« L’information » pour les médias traditionnels, « le commentaire » pour Internet ?
Il ressortirait de cette recherche que « 95 % des « informations nouvelles » sont produites et publiées par les médias traditionnels ». Les « nouveaux médias » sur Internet se contenteraient le plus souvent de répéter, voire de copier et de commenter, selon la fallacieuse distinction qu’établissent les journalistes entre « information » et « commentaire » : Le Monde trouve même comme argument d’autorité un universitaire - c’est normal, l’École diffuse la théorie promotionnelle des médias - pour valider cette représentation erronée de l’information sur Internet : ces sites ne seraient qu’une « chambre d’écho, (oscillant) entre redondance et pluralisme », selon l’universitaire cité, F. Rebillard, qui concède toutefois que « (s’) ils ne révolutionnent pas le système médiatique, (ils) viennent l’enrichir » tout de même. Il se garde bien de dire comment.
La quantité comme critère supérieur à la qualité
Pareil aveuglement consterne. Grand bien leur fasse, à ces médias traditionnels, de se tresser la couronne des vainqueurs sur de tels critères quantitatifs ! On se souvient que c’était la préoccupation majeure de M.-O. Fogiel sur Europe 1, le 18 novembre dernier, lors du « débat » de 8 minutes auquel on a participé. Il était sûr d’avoir dégainé l’arme fatale ! « Quelles informations avez-vous apportées par exemple ? » n’a-t-il pas cessé de répéter, croyant mettre son invité dans l’embarras. (3)
Ces résultats ne sont pourtant pas une surprise. Que des médias professionnels avec leurs réseaux drainent une masse d’informations supérieure à celle que diffusent des médias constitués de bénévoles, n’a rien d’étonnant. Mais les médias traditionnels paraissent vouloir continuer à ignorer les raisons de leur discrédit et du succès croissant des nouveaux médias sur Internet. Ce n’est pas la quantité d’informations qui importe mais leur qualité ! Si l’on en juge soi-même par sa propre expérience - et chaque rédacteur peut en faire autant avec la sienne - trois critères tendent à différencier les médias traditionnels d’un site comme AgoraVox.
1- La prédominance de « l’information indifférente »
Le premier est la variété de l’information diffusée. Les médias traditionnels affectionnent « l’information indifférente » (4). Elle envahit journaux et antennes parce qu’elle ne contrarie les intérêts de personne. C’est cette information qui évite les sujets qui fâchent et ne parle que du temps, du sport, des stars, des mondains, des faits divers crapuleux ou accidentels, des catastrophes. Chacun peut le vérifier tous les jours.
On vient encore de le montrer récemment dans une analyse du « Journal de 13 heures » de France Inter diffusé vendredi 8 janvier : le meurtre d’un lycéen dont la rédaction ne savait quasiment rien, et la neige sur la France ont occupé près du tiers du journal. Le 16 décembre 2008, des explosifs découverts dans le magasin du Printemps Haussmann avaient fait l’objet du même traitement prioritaire, sans qu’on n’en sache rien. Les reportages de France Info sur des faits divers paraissent même obéir à des formulaires préétablis. Dans leur chasse à l’audience, la stimulation du réflexe de voyeurisme est une ligne de conduite de ces médias pour capter l’attention. Et encore ne s’agit-il que d’une chaîne publique comme Radio France censée être animée par des idéaux citoyens, et non d’un magazine comme Paris Match qui s’est fait une spécialité du « choc des photos ». L’information indifférente envahit pareillement, comme on l’a analysé également, Nice matin ou La Dépêche du Midi.
2- L’omission ou la dissimulation d’information
L’information stratégique, d’autre part, qu’elle soit information donnée volontairement par un émetteur ou qu’elle lui soit extorquée à son insu et/ou contre son gré, est souvent maltraitée. À cette fin, par exemple, deux méthodes sont pratiquées.
L’une est tout simplement l’omission ou la dissimulation (5). Mais on ne peut le reprocher aux médias pas plus qu’à quiconque pour deux raisons : l’une est la contrainte de l’exiguïté de l’espace ou du temps de diffusion de l’information qui fait qu’on ne transvase pas le contenu d’un tonneau dans une bouteille ; il y a tant d’informations disponibles qu’il faut effectuer un tri draconien. L’autre est la contrainte des motivations de l’émetteur qui se résume à ce principe fondamental de « la relation d’information » : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire.
Dans le contexte de la seule expérience que l’on a acquise depuis que l’on publie sur AgoraVox, on relève ainsi la dissimulation systématique par les médias traditionnels 1- de certaines décisions judiciaires ou 2- d’événements révélateurs du dysfonctionnement de l’Éducation nationale. 3- On ne trouve pas non plus la moindre trace d’une critique de la publicité (6), ni évidemment 4- des erreurs de « la théorie promotionnelle de l’information » que les médias répandent sans cesse (7).
Ces quatre seuls sujets sont inconnus des médias traditionnels. La cause en est simple. Les médias dissimulent très logiquement une décision judiciaire ou un événement scolaire contraire à leurs intérêts. La publicité dont ils vivent, les incite à ne surtout pas la critiquer. Quant aux erreurs de leur représentation de l’information, ils se servent justement de ces leurres pour tromper leurs cibles et asseoir leur crédit. On ne peut donc attendre de leur part la moindre critique de ce chapelet d’erreurs qu’ils égrènent quotidiennement. Et ils n’ont pas tort : l’École, bonne fille, enseigne à leur suite leurs leurres. Ils trouveront toujours un docte universitaire pour les cautionner. La question chère à Fogiel de savoir quelles informations originales apportent les nouveaux médias sur Internet, trouve donc ici une première réponse.
3- La mise hors-contexte pour une représentation infidèle d’un fait
Une seconde réponse tient dans le leurre dela mise hors-contexte (8) que les médias pratiquent avec dextérité chaque fois qu’un événement contrarie leurs intérêts. Ils n’ont pas leur pareil, par exemple, pour transformer une victime en coupable. L’astuce consiste à omettre sciemment une décision judiciaire favorable à la victime pour innocenter son agresseur.
- Le Midi-Libre, en mars 2008, a offert une recette provençale de la mise hors-contexte en prétendant rendre compte d’un livre sur un « blâme académique » infligé à un professeur mais annulé par le tribunal administratif, sans informer, dans un premier temps, ses lecteurs du jugement : l’agresseur, la hiérarchie de l’Éducation nationale, était blanchi, l’agressé, noirci ! Il a fallu une protestation de l’auteur du livre pour que le journal publie un rectificatif !
- Le Figaro opère de la même manière, en janvier 2009, pour tenter de discréditer Mme Karen Montet-Toutain, cette professeur victime d’une tentative d’assassinat dans sa classe à Étampes en décembre 2005 : elle s’était plainte de n’avoir pas été soutenue par son administration face aux voyous qui la menaçaient depuis plusieurs semaines. Elle a obtenu gain de cause devant le tribunal administratif qui a condamné l’État à lui verser une indemnité en réparation du préjudice subi pour n’avoir pas été protégée selon la loi. Le Figaro ne mentionne évidemment pas ce jugement et la fait passer pour une dérangée.
- Le journal Le Monde, de son côté, a, par deux fois, sali la réputation du lieutenant-colonel Jean-Michel Beau en omettant le contexte des affaires des « Irlandais de Vincennes » et des « Écoutes téléphoniques de l’Élysée » : une fois, dans la prétendue critique de son livre « L’affaire des Irlandais de Vincennes, l’honneur d’un gendarme » (Éditions Fayard, 2008) et, une deuxième fois à l’occasion de la Légion d’honneur qui lui a été attribuée par le président de la République en mai 2009.
La mise hors-contexte est un leurre redoutable, car pour le déceler, … il faut précisément connaître le contexte ! Ainsi, plus généralement, les médias sapent-ils quotidiennement les fondements de la démocratie en parlant de « meurtrier ou de violeur présumé » quand on n’est que prévenu ou suspect avant tout jugement, ou en appelant négativement « polémique » quasiment tout débat, alors que c’est précisément le débat qui différencie la démocratie de la tyrannie.
En se réjouissant de remporter la palme de la quantité d’informations diffusées, les médias traditionnels montrent qu’ils n’ont toujours pas compris que c’est la qualité médiocre de cette quantité d’informations qui ruine leur crédit et assure le succès des médias nouveaux sur Internet. Ne feraient-ils pas mieux de se montrer plus attentifs à cette qualité 1- en diminuant la part de l’information indifférente dans leurs colonnes ou sur leurs antennes, 2- en dissimulant le moins possible les informations stratégiques, 3- et en veillant à respecter scrupuleusement le contexte de celles qu’ils décident de diffuser ? Plutôt qu’un affrontement stérile entre anciens et nouveaux médias, on préfère y voir une concurrence inespérée qui offre, à vrai dire, le seul espoir d’une amélioration de la qualité de l’information disponible. Paul Villach
(1) Le Monde.fr 15.01.2010
(2) Marianne 2 , 15.01. 2010
(3) Paul Villach, « Retour sur mon intervention chez Fogiel sur Europe1 », Agoravox, 23 novembre 2009.
(4) L’information indifférente
Paul Villach
- « Meurtre « à la une » d’un lycéen : la manipulation discrète des esprits par France Inter », 11 janvier 2010.
- « Printemps-Haussmann sur France Inter : « la technique de confusion intellectuelle » ? », 18 décembre 2008.
- « La drôle de déontologie de La Dépêche du Midi - Tarn : un festival d’informations indifférentes conforme à l’attente de son lectorat ? », 17 août 2009.
- « À quelle déontologie obéit donc cette première page de Nice-Matin du 1er août 2009 ? », 5 août 2009.
- « Les reportages de France-Info : de simples formulaires à remplir ? », 8 août 2008.
(5) La dissimulation d’informations
Paul Villach
- « Collège de Marseillan (suite) : une notation administrative vindicative annulée par le tribunal administratif de Montpellier », 24 décembre 2009.
- « Afficher sa lettre confidentielle au recteur n’est pas une attaque contre un professeur, juge le tribunal administratif de Montpellier ! », 22 décembre 2009.
- « Affaire Castaldi - « Douche froide » pour Guy Carlier sur Europe 1 : l’arroseur arrosé ! », 25 novembre 2009.
- « Le sujet de français au Brevet : une stérilisation savante de la réflexion des élèves », 6 juillet 2009.
- « « Course contre la faim » : ou comment faire une bouchée de la neutralité scolaire sous couvert d’action humanitaire », 2 mai 2009.
- « À propos du livre de Pierre Péan : une victime collatérale méconnue de l’humanitaire à la Kouchner : l’École ! », 17 février 2009.
- « Sauver l’école ou les apparences ? Une lettre interne qui accuse l’administration de l’Éducation nationale », 8 septembre 2008.
- « Une incroyable promotion du « caïdat » au Diplôme national du Brevet », 28 juin 2008
- « Les sujets de bac de français 2008 : ou comment juger d’un vin à la forme de la bouteille », 24 juin 2008.
- « Vulnérabiliser les professeurs : une stratégie administrative réfléchie », 18 février 2008.
- « L’éducation aux médias » et l’École, ou le mycologue inconscient », 20 décembre 2007.
- « Au brevet des collèges 2007, les indices d’un programme réfléchi de désorientation », 28 juin 2007.
- « Lettre secrète de dénigrement, un acte administratif loyal ? », 29 novembre 2006.
- « La Légion d’honneur a été remise à Jean-Michel Beau, lundi 29 juin : Antigone vivante ! », 3 juillet 2009.
- « Les élections législatives du 9 mars en Espagne : l’art et la bannière », 4 mars 2008.
- « Les affiches électorales de « la Ligue du Nord » italienne : le discrédit du débat démocratique », 28 avril 2008.
- « France, pays des droits... du délateur », 13 mars 2007.
(6) Une critique de la publicité
Paul Villach
- « Une publicité du Figaro qui prête à sourire », 6 octobre 2009.
- « Ce leurre pernicieux que de son échafaudage Radio France répand dans Paris », 31 août 2009.
- « Une campagne publicitaire outrancièrement partisane du Monde », 25 janvier 2008.
- « L’ensorcellement publicitaire dans une affiche d’Harry Potter : le leurre de la pression du groupe », 11 août 2009.
- « Perrier invente l’eau fraîche comme d’autres, l’eau chaude », 15 juillet 2009.
- « Une affiche de la Fondation Abbé-Pierre : un modèle de leurre d’appel humanitaire », 10 décembre 2008.
- « Inoculer la peur du malheur au cœur du bonheur : une publicité de l’OCIRP sur internet », 30 septembre 2008.
(7) Les leurres de la théorie promotionnelle des médias sans cesse ressassés
Paul Villach
- « Les leurres de la déontologie journalistique concoctée par Bruno Frappat et ses experts », 30 octobre 2009.
- « Paris-Match pris à ses propres leurres par deux étudiants : un joli cas d’école », 8 juillet 2009.
- « « Média-paranoïa » de Laurent Joffrin, ou l’injure comme aveu d’impuissance », 5 février 2009.
- « Le « livre vert » des États généraux de la presse : la recette du « lapin-chasseur » », 15 janvier 2009.
- « Le culot ! Edwy Plenel, sur Radio Suisse Romande, fait des journalistes les « dépositaires d’un droit de savoir des citoyens » ! » 27 novembre 2008.
- « L’affaire Enderlin, France 2 et Média-Ratings : une pétition en faveur de l’infaillibilité journalistique ? » 9 juin 2008.
- « À quoi sert un journaliste » de Radio-France embarqué sur un bateau militaire croisant au large de la Birmanie ? », 26 mai 2008.
- « L’information selon M. Jean-Pierre Elkabbach », 5 mai 2008.
- « L’humiliante leçon de journalisme donnée par le président Sarkozy pendant sa conférence de presse », 9 janvier 2008.
- « La tragique leçon de journalisme de Géraldine Mulhman sur France Culture », 12 octobre 2007.
- « La désinformation, un leurre des médias traditionnels », 27 mars 2007.
- « Grâce à Paul Watzlawick, une approche de l’information qu’on ne peut plus ignorer », 11 avril 2007.
(8) La mise hors-contexte
Paul Villach
- « « Lionel raconte Jospin » ? L’aveu d’une duplicité foncière ? », 12 janvier 2010.
- « Timisoara : « Ceci n’est pas un charnier », aurait écrit Magritte », 29 décembre 2009.
- « La présomption d’innocence maltraitée par les médias de masse », 7 mars 2008.
- « La présentation par France 2 de « La journée de la jupe » : indigence ou malhonnêteté intellectuelle ? », 25 mars 2009.
- « La palme d’or du festival de Cannes : un blâme académique et une gifle pour les enseignants ? », 29 mai 2008.
- « Faire d’une victime un agresseur : la recette provençale du Midi libre », 26 mars 2008.
- « Psychiatriser l’opposant : le journal Le Monde à l’école de La Pravda ? », 21 mars 2008.
- « La légion d’honneur de Jean-Michel Beau : le journal Le Monde trompe sciemment ses lecteurs ! », 25 mai 2009.
- « Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer Le Figaro », 26 janvier 2009.
- « Outreau : un débat et non « une polémique » sur une institution judiciaire dévoyée », 27 avril 2009
- « La sape indolore et quotidienne de la démocratie par les médias », 22 avril 2009.
- « « Human Bomb » sur France 2, ou la qualité de l’information disponible », 19 septembre 2007.