Les primaires contre les partis, symptôme d’une crise profonde de notre démocratie
Pascal Perrineau, professeur à Sciences po, parle dans le Figaro1 d’une « crise de régime », qui ressortirait de l’avènement des primaires à gauche comme à droite. Elles participeraient à la présidentialisation du régime, le présidentiable issu des primaires choisissant seul comment il entend finalement gouverner, dépossédant ainsi les partis de leur rôle démocratique essentiel de promoteur de projet. Les candidats hors primaire sortis d’aucun parti, comme Macron ou Mélenchon, tirent profit de cette situation où le parti s’efface derrière son candidat, qui leur donne une légitimité qu’ils n’attendaient sans doute pas, bien que peut-être éphémère. Si on peut convenir de cette analyse des primaires avec Pascal Perrineau, il laisse de côté un fait qui résume à lui seul l’ampleur du malaise, et l’état de notre démocratie.
Ces primaires, à être ouvertes à tous les électeurs, ont retiré toute prépondérance des adhérents des partis organisateurs sur le vote. Le choix de leur champion leur a ainsi largement échappé. Mais bien au-delà, cela s’est traduit par la participation à ces primaires d’environ 20% d’électeurs de gauche et 10% d’électeurs du FN, qui sont venus eux choisir le meilleur candidat de droite capable de faire gagner le leur. A gauche, voire à l’extrême gauche, on a choisi de voter Juppé ou Fillon pour faire battre Sarkozy, et même un peu plus Fillon, qui avec son programme très droitier a été pressenti comme vecteur de remobilisation d’une gauche divisée et malade d’avoir gouverné ; Et au FN, on a plutôt voté pour un Juppé plus facilement prenable qu’un Sarkozy ou un Fillon sur la question de l’immigration et de l’intégration, quoi que la victoire de Fillon, très antisocial dans ces primaires, pouvait apporter de l’eau au moulin du programme frontiste présenté comme défendant le modèle social français...
Lorsque Thierry Solère, qui a organisé les primaires de la droite et est aujourd’hui le porte-parole de François Fillon, explique sur France info que ce dernier « a été choisi largement par les Français », pour lui donner une plus grande légitimité, on voit bien la dérive. Il élimine toute idée de référence au choix de ce candidat par un parti ou une coalition de partis. Mais en ayant ouvert ces primaires à tout ceux qui le veulent, est-on bien assuré d’avoir donné plus de légitimité à l‘élu ? Rien n’est moins sûr.
On constatera avec Pascal Perrineau, qu’en inventant les élections primaires pour tenter de répondre à la crise des partis, ce processus a accentué celle-ci. Il s’agit donc ici de savoir, lorsqu’on constate que « le mécanisme de l'élection primaire pour choisir le candidat à l'élection présidentielle a réussi sa greffe sur le système politique français »1, si cela constitue une avancée ou non pour la démocratie. A bien y regarder, il en va plutôt d’une sorte de désarroi généralisé. Les primaires ont permis à ce désarroi en quelques sorte de s’exprimer, à travers ce jeu de massacre du « qui perd gagne », à l’aune de ce mélange improbable d’électeurs de droite, de gauche et d’extrême droite. Les apports d’électorats étrangers aux primaires de la droite font symptôme avec une certaine gravité, même si cela a pu être assez jouissif pour certains électeurs de gauche, que d’aller signer une « Charte de l’alternance » valant adhésion aux valeurs de la droite, pour voter contre la capacité de cette dernière à gagner l’élection présidentielle. Une attitude qui depuis déjà plusieurs élections a été précédée par un vote massif par défaut des électeurs. Un vote par défaut qui s’est traduit dans les faits, par voter pour un candidat uniquement contre un autre, sur le mode démoralisant du moindre mal.
On voit là passer un cran encore, non seulement dans la crise des partis, mais de la démocratie représentative elle-même, par ce mécanisme pré-sélectif qui entend jeter encore un peu plus d’enfumage sur une situation de désaffection croissante du politique. L’incapacité à proposer une offre politique susceptible de redonner un sens d’intérêt général aux partis, les faits apparaitre de plus en plus comme éloignés de la faculté à promouvoir une réponse aux préoccupations primordiales, économiques et sociales, des citoyens. Après avoir été discrédités par une démocratie réduite depuis plusieurs échéances électorales au choix du meilleur gestionnaire, ils le sont à présent par un mode de désignation qui leur fait perdre leur fonction essentielle.
A l’article 4 de notre Constitution, il est écrit : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. (….) Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. (…) La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » Les partis politiques par la fonction qu’ils occupent ont pour rôle de promouvoir la démocratie. Mais respectent-ils bien la démocratie lorsqu’ils organisent des primaires qui ne les respectent plus dans leur propre fonction ?
Ce ne sont donc pas nos institutions qui sont en crise mais les partis politiques, la façon dont ils évoluent à travers des primaires les ramenant à l’unique rang de staff d’une écurie présidentielle écrasant tout. Ils perdent ainsi leur fonction de mobilisation des citoyens dans l’organisation d’une démarche projet dont le candidat ne devrait être que le promoteur, de la base vers le sommet. Cette évolution renforce une compétition entre des candidats jugés sur leurs compétences personnelles et leur programme de gouvernement, au lieu de le faire sur des projets de société touchant au fond, seuls susceptibles de poser les termes d’une réorientation politique dont la France a le plus grand besoin. Attention que nous n’allions pas, à l’ignorer trop longtemps, vers une véritable crise des institutions qui nous entrainerait sur des pentes aventureuses. Ne serait-il pas temps de montrer la voie vers autre chose que la grisaille de Bruxelles et de Merkel, le capitalisme dé-régulateur ultralibéral et son théâtre d’opération, la mondialisation, comme fin de l‘histoire ?
Ce processus de pré-désignation que partagent les deux courants politiques de l’alternance gouvernementale, neutralisant le rôle démocratique des partis politiques dans l’élection présidentielle, en font plus que jamais la cible de l’accusation d’UMPS par un FN se présentant comme antisystème. Par-delà les sondages et les sondés, au traitement plus ou moins sûr des opinions, fréquemment déjoués par les électeurs, il n‘a jamais autant été en position de risquer de l’emporter. Il faudra plus que se prévaloir de primaires, pour déjouer ce scénario catastrophe, et gagner.
Les partis politiques sont apparus au tournant du XXe siècle, avec pour point de départ le Parti radical en 1901. Ce fut l’aboutissement d’un long processus, qui a vu le remplacement des révoltes violentes jusque là seules capables de faire entendre la voix du peuple, par l’expression libre des sensibilités politiques à travers le système des partis, credo de la démocratie représentative. Il en a résulté une certaine pacification des mœurs en politique, jusqu’à la création du parti communiste en 1920, qui tout en se donnant pour objectif la dictature du prolétariat et donc la fin de la démocratie, procurait contradictoirement à ce système en y entrant, toute sa légitimité. Ne nous étonnons donc pas des périls qui montent, à partir du moment où on s’écarte de cette doctrine qui a ses fragilités. On ne saurait oublier trop longtemps que selon Jean-Jacques Rousseau, le contrat social ne peut tenir qu’à la condition que l’obéissance à la loi vienne du fait que le citoyen en soit l’auteur, ou qu’il ait, tout au moins, le sentiment fondé d’y participer.
1-Pascal Perrineau, Les primaires changent la nature du mandat présidentiel, Le Figaro. Publié le 13/12/2016
Guylain Chevrier
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON