2 453 avant le rétablissement de l’ordre par l’akkadien Sargon qui régna vers 2 300. Et en effet, si les textes sumériens mentionnent bien la destruction d’Uruk par Sargon, les exégètes précisent aussi que cette destruction se fit quelques siècles après sa fondation par un Gigamesh qui régna vers 2 650 après un premier déluge. En vérité, durant cette période de troubles, il apparaît clairement que les mythes du déluge sont à l’honneur.
Je suis étonné que mes contradicteurs n’aient pas encore compris le bien-fondé de mon interprétation qui consiste à voir des noms de clan ou de conseil dans les personnages/hommes de la Bible, et dans le nom de leurs épouses, des populations, des colonies ou des troupes militaires. On se ferme ainsi un formidable espace pour la compréhension de notre histoire. Pour les érudits de l’époque, cette interprétation devait aller de soi. Mais la pression populaire est tellement forte que l’interprétation littérale a prévalu. C’est ainsi que les auteurs des évangiles seraient certainement très étonnés en constatant l’importance que nous avons donnée au personnage symbolique de Jésus alors que pour eux, l’important était le message et les enseignements qu’ils voulaient donner. Mais revenons aux origines.
Où faut-il situer la cité d’Adam ?
Le problème de la vallée du Jourdain, c’est qu’il ne s’y trouve pas de reliefs accidentés qui auraient permis à un clan de s’y installer en position de force pour la dominer au sens militaire du terme. C’est donc plus au nord, dans les premiers contreforts montagneux, qu’il faut la rechercher , et probablement à la source du Jourdain
.
Et c’est la table de Peutinger qui, en nous indiquant la station d’Adammontem au mont Hermon, nous situe sans aucune équivoque ni hésitation l’emplacement de la cité à son pied, peut-être (?) dans les ruines de l’antique ville de Dan que domine la forteresse de Baneas. Nous aurions donc ici les caractéristiques de la cité mystique idéale : l’esprit d’en haut qui dévale de la montagne, l’esprit des profondeurs qui vient des sources. Ces caractéristiques, on les retrouvera à Delphes et dans d’autres lieux antiques.
Quant à l’Eden imaginaire de la Bible, il nous faut le situer encore plus au nord, au plus haut et au plus loin de la chaîne montagneuse. Un fleuve sortait d’Eden. A l’Orient, ses résurgences ont donné naissance à l’Euphrate et au Tigre ; à l’Occident, au Pichôn et au Guilhon (Gn 10 - 14). Pourquoi le fleuve Jourdain n’est-il pas nommé ? Probablement parce qu’il était l’Eden terrestre.
Peut-on imaginer un texte original de la Genèse en s’inspirant des textes sumériens ?
Certaines similitudes permettent en effet de le penser.
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