Les certitudes scientifiques
Un jour j’ai vu une foudre en boule. C’était à la fin des années soixante, nous étions avec mes parents en vacances d’été dans le sud de la France. Il faisait une chaleur lourde, l’atmosphère était électrique, un gros orage se faisait attendre. Les fenêtres étaient ouvertes pour tenter d’obtenir un maigre courant d’air et soudain une boule de feu grosse comme un pamplemousse entra par une fenêtre, traversa le living-room et ressortit par une autre. Une scène digne des sept boules de cristal, qui dura à peine quelques secondes, mais nous laissa sans voix.
Quelques jours plus tard, mes parents racontèrent notre expérience à un ami scientifique qui les écouta avec un sourire en coin, puis leur expliquât que nous avions tout simplement été victimes d’une hallucination collective, car les scientifiques d’alors étaient formels : ce phénomène n’existait tout simplement pas. C’était des histoires de bonnes femmes, comme cette légende qui dit qu’il ne faut pas laisser sécher du linge de couleurs les nuits de pleine lune car cela les décolore. Les hallucinations collectives, ça par contre, ça existait bel et bien, c’était un phénomène reconnu. CQFD.
Aujourd’hui les scientifiques admettent du bout des lèvres l’existence de la foudre en boule, phénomène rare mais réel. Ils admettent même que la lumière polarisée que nous renvoi la pleine lune pourrait favoriser des réactions chimiques qui peuvent altérer certains pigments. Et ils savent que les hallucinations collectives ne se produisent que dans des situations bien particulières comme les phénomènes de transe. La science peut se tromper, elle l’a fait souvent dans le passé, et il n’y a pas de raisons qu’il en soit autrement aujourd’hui. Ce qui ne change pas, par contre, c’est la constance de certains à défendre les « certitudes » scientifique alors que la science progresse par le doute et la remise en cause des dogmes.
Par le passé, notre Académie des Sciences avait adopté une position définitive sur la possibilité de faire voler un appareil plus lourd que l’air. C’était impossible, on l’avait démontré avec certitude. Lorsque deux réparateurs de bicyclettes, les frères Wright, firent voler leur avion (précédés par le français Clément Ader qui eut moins de succès), la réaction de cette institution fut de crier « foutaises ». De la même manière, l’académie avait démontré qu’il était impossible de fabriquer une machine parlante et quand on leur présentât les premiers gramophones, ils affirmèrent que l’inventeur ne pouvait être que ventriloque. Même en mathématiques, cette cathédrale de la raison pure, certaines certitudes ont été mises à mal, souvent dans la douleur pour l’iconoclaste : pas facile d’affirmer qu’il existe des infinis plus grand que d’autres comme Cantor ou que toute théorie est incomplète comme Gödel.
Si la science peut se tromper dans le domaine des sciences « dures », elle le fait tout autant et avec infiniment plus de brio dans le domaine des sciences humaines. Lorsque j’étais enfant, la cruauté avec laquelle étaient traités les animaux de laboratoire me terrorisait. Mon oncle, militaire et scientifique, m’expliquât qu’il me fallait dominer ma sensibilité à la lumière de la raison : les animaux ne sont pas comme nous, il ne ressentent rien, ils ont juste des réflexes. Si un animal hurle lorsqu’on le dissèque vivant pour une expérience, c’est par réflexe, pas de quoi pleurer. La sensibilité, comme l’intelligence, le rire, le langage ou la culture sont exclusivement des caractéristiques humaines.
L’éthologue Pascal Picq, dans une vidéo remarquable, montre le retournement complet de la science à ce propos. Répondant à la question « quel est le propre de l’homme », il explique qu’on s’est grandement trompé sur le sujet, que l’homme ne descend pas du singe mais est un singe, et que ce qui le distingue des autres grands singes se réduit essentiellement à sa capacité à raconter. En caricaturant, on peut dire que l’homme est le plus bavard des singes. Alors qu’il y a cinquante ans on était moqué si on évoquait l’intelligence ou la culture animale, aujourd’hui on l’étudie. Mais vous trouverez encore beaucoup de gens pourtant instruits pour vous affirmer que l’homme n’est pas un animal ; ou qu’il est seul à avoir conscience de sa condition de mortel, ce qui est faux, du moins en ce qui concerne les grands singes.
Dans ma jeunesse, le psychanalyste Bruno Bettelheim faisait autorité sur le sujet de l’autisme. Brillant conteur comme Freud, il expliquait de manière fort convaincante que la mère était inconsciemment responsable du trouble de son enfant. On sait de nos jours que l’autisme a une origine essentiellement physiologique, mais le débat vigoureux qui a lieu aujourd’hui montre qu’il y a encore beaucoup de gens prêt à défendre une théorie qui non seulement n’a jamais produit de résultats mais a plongé des milliers de mères dans la culpabilité. Il est vrai qu’il y a encore des gens pour affirmer que la terre est plate ou que le soleil tourne autour de la terre.
A la fin du 19ème siècle, les scientifiques pensaient avoir percé tous les mystères du monde : l’univers était une sorte de grande horloge déterministe et il n’y avait plus rien à découvrir. Il restait bien quelques phénomènes mystérieux, comme par exemple la luminescence émise par certains corps comme l’uranium, mais il s’agissait là de curiosités sans grande importance. Madame Curie vint perturber ces certitudes avec la découverte de la radioactivité, ouvrant la porte à la mécanique quantique qui montra que l’univers n’avait rien de déterministe. Inutile de dire qu’elle se heurta à un mur de scepticisme et de critiques.
On ne changera pas la nature humaine et malgré cet historique de certitudes erronées on en est toujours là : dès que quelqu’un s’intéresse à un sujet qui va à l’encontre des certitudes du moment, cela déclenche une volée de bois vert, qui commence en général par la moquerie, puis viennent les arguments souvent spécieux et ce jusqu’à ce que la majorité s’accorde à reconnaître que, tout compte fait, il y a bien là quelque chose de sérieux. Mais cela peut prendre très longtemps.
Prenons par exemple un sujet que je connais bien pour l’avoir vécu : les expériences de mort imminents (EMI ou NDA en anglais). Le premier à s’y être intéressé fut le docteur Raymond Moody qui publia un livre à succès qui lui valût tout d’abord moqueries et dédain de ses pairs, puis tentative de « déboulonnage » (debunking pour les franglais de souche) par une psychanalyste dont les sceptiques s’emparèrent pour dénigrer encore plus le sujet. Mais d’autres chercheurs confirmèrent les hypothèses de Moody, montrant au passage que l’explication psychanalytique ne tenait pas la route. Les recherches sur ce sujet commencent tout juste à être prises au sérieux mais elles remettent en causes tant d’idées reçues, notamment sur la nature de la conscience, que les scientifiques qui étudient les EMI sont encore contraints de publier leurs études au rayon ésotérisme et paranormal[1]. Et on nous ressort régulièrement les explications hallucinatoire ou psychanalytiques qui ont pourtant toutes été invalidées.
Autre exemple. Récemment sur ce forum, Olivier Cabanel a publié un article sur des recherches archéologiques qui s’éloignent du dogme officiel, lequel affirme que Sumer fut la première civilisation et qu’avant on ne trouvait que des tribus de chasseurs-cueilleurs. Cela fait pourtant longtemps qu’on connaît des « anomalies » archéologiques qui remettent fortement en doute ce dogme, mais il suffit de lire certaines réactions, d’une bêtise confondante, à cet article pour voir qu’il est impossible d’en discuter sans se faire traiter de charlatan. Et pourtant ces « anomalies » sont bien des objets solides, palpables. Les choses sont encore pire si vous touchez à des sujets plus furtifs.
Si vous êtes scientifique et souhaitez accomplir un suicide social, il y a des sujets d’étude bien plus efficaces que l’archéologie. Par exemple, vous avez certainement autour de vous des gens qui se sont fait enlever une verrue par un guérisseur ou une guérisseuse, qui a procédé à l’opération par imposition des mains et prière. Si vous êtes sociologue comme Dominique Camus, pas de problèmes pour disserter sur ce phénomène. Mais surtout, n’allez jamais affirmer que ça marche mieux qu’un placebo car là vous aurez franchi la ligne rouge. Vous aurez d’ailleurs de tels obstacles pour monter votre étude que vous laisserez vite tomber.
Dans le genre suicidaire, je recommande particulièrement l’étude des OVNI. Là, vous êtes assuré de ruiner votre réputation et votre carrière sans aucun espoir de retour comme ce fut le cas pour le physicien Jean-Pierre Petit. Une exception notable toutefois, le sociologue Pierre Lagrange, au départ complètement sceptique mais qui a fini par virer sa cuti et admet aujourd’hui qu’il y a bien quelque chose d’inexpliqué là dedans, ce qui fait qu’aujourd’hui certains considèrent qu’il a été victime d’une sorte de syndrome de Stockholm.
Arthur Schopenhauer disait : « La vérité passe toujours par trois stades : elle commence par être ridiculisée, puis elle est vivement critiquée, et enfin elle est acceptée comme évidente. ». La prochaine fois que vous tomberez sur des hypothèses qui contredisent vos certitudes scientifique, faites attention à ne pas prendre le rasoir d’Ockham par la lame.
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