Le plan-médias de Mme Cécilia Sarkozy
L’art de démentir ses paroles par ses actes. Pour un peu on se laisserait prendre au leurre. Le magazine « Elle » a précipité la parution de son dernier numéro pour exposer en couverture, dès le 20 octobre 2007, le produit d’appel qui doit faire grimper ses ventes, deux jours après l’annonce officielle du divorce de Monsieur et Madame Sarkozy.

En incrustation sur une photo de Madame est annoncée la seule information de l’heure qui vaille : « Cécilia - Le divorce - Notre interview exclusive : Je veux vivre ma vie sans mentir. »
Un négligé apprêté
C’est écrit rouge sur noir ! Comme les couleurs de l’anarcho-syndicalisme ? Non, la charge symbolique de ces couleurs est plus complexe. Le rouge tire sa fascination du sang qui peut être celui que répand le pouvoir par prérogative comme celui qui irrigue les muqueuses enflammées sous les feux de l’amour. Pouvoir et amour sont donc ici réunis. Quant au noir, il a cessé depuis longtemps d’être seulement cette absence de couleur qui marque la séparation, que l’on soit clerc, femme méditerranéenne ou en deuil. Il est devenu la couleur provocatrice du mal, et en particulier du mal incarné dans une sexualité illicite ; il en a accru l’attrait par l’affinement des formes qu’il provoque visuellement, au point de devenir une référence de l’élégance.
Justement, Madame porte sur un jean chic tombant droit sur la chaussure de style une sorte de long gilet noir informe, dans le goût du « no look parfait » selon le sabir des « fashion addict girls » qui laissent tomber en fin de semaine le « dress code working girl fatale ». Si les manches du gilet sont trop longues et lui mangent les mains, c’est étudié pour.
Une image-manifeste anti-protocolaire
On ne saurait trouver image-manifeste plus anti-protocolaire que ce « négligé apprêté » dans cette posture assise carrément à même le plancher des vaches, les bras serrés autour d’une jambe ramenée contre le buste quand l’autre est couchée à l’équerre : Madame se recroqueville pour ne plus embrasser qu’elle-même et se réappartenir enfin.
Par une intericonicité négative, cette apparence éveille, pour s’y opposer radicalement, les images stéréotypées de l’étiquette qu’une première dame de France se doit de respecter. Franchement, a-t-on jamais vu Mme de Gaulle ou Mme Chirac dans une tenue aussi débraillée ? En revanche, par une autre intericonicité, mais cette fois positive, la pose décontractée renvoie à celle des mannequins que publie chaque semaine le magazine : Madame en a le regard fixe et un peu vide qui se plante droit dans les yeux du lecteur, selon le procédé de l’image mise en abyme pour feindre d’établir une relation interpersonnelle. La désignation de Madame par son seul prénom « Cécilia » transforme même cette proximité en familiarité simulée.
Première dame, une vie contrainte ?
Le visage maquillé, débarrassé des stigmates qui le ravageaient au soir de l’élection de son ex-mari en mai dernier, se veut celui de la gravité et de la détermination sans l’ombre d’une tristesse. Car elle entend livrer urbi et orbi l’explication de son divorce : « Je veux vivre ma vie sans mentir ». Par insinuation et sous-entendu, le lecteur doit en conclure que la vie de première dame de France n’est pas une sinécure et qu’elle mettait Madame au supplice : elle lui interdisait d’agir comme elle l’entendait ; elle était contrainte de paraître celle qu’elle n’était pas et donc de mentir.
Voilà une représentation du rôle d’épouse de président qui surprend le lecteur profane ! Il aurait volontiers pensé le contraire : quand on vit dans les allées lambrissées du pouvoir, il semblerait que rien, si l’on en croit du moins l’Histoire, ne puisse contrarier ses désirs. S’il n’aidait pas à leur satisfaction, à quoi servirait donc le pouvoir ? Nombre de femmes condamnées à vivre aux côtés d’un époux, roi ou président, ont pu vivre leur vie à leur guise : on pense à Sissi, impératrice d’Autriche, au XIXe siècle, qui a fait tout ce qu’elle a voulu sans se plier aux règles protocolaires dans une société pourtant plus rigide qu’aujourd’hui. Plus récemment, d’autres épouses paraissent s’être accommodées des écarts ou des frasques de leur époux respectifs : la proximité du pouvoir offre tout de même davantage de ressources que son éloignement.
Un goût de l’ombre, mais sous les projecteurs
Serait-ce que l’originalité de Madame, par rapport à ces femmes, est un attachement à la sincérité et à la vérité tel qu’elle ne se voyait pas plus longtemps jouer double jeu et donc mentir ? Elle l’affirme. Cet accès de fièvre vertueuse l’honore. Mais encore faudrait-il qu’en en faisant l’aveu solennel, elle ne le démentît pas aussitôt par ses actes. Qu’est-ce donc que la mise en scène de cette couverture sinon, à elle seule, une première simulation et donc une première dissimulation ? Qui peut croire à ce simulacre de relation familière auquel elle se prête en acceptant de se faire appeler « Cécilia », comme si elle et le lecteur avaient gardé les vaches ensemble ? Et qu’est-ce que ce « négligé apprêté » qu’elle affiche, sinon le résultat réfléchi et donc faussement naturel qui n’a été obtenu qu’avec beaucoup d’efforts ?
On est tout aussi surpris de découvrir cet étalage de Madame dans les médias, alors que le sobre communiqué de l’Élysée, annonçant le divorce présidentiel, précisait, le 18 octobre, que les intéressés « ne (feraient) aucun commentaire ». Dès le lendemain, 19 octobre, Madame qui faisait déjà la couverture de Paris-Match, se confiait longuement au journal L’Est républicain. Et pour dire quoi ? « Sachez, révèle-t-elle, que cette vie publique ne correspond pas à ce que je suis au plus profond de moi-même ; je suis quelqu’un qui aime l’ombre, la sérénité, la tranquillité ». Sans mentir, pour une personne qui aime l’ombre, la pleine lumière d’une couverture de magazine à grand tirage n’est pas ce qu’on fait de mieux, sauf à goûter l’ombre qu’on projette soi-même sur les autres.
Quant à la teneur des diverses interviews données, qu’en retenir sinon les simples et tristes banalités que connaît tout couple qui divorce ? En plus de ce goût de la vérité propre à Madame, il était sans doute de première nécessité d’apprendre de sa bouche que « ce qui (lui manquait) par-dessous tout, (c’était) d’aller faire des courses au supermarché avec (son) fils ». Les clients de Carrefour ou d’Intermarché qui poussent leur chariots, ne connaissent pas leur bonheur !
Information indifférente et information stratégique
Tant d’informations indifférentes, répandues selon un plan-médias concocté, finissent par susciter l’interrogation. Car, constituée de tout ce qui n’importe pas ou ne menace les intérêts de personne, comme le temps qu’il a fait, fait ou fera, les nouvelles de la bonne santé des uns et des autres, le sport, les caprices de star ou les lieux communs, l’information indifférente qui accapare journaux, antennes et conversation à 80 % sinon plus, remplit trois fonctions : l’une est de permettre l’établissement d’une relation : « Tiens !, s’écrie-t-on en abordant son voisin. Comment ça va ? Tu as vu le temps qu’il fait ? Et la petite famille ? Etc. » La seconde fonction est celle de modèle : les stars offrent des conduites ou portent des vêtements que leurs fans par identification s’empressent d’adopter. La troisième fonction est la forme moderne de la censure : plutôt que d’interdire la parution d’un article dans un journal qui, autrefois, se traduisait fâcheusement par de longues colonnes blanches, il est plus tactique de livrer aux médias une information indifférente pour cacher l’information stratégique. C’est ainsi que « les reporters de guerre » reviennent tout heureux avec de belles photos d’avions au décollage, de soldats embusqués ou de chars défilant dans le désert qu’un service de relations publiques des armées leur livrent généreusement pour mieux cacher les plans de bataille.
Aussi, sans se laisser prendre au « négligé apprêté » de la mise en scène de Madame, devant cette masse d’informations indifférentes dont elle a cru judicieux d’abreuver le lecteur, est-il illégitime de se demander si elles n’ont pas été abondamment diffusées pour dissimuler des informations stratégiques ?
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