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Accueil du site > Tribune Libre > Les limites de la rémunération variable individuelle

Les limites de la rémunération variable individuelle

Extraits de Encadrer une équipe : La conduite des hommes Chronique Sociale, 2012.

En vérité, à partir du moment où un système de rémunération prévoit une part variable individuelle, tant que les résultats sont là, la tension générée par la promesse d’un "bonus" peut, dans une certaine mesure, doper les performance. Cela dit, il serait hasardeux de parler de motivation, au sens strict, par le biais de la seule rémunération variable individuelle.

La motivation passe par des mécanismes plus complexes. D'où les cinq limites inhérentes à tout système de rémunération variable individuelle.

La première limite [...] touche au fait que le système, quelquefois désigné sous l’appellation "contribution rétribution" peut amener le salarié à effectuer des actions servant d’avantage ses propres intérêts que ceux de l’entreprise, l'institution ou l'organisme. Une situation devenue possible depuis que la plupart des gens ont à effectuer un travail multitâche [...]. Au détriment en particulier des aspects qualitatifs forcement plus difficiles à mesurer car subjectifs par nature [...]. Un exemple courant est celui de l'acheteur "tueur de coût" ne se préoccupant que de sa part variable, alors que la fonction d’acheteur consiste aussi à préparer l’avenir [...] ;

La deuxième limite notable apparaît lorsque l’on constate que la rémunération variable peut littéralement exacerber la compétition entre collaborateurs. Il n’est en effet pas rare que certains, obnubilés par l'atteinte de leurs objectifs personnels, n’aient tendance à ne s'intéresser qu’à leurs propres succès au détriment, non seulement de leurs collègues, mais au détriment aussi de la performance globale de l’entreprise, l'institution ou l'organisme [...] ;

La troisième limite s’inscrit en tant que conséquence directe de la compétition entre collaborateurs puisque l'on observe depuis quelques années des effets pervers directement liés à cette part individuelle : montée de l’agressivité dans les équipes, parasitage de la communication interpersonnelle, rétention d’informations, effondrement de l'esprit d'équipe [...] ;.

Nous situerons la quatrième limite au niveau de la confiscation du sens du travail que le système de rémunération variable individuelle a tendance à réduire au statut de chiffre. En se bornant à mesurer les écarts vis-à-vis des résultats attendus, il ne prend pas suffisamment en compte la complexité du travail. Il mesure, au mieux, non pas le travail mais les résultats de celui-ci. Tout le reste est oublié : les impondérables pourtant fréquents ; les indispensables ajustements quotidiens ; les solutions (voire les ruses) à inventer pour surmonter la résistance du réel ; la nécessité journalière d'interpréter certaines règles [...] ;

Enfin, cinquième et ultime limite importante du système de rémunération variable individuelle, on observe des cas de dévoiement dans lesquels la part individuelle n’est plus utilisée comme objet récompensant une performance réussie mais, à l’exact contre-pied, comme un moyen de pression. Par exemple, pour inciter un senior à accepter un départ anticipé en faisant en sorte que sa rémunération globale soit systématiquement inférieure au coût de la vie [...].

 

Pour conclure [...], alors que les syndicats redoutent des dérives liées à l’incertitude, avançant que dorénavant aucun salarié n’est assuré de gagner plus d’une année sur l’autre, et constatent depuis une décennie la baisse systématique de pouvoir d’achat [...], les choses sont nettement plus assurées du côté des Consultants spécialisés en la matière : "Si votre système de rémunération variable est bien conçu, réjouissez-vous de verser une part variable importante à vos collaborateurs. Cela signifie qu’ils ont su se stimuler l’un l’autre, pour vous faire gagner bien plus que vous ne leur versez".

 

Extrait de Encadrer une équipe : La conduite des hommes - Chronique Sociale, 2012.


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5 réactions à cet article    


  • leypanou 12 novembre 2015 15:13

    Bel article qui résume les limites de la rémunération variable individuelle.

    De toute façon, il est impossible d’évaluer à 100% la qualité d’un travail ; à part l’absentéisme que l’on peut effectivement évaluer ou la ponctualité ou encore l’incapacité à faire ce qui a été demandé dans les temps -et encore, cela dépend de beaucoup de choses-, on ne peut pas tout évaluer.

    Aller évaluer le travail d’un juge ou d’un enseignant. Quand on pourra se mettre d’accord sur les critères d’évaluation, alors oui on peut évaluer la qualité d’un travail.

    A IBM, à une époque, ils ont réglé le problème : le nombre de salariés qui doivent sauter est connu : quoi que vous fassiez, il y aura le nombre de mal notés requis. Quelle ambiance !

    Bref, encore une idée de l’idéologie ambiante comme quoi on peut tout noter (ceux qui en font le minimum possible, on les connaît aussi et ce sont ceux-là qu’il faut pouvoir sanctionner)  !!!


    • clostra 12 novembre 2015 15:36

      « rémunération variable individuelle » qui, pour les fonctionnaires serait « au mérité » je suppose.

      et c’est un vaste sujet dans sa mise en oeuvre car vous ne parlez que des conséquences sans parler des causes.

      La rémunération variable au mérite dans la fonction publique (car elle existe bien et la caresse électorale en est bien une, sans doute monsieur Macron ne l’a pas expérimentée) passe par la notation par des « supérieurs » qui eux ne sont pas notés. La prime (au mérite ?) est indexée sur la note.

      La note dans certains cas, sert également à placardiser. Voir l’excellente enquête de « complément d’enquête » à ce sujet.

      Voici une petite histoire que vous prendrez comme vous voulez : réalité ou fiction, au choix.

      Il s’agit d’une direction d’un hôpital de la région parisienne que certains médecins ont décidé de faire partir. La direction a la responsabilité administrative des services hospitaliers qu’elle délègue à sa surveillante générale qui a elle-même la responsabilité de l’ensemble des « surveillantes ».

      Je ne raconte pas ce qui s’est passé dans un des services hébergeant des malades pour mettre à pied sa surveillante après avoir que des médecins aient fait circuler une pétition parmi le personnel pour demander son départ prétextant qu’elle refusait de déléguer. Notation : 14. ça + la pétition = placard ou départ. Prime indexée.

      Au laboratoire central, la surveillante était un peu plus coriace. Il a fallu employer les grands moyens. Je passe les détails comme d’accuser sa gestion d’un stock de produits que la chef du laboratoire avait elle-même estimée et que la surveillante en bonne gestionnaire tentait de rattraper cette erreur qui coûterait à la société (nos impôts, notre sécu) alors qu’il lui avait été suggéré de le faire disparaître. Certaines personnes sont moins enclines que d’autres à faire accuser les autres y compris les responsables (errare humanum est). Ce n’est pas du mérite, c’est une éducation.

      Par contre, pour cette surveillante alertée par ses collègues de la maltraitance d’un de leur collègue handicapé et de deux autres collègues par une des assistantes du service, est allée la trouver pour lui faire part de sa désapprobation.

      Quelque temps avant, le président de la CME (CMC à l’époque) avait prévenu cette surveillante que ça allait être très difficile (dans le contexte cité ci dessus en lien avec le double pouvoir dans les hôpitaux).

      Le lendemain ou surlendemain, l’assistante en question arrive dans le laboratoire claironnant qu’elle pouvait virer « qui elle veut », autorisée par son grand copain médecin, ajoutant « sauf toi ».

      La surveillante en question avait pensé qu’on ne toucherait pas un seul cheveu de ses collègues et que si c’était le cas : elle serait la première à partir.

      Remarque : oui, oui on est bien dans le service public et la surveillante était bien titulaire.

      Le problème était bien que ce collègue handicapé allait, pour ne plus avoir à faire à cette assistante qui l’avait frappée et ne se privait pas dans les couloirs de dire qu’il puait, mettre sa vie en danger en passant de nuit et ça, la surveillante savait que ça pouvait le tuer. Lui ne voulait pas qu’on en parle craignant pour son emploi.

      Alors, tout y est passé. La surveillante a été aussi maltraitée que ce jeune handicapé, pour finalement se coltiner un 14 (après avoir été menacée de blâme, menacée par le copain médecin de cette assistante dans la file du self « ne vois-tu rien venir » ...).

      Il devient évidemment impossible de faire le job dans ces conditions-là. Même quand la note est remontée en commission de révision ...

      être au placard et apprendre le décès de son collègue, non merci. D’où le départ de la surveillante.

      Deux ans après, ce collègue handicapé décédait après avoir tardé à donner son arrêt maladie et lorsqu’il l’a donné, l’assistante en question l’avait traité de paresseux. Il est décédé le lendemain en réanimation ...

      Alors où se trouve le mérite ? la part variable de la rémunération ?


      • tashrin 12 novembre 2015 17:21

        Damned ! On nous aurait donc menti ?

        La première limite [...] touche au fait que le système, quelquefois désigné sous l’appellation « contribution rétribution » peut amener le salarié à effectuer des actions servant d’avantage ses propres intérêts que ceux de l’entreprise, l’institution ou l’organisme

        Nooon, il ne faut pas oublier la symbiose entre l’entreprise et ses collaborateurs. L’interet de l’un va forcement de pair avec celui de l’autre non ?

        La deuxième limite notable apparaît lorsque l’on constate que la rémunération variable peut littéralement exacerber la compétition entre collaborateurs

        Ben oui mais la competition de tous contre tous, dans une concurrence libre et non faussée, c’est bien le sacro saint horizon indepassable n’est -il- pas ? Comment donc la competition exacerbée pourrait avoir des effets déléteres ?

        La troisième limite s’inscrit en tant que conséquence directe de la compétition entre collaborateurs puisque l’on observe depuis quelques années des effets pervers directement liés à cette part individuelle : montée de l’agressivité dans les équipes, parasitage de la communication interpersonnelle, rétention d’informations, effondrement de l’esprit d’équipe [...] ;.

        Cf au dessus, la « compét », c’est cool !

        Nous situerons la quatrième limite au niveau de la confiscation du sens du travail que le système de rémunération variable individuelle a tendance à réduire au statut de chiffre

        Ben... alors ça c’est incomprehensible qu’on revienne là dessus, puisque ca fait trente ans que seuls les chiffres gouvernent le monde... On juge l’efficacité d’un hopital non pas à sa manière de soigner les gens (qualitative et quantitative) mais au nombre de compresses utilisées, et au taux de rotation d’occupation des lits... Idem pour l’ecole, la justice, et tous les autres services societaux... Le chiffre seul ne serait donc pas la bonne logique ? incroyable

        Enfin, cinquième et ultime limite importante du système de rémunération variable individuelle, on observe des cas de dévoiement dans lesquels la part individuelle n’est plus utilisée comme objet récompensant une performance réussie mais, à l’exact contre-pied, comme un moyen de pression.

        Là je vous arrete hein... Un contrat de travail prevoit des limites claires, aucun employeur n’a jamais considéré comme normal que son salarié fasse 42h/sem pour meriter une paye correspondant à 35h !

        Bon evidemment mes remarques sont ironiques. Je suis d’accord avec le fond de votre article évidemment, mais ma réaction est due au fait que c’est d’une evidence absolue pour qui raisonne avec un minimum de bon sens et de connaissance de la nature humaine.
        Qu’on ait besoin d’un manuel de management pour l’expliquer relève de la science fiction (à mes yeux)


        • clostra 12 novembre 2015 19:20

          Je voudrais revenir un peu sur la notation dans le service public, peut-être en hommage à Glucksmann parce que je suis très en colère depuis que cette histoire a eu lieu.

          Pas tellement parce que cette femme bien payée a réussi plus que raisonnable, à la tête de tous les laboratoires de l’espace géographique où cette affaire a eu lieu, que pour faire prendre conscience que le « service public » dans son fonctionnement n’est pas ce qu’on croit, en particulier pour le service public hospitalier.

          « On ne lève l’ambiguïté qu’à ses dépens » disait le cardinal de Retz - je confirme

          à l’opposé de Glucksmann pense le contraire au risque de la colère.

          L’hôpital appartient avant tout aux politiques locaux. Les nominations à des postes de responsabilité aussi rares que ceux des laboratoires centraux supposent une grande « surface mondaine », disons, et parfois d’autres « qualités » sans grand rapport avec les compétences nécessaires. L’un plus l’autre, c’est mieux, mais s’il y a beaucoup d’appelés, il y a peu d’élus.

          On ne s’attardera pas sur le cas cité dans le précédent commentaire, seulement pour dire que cette personne avait / a un atout caché supplémentaire, fille de gendarme, elle a connu les gendarmeaux au berceau, utilisé le matériel de papa pour faire des blagues aux copains. Des arguments bétons pour vous mettre plus bas que terre.

          Pour ce qui est de la justice : les tribunaux sont remplis à craquer d’experts médicaux autoproclamés issus de l’hôpital du coin. Béton de ce côté-là également.

          Forces de l’ordre nationale, politiques locaux donc police municipale, justice. Que demande le peuple ?

           On ne s’étonnera pas que cette surveillante ait fait une grave dépression plusieurs années après. Les surveillantes suivantes ont également eu des troubles qu’elles ont surmonté comme elles pouvaient.


          • Osis Oxi gene. 13 novembre 2015 12:11

            Allez un peu d’auto pub...
            Ca ne peut pas faire de mal et autant en profiter avant qu’il ne soit froid.

            Dur d’exister Monsieur le philosophe, mais vous avez raison sur un point, on n’est jamais mieux servi que par soi même.

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