Le titre d’un livre de D. Wolton cruellement contredit par sa couverture
Ce sont les journalistes qui vont être contents ! Ils ont la caution de « la Science » ! Voici que les Éditions du CNRS publient un livre, signé de Dominique Wolton, dont la couverture confirme ce qu’ils ne cessent pas de répéter partout : « Informer n’est pas communiquer ». C’est même le titre du livre dont une publicité vient de paraître dans Le Monde.
Ça ne donne pas envie de pousser plus loin la lecture. On s’est si souvent expliqué sur ce dogme journalistique (1). Mais puisque même les Éditions du CNRS s’y mettent pour répandre les erreurs de la théorie promotionnelle de l’information diffusée par les médias, il faut bien opposer la même obstination dans leur réfutation.
La prétention insensée de ne pas influencer
Ce dogme, « Informer n’est pas communiquer », repose sur une prétention insensée que l’expérience quotidienne invalide : il veut faire croire qu’un être vivant, homme ou animal, peut être en présence d’un autre sans que l’un et l’autre s’influencent. Or, c’est rigoureusement impossible. On en fait l’expérience tous les jours quand une personne survient dans un lieu où l’on était seul jusque-là, un bureau, un ascenseur, une salle d’attente, etc.. La loi d’influence est à « la relation d’information » ce que la loi de la pesanteur est à la relation des corps avec la terre : comme les corps tombent sous l’attraction terrestre, les êtres ne peuvent pas ne pas s’influencer mutuellement, même malgré eux.
Or, la maxime, « Informer n’est pas communiquer », prétend le contraire au prix de leurres qu’il importe de déjouer.
1- D’abord peut-on opposer l’acte d’ « informer » et celui de « communiquer » ? Non ! Qu’est-ce que "communiquer", sinon entrer en relation avec quelqu’un ? Et qu’est-ce qui crée cette relation, avant même tout échange explicite, par les seuls apparences physiques, postures ou silences, sinon ces informations que l’un et l’autre s’échangent instantanément pour s’adapter l’un à l’autre et d’abord répondre, comme tout animal, à la première question vitale : est-ce un ami ou un ennemi ? Est-il bienveillant ou malveillant, sympathique ou antipathique ?
Inversement, qu’est-ce qu’"informer", sinon livrer "une représentation de la réalité" à quelqu’un d’autre avec qui on communique, c’est-à-dire avec qui on est en relation, c’est-à-dire en situation d’échange d’informations ? On touche à la tautologie : "informer, c’est communiquer" et réciproquement !
On ne peut donc pas ne pas communiquer, ni davantage ne pas livrer d’informations autour de soi même à son insu et à son corps défendant, et, ce faisant, les êtres en présence l’un de l’autre s’influencent.
Le leurre d’ « une communication » sans influence, selon les publicitaires
2- D’où vient alors cette distinction byzantine selon laquelle « informer n’est pas communiquer » ? De deux stratégies identiques conduites par la profession des journalistes et celle des publicitaires, soucieux les uns et les autres de nier leur projet ou effet d’influence.
Ces derniers qui ont pour métier de brouiller les cartes afin de mieux séduire leurs cibles, ont cru astucieux d’abandonner les mots « réclame » et « publicité », jugés discrédités par "la représentation de la réalité" partiale et peu fiable à laquelle ils avaient fini à l’usage par s’identifier : par nature, il est vrai, une publicité vante un produit en en masquant les défauts. Le coup de génie des publicitaires a été de réussir à imposer à la place du mot « publicité » le mot « communication » dont ils voudraient qu’il désigne seulement « une relation entre un émetteur et un récepteur exempte de tout projet ou effet d’influence ». Quoi de plus merveilleux que de faire passer la promotion d’un produit sous l’appellation de « communication » comme si aucune influence n’était recherchée sur « les cibles » ? La meilleure des publicités n’est-elle pas celle qui se fait oublier ?
Le leurre d’ « une information » sans influence, selon les journalistes
Du coup, c’est le milieu journalistique qui s’est ému de la prétention des publicitaires à le concurrencer en prétendant ne pas influencer par leurs informations. Leur abandonnant le mot « communication » qui désormais signifie « publicité », les journalistes ne cessent pas depuis de se démarquer en voulant protéger les mots « informer » et « information » de toute visée d’influence. Ils en sont ainsi venus à inventer des chimères comme le texte et le titre « informatifs » - repris avidement par l’École - dont la particularité serait de livrer « un fait », qualifié même parfois de « brut », sans effet ni projet d’influence ! Ils prétendent être « factuels » pour préserver leurs informations épurées de toute souillure d’opinion. On a vu récemment que c’était aussi l’ambition de la direction de France Télécom (2).
- La représentation d’un fait
Malheureusement, seule « la représentation d’un fait » est accessible à l’être humain puisqu’il ne perçoit la réalité qu’au travers du filtre de ses médias personnels que sont ses cinq sens, son cadre de référence, ses images et ses mots, avant ceux des médias de masse. Rien à faire ! Tous ces médias ne donnent pas accès au « terrain » mais seulement à « une carte plus ou moins fidèle » qui le représente.
- Le principe fondamental de « la relation d’information »
Au surplus, le principe fondamental auquel obéit la « relation d’information » - expression désormais préférable au mot corrompu de « communication » - accroît même cette influence, puisque nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Un émetteur n’influence donc pas seulement par « la représentation de la réalité plus ou moins fidèle » qu’il livre, mais aussi et surtout par celle qu’il ne livre pas et dissimule.
Les médias sont confrontés à ce choix draconien tous les jours : livrer cette information ou ne pas la diffuser, dire ou ne pas dire que le président a un cancer, qu’il a des maîtresses, que le scrutin a été falsifié, que le ministre était aviné, que la présomption d’innocence a été violée par le président ou encore que le parterre d’employés qui l’applaudit a été choisi sur un critère de taille ou d’appartenance partisane ? Ce sont, bien sûr, les contraintes qui pèsent sur l’information qui en décident et, en particulier, « celles des motivations de l’émetteur » dont la première, par priorité, est de ne surtout pas s’exposer aux coups d’autrui.
Dès lors, on peut même soutenir qu’il n’y a pas de différence de nature entre une publicité - ou communication - et « une information donnée », c’est-à-dire volontairement livrée par un émetteur, comme celle des journaux. Si, comme on l’a dit plus haut, la publicité vante les qualités d’un produit en en masquant les défauts, est-ce que chacun n’en fait pas autant en parlant de lui-même ? Tout juste admettra-t-on que la publicité peut être plus subtilement élaborée que « l’ information donnée » ordinaire transmise par un émetteur qui veille à ne pas livrer volontairement une information susceptible de lui nuire. Mieux, en prétendant livrer une information dénuée de tout projet ou effet d’influence, les journalistes ne font rien d’autre que de "la communication", entendue comme synonyme de publicité !
M. Wolton pris au piège de sa propre contradiction
M. Wolton, lui-même, offre une bonne illustration de cette « information donnée » publicitaire et de la contradiction où sa maxime l’enferme. Que fait-il sur la couverture de son livre ? Il informe ou il communique ? Selon la critique que l’on présente ci-dessus, la réponse est claire : il fait les deux, parce qu’on ne peut faire l’un sans l’autre et que l’un et l’autre influencent.
Il informe en livrant sa représentation personnelle de l’information qui diffère, selon lui, de la communication. Mais ce faisant, il cherche à influencer et à faire admettre son point de vue fort légitimement. Mais, dans ce cas, n’est-ce pas ce qu’il appelle « communiquer », dans le sens que lui ont désormais imposé les publicitaires ? Il fait tout bonnement de la publicité pour défendre son point de vue et nul ne peut le lui reprocher.
Et d’ailleurs, pour être plus convaincant, il recourt à un leurre redoutable fort prisé et pas seulement des publicitaires : par deux fois, la mention « CNRS Éditions » figure sur la couverture ! Pourquoi ? C’est le leurre de l’argument d’autorité. La science est une autorité et donc le Centre National de la Recherche Scientifique qui s’y consacre, en est une aussi. Le propre du leurre de l’argument d’autorité est de stimuler le réflexe de soumission aveugle à l’autorité, car une autorité fait toujours croire qu’elle ne se trompe pas ni ne trompe ! Autrement dit : vous qui allez ouvrir ce livre, agenouillez-vous et entendez la parole sacrée : « Informer n’est pas communiquer » ! On ne saurait mieux s’y prendre pour influencer le lecteur, donc informer et communiquer à la fois, et ce, dans tous les sens qu’on voudra donner à ces mots !
Hélas ! L’Histoire fourmille de cas où une autorité non seulement s’est trompée mais a délibérément trompé ceux dont elle exigeait la soumission. Chacun est à même de puiser dans sa réserve d’exemples. M. Wolton a beau se parer des atours de l’autorité : celle-ci ne peut changer l’eau en vin ni ne peut faire qu’une erreur devienne "une représentation fidèle de la réalité". Les Éditions du CNRS , elles-mêmes, ont beau prétendre le contraire, informer et communiquer, c’est du pareil au même ! Paul Villach
(1) Paul Villach,
- « Un journalisme sous un réverbère à la recherche de son crédit perdu... ailleurs : réponse à Jean-Luc Martin-Lagardette », AGORAVOX, (8 novembre 2008.
- « La jolie déontologie de Bruno Frappat que voilà : ériger des leurres en devoirs pour les journalistes ! » AGORAVOX, 24 juin 2009.
(2) Paul Villach, « Une suicidaire leçon d’information donnée par la direction de France Télécom », AGORAVOX, 19 septembre 2009.
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