Lynchage médiatique : Quand les passions prennent le pas sur les fait
1 - "De delictis Gravioribus" : retour au texte
Que n’a-t-on pas lu depuis quelques jours sur ce fameux texte tant décrié ! Pour notre plus grand confort, le blog de Nystagmus (http://www.nystagmus.me/article-que-dit-la-lettre-de-joseph-ratzinger-de-2001-sur-la-pedophilie-texte-integral-en-francais-46200980.html) nous en livre une traduction française.
Penchons-nous tout d’abord sur la nature du texte. "De delictis Gravioribus" est un décret de la CDF, sorte de « ministère » de la Curie romaine ayant pour objet de préserver l’intégrité de la doctrine catholique, mais également de statuer en matière de mœurs. Pour faire simple, c’est à elle de statuer si tel ou tel comportement ou telle ou telle doctrine est compatible avec le catholicisme. Si elle peut instruire certains procès (comme elle le fit pendant l’inquisition), ce n’est pas forcément son objet premier. Il serait donc grandement réducteur de la prendre pour un ministère de la justice, rôle qui n’existe pas vraiment dans le fonctionnement de l’Eglise. En effet, celle-ci ayant pour principe quasi absolu la subsidiarité (un évêque est maitre chez lui), le principal des procès se traduit localement (par exemple pour faire réputer nul son mariage, c’est avant tout au niveau diocésain que cela se passe, chaque évêque étant libre de juger au cas par cas. L’appel se fait à Rome le cas échéant).
La lettre « De Delictis Gravioribus » est donc un décret d’une instance législative et partiellement judiciaire, ayant pour objet de fixer les domaines de juridiction des « délits » les plus graves. Notons au passage que le terme « délit » est générique pour l’Eglise, il n’y a pas de distingo entre délits et crimes. A ceux qui voudraient donc y voir une froideur du Panzerkardinal, je répondrais qu’un décret n’est pas fait pour s’épancher sur les victimes mais bien de fixer le sort des criminels sans ambiguïté possible : notre code de procédures pénales ne fait pas non plus dans le sentimental. Le décret complète un texte de 1962, ayant le même objet. Le sacrosaint principe de subsidiarité trouve encore son illustration : c’est à l’évêque du lieu du délit (l’Ordinaire, en langage ecclésiastique) d’instruire la cause, sauf pour certains délits particulièrement graves, pour lesquels la CDF prend le relai. Ces délits sont donc :
- - Les délit contre le Saint Sacrement
- - Les délits contre le sacrement de pénitence, à savoir :
o Le fait de confesser un partenaire sexuel de ce péché (qui, en général, renvoie l’ascenseur par la suite).
o Le fait de donner comme pénitence à un fidèle une besogne sexuelle avec le confesseur.
o Le fait de rompre le secret de la confession.
- - Les relations sexuelles entre un clerc et un fidèle de moins de 18 ans.
Toute la procédure est marquée du sceau du secret de l’instruction, pour plusieurs raisons. Mais cela ne signifie en aucun cas qu’une victime d’un acte pédophile ne se tourne vers les tribunaux civils ! Il s’agit tout bonnement de protéger la victime et l’accusé, de la même façon que le droit français le prévoit. La principale différence tient au fait que le procès est tenu secret également. Pourquoi ? Parce qu’il touche dans de très nombreux cas la confession, et que le secret de la confession est un principe absolu pour l’Eglise catholique. Rendre publique le procès reviendrait à en rendre publique les actes, ce qui serait tout bonnement impossible.
Bref, ne perdons pas à l’esprit que l’Eglise considère exclusivement dans ce texte son champ de compétence, celui-ci excluant bien sûr le champ de compétence du pouvoir civile.
Le texte ne prévoit pas, j’en conviens, un recours systématique aux tribunaux laïcs : il s’agit là, d’une part, de laisser la victime décider, l’Eglise ne se substituant pas à la responsabilité individuelle, et d’autre part, de laisser l’évêque décider en local de l’opportunité de l’acte. A contrario, cela signifie également que le jugement du tribunal ecclésiastique peut ne pas aller dans le même sens que le celui du tribunal civile. Un prêtre accusé de pédophilie peut être mis hors de cause par le bras séculier mais être jugé coupable par l’Eglise : nous y reviendrons plus tard.
2 – Joseph Ratzinger a-t-il pu ne pas être courant des scandales de grande ampleur ?
De toute évidence, Joseph Ratzinger a vu défiler des cas de prêtres pédophiles sur son bureau. De toute évidence, il a instruit, lui ou un de ses subordonnés, des procès pour pédophilie. Le texte « De Delictis Gravioribus » le prévoit, l’histoire – pour autant que l’affaire ait fait du bruit – le montre. Mais personne n’affirme que Joseph Ratzinger ne fût pas au courant qu’il y avait des pédophiles dans l’Eglise.
En revanche, et c’est bien là le nœud du problème, il se peut bien qu’il n’ait pas été au courant de l’ampleur du problème dans certains pays ! Et pour cause : si l’Ordinaire (l’évêque, pour faire simple) ne fait pas remonter l’information comme le prévoit « De Delictis Gravioribus », comment alors reprocher à la CDF de ne pas avoir pris les mesures nécessaires ? C’est exactement ce qui est reproché aux évêques irlandais, soit dit en passant : ne pas avoir respecté les prérogatives de la CDF et avoir traité le problème en local.
Cela ne signifie bien sûr pas que Joseph Ratzinger n’était pas au courant, j’en conviens. Mais les médias citoyens devraient, d’une seule voix, défendre bec et ongle le principe de présomption d’innocence, même à l’encontre de Benoit XVI, et surtout quand des faisceaux de preuves tendent à montrer l’absence de connaissance du dossier par l’accusé.
3 – Les accusations du New York Times : un non-événement.
Résumons maintenant les allégations du New York Times : Ratzinger aurait laissé un prêtre pédophile en fonction, alors qu’il connaissait les déviances de ce dernier. Si tel était le cas, le scandale serait effectivement colossale. Mais qu’en est-il exactement ?
Nous sommes en 1975. Le Père Murphy se voit accusé de pédophilie. L’Ordinaire en réfère aux autorités civiles, qui statuent sur un non-lieu, faute de preuve. L’Eglise, elle juge qu’il y a danger et limite l’apostolat de l’abbé Murphy
L’affaire aurait pu s’arrêter là, le dossier n’ayant pas été transmis immédiatement à la CDF. Mais en 1995, l’affaire refait surface et le dossier atterrit sur le bureau de Joseph Ratzinger, sans faits nouveaux, mais sur fond de scandales aux Etats-Unis. La CDF recommande la prudence et confirme la limitation des prérogatives de l’abbé, lequel est de toutes façons mourant, et rend son dernier souffle quatre mois après la clôture du dossier. On est donc bien loin de la tempête médiatique qui souffle sur Rome !
Encore une fois, cela ne prouve pas que Ratzinger n’a rien couvert. Mais pour le moment, force est de constater que les cas mis en avant ont été autant de coups d’épée dans l’eau. Pour ma part, en bon vigilant, j’attends qu’on m’apporte des preuves, pas des pseudo présomptions de culpabilité. Et j’invite mes semblables à en faire de même.
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