Premier érudit à s’intéresser à la question, sous le Second Empire, la première chose à faire est de rendre son honneur à l’avocat Garenne.
Contrairement à ce qu’écrit M. Christian Goudineau, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire des Antiquités Nationales, son livre publié en 1867 est loin d’être nul. Xavier Garenne voyait en Bourgogne trois oppidum caractéristiques : Alésia, le mont Beuvray et Mont-Saint-Vincent. En imaginant Bibracte au mont Beuvray où des vestiges archéologiques avaient été mis au jour et sur la foi d’indications données par César, il avait cru découvrir des traces de bataille dans les collines de Montmort. Erreur regrettable ! Depuis les fouilles approfondies exécutées par une équipe suisse, cette thèse est aujourd’hui abandonnée par les archéologues mais ils n’en proposent pas d’autres.

La logique qui s’impose aurait été de revenir au texte de César. En agissant ainsi, on aurait réfléchi à l’alternative que proposait Garenne : Bibracte à Mont-Saint-Vincent. Peut-être aurait-on retrouvé alors ce que j’explique dans mon deuxième lien pré-cité ; à savoir qu’Arioviste et ses mercenaires avaient contourné le pays éduen et qu’ils s’étaient installés sur ce site éminemment stratégique qu’était le mont Beuvray.
Retour en boomerang des arguments qu’on m’oppose, les nombreux débris d’amphores retrouvés sur ce site (pour le ravitaillement des Germains), les conséquents dépôts de monnaies cachés dans le sol (avant combats) sont autant de preuves qui s’ajoutent à la localisation que je fais, à Magobrium, de la célèbre bataille d’Admagetobriga qu’évoquent Cicéron et César ; célèbre bataille où les troupes gauloises (éduennes) mordirent la poussière face aux Germains d’Arioviste (alliés aux Arvernes) ; que dis-je, très célèbre bataille que nos historiens/archéologues cherchent encore et toujours dans la plaine d’Alsace.
Mais revenons, ou plutôt restons, dans la logique historique que semblent ignorer les "professeurs" qui me fustigent.
Les indications que donne César sont précieuses mais il ne dit pas tout. Il est bien évident que si les Helvètes marchaient en direction du mont Beuvray, ce n’était pas pour aller y cueillir des prunes, ni pour aller dans le pays de Saintonge, ni pour menacer la Narbonnaise, mais bel et bien pour y affronter les Germains et leur reprendre la position. Il est bien évident que le mariage de l’éduen Dumnorix avec la fille du chef helvète Orgétorix avait scellé une alliance entre les deux peuples. Il est bien évident que si César est intervenu sur les arrières des Helvètes, c’est, dans un premier temps, contre la volonté éduenne de ses dirigeants (Dumnorix), quoiqu’en pense mes détracteurs, et au profit d’Arioviste... avant de se retourner contre lui, dans un deuxième temps. Tout cela est un peu fou - j’ai failli écrire "complètement dingue" - et on comprend que César n’ait pas tout dit.
Et voilà que tombe le reproche qu’on me fait en permanence de ne pas faire la critique des textes. Si ce que je viens d’écrire n’est pas une critique du texte de César, alors que dire de ceux qui gobent le peu crédible slogan "Eduens, frères de sang des Romains" quand ce n’est pas "vendus aux Romains".
Le texte de César est d’une extrême précision et c’est un scandale de ne pas l’avoir compris.
Je cite : Ayant appris par ses éclaireurs/espions que son adversaire (les Helvètes) s’était installé en bas d’un mont , à onze kilomètres huit cents de son camp, César le fit reconnaître pour savoir si on pouvait en occuper le sommet en passant par derrière. On lui rendit compte que la montée était facile (DBG I, 21).
Première question et réponse facile : César se trouve sur l’oppidum de Gourdon, au pied de Bibracte/Mont-Saint-Vincent. La hauteur dont il s’agit est le mont caractéristique de Sanvignes qui, au bord de la route antique, apparait de loin comme isolée, dominant les parties basses du terrain qui l’entourent. La distance mesurée sur la carte entre cette hauteur remarquable et Gourdon est de 11km800, celle que César indique. Cela signifie que lui, où plutôt ses officiers, ont estimé cette distance à vue. Je suis admiratif.

Durant la nuit, César envoie donc Labiénus occuper le mont et lui-même se met en route en direction du camp des Helvètes pour l’attaquer au petit jour et y semer la confusion. (Bis repetita, il avait déjà mené ce type d’opération avec succès pour attaquer les derniers pagus helvètes qui n’avaient pas encore franchi la Saône, au moment où ceux-ci démontaient leur camp).
Mais là, dans la nuit qui s’achève - ne comptez pas sur César pour le reconnaître - c’est une pagaille noire. Je cite. Au point du jour, alors que le sommet (de la colline de Sanvignes) était occupé par Labiénus et que César n’était pas éloigné du camp helvète de plus d’un kilomètre cinq cents, et alors que ni lui ni Labiénus n’avaient été repérés, Considius accourut à bride abattue et lui rendit compte que l’ennemi tenait le mont (de Sanvignes), qu’il l’avait reconnu aux armes gauloises et aux enseignes.
L’observation de Considius était erronée. Craignant que sa manoeuvre ait été éventée, César a manifestement hésité, voire paniqué. On devine que la colonne s’est arrêtée. On devine les questions qu’on se pose, les ordres et les contre-ordres, bref la confusion. Bref, César n’attaqua pas les Helvètes. Il se hâta de porter ses troupes sur la colline “très proche” (proximus collis) et de les disposer en formation de bataille...Enfin, le jour était bien avancé lorsqu’il sut par ses espions/éclaireurs que les Helvètes avaient levé le camp. Le mont était bien occupé par Labiénus ; Considius, pris de peur, avait dit à César avoir vu ce qu’il n’avait nullement vu.
Deuxième question : quel est le mouvement de terrain, colline ou versant, sur le trajet de César de Gourdon à Sanvignes, susceptible de recevoir 40 000 légionnaires disposés en ligne de bataille, et cela à quelque 1km500 de la colline de Sanvignes. Réponse facile : il s’agit du mont Maillot considéré dans sa ligne de crête qui de la colline de Sanvignes court en arc de cercle au-delà des Teuffaux vers le sud, avec au milieu, le point haut de Ceurnay (cote 332).
Car voila bien le flou de la langue française comparé à la rigueur du langage de César.
“mons”, c’est la colline de Sanvignes (cote 408,8),
“collis”, c’est le mont Maillot.
Pour César, la colline de Sanvignes est un "mons" comme peut l’être une montagne de Jupiter (mons jovis), c’est-à-dire une hauteur dominante que rien ne domine. En revanche, une "collis" n’est ni plus ni moins qu’une ligne de crête descendante qui en est issue, autrement dit un versant. Dans ce cas précis, on peut admettre le mot "colline" même s’il n’exprime pas vraiment ce que César veut dire.
Je n’arrive pas à comprendre comment les partisans de Bibracte au mont Beuvray arrivent à reconstituer le déroulement des événements.
Car enfin, que dit César avant son coup de main manqué : qu’il avait convoqué les “Premiers” des Eduens qui se trouvaient en grand nombre dans son camp et, parmi eux, Divitiac et le vergobret Liscus... (I,16). Comment les partisans de Bibracte au mont Beuvray expliquent-ils la présence de tout ce monde-là auprès de César alors que les Helvètes étaient censés, d’après eux, attaquer leur capitale du mont Beuvray dans la foulée de leur progression. Tous ces "premiers" auraient-ils laissé les malheureux habitants se débrouiller tout seuls pour défendre l’oppidum ? il s’agit là d’une idée absolument insensée. En revanche, en mettant Bibracte à Mont-Saint-Vincent, on comprend que César ait convoqué les magistrats de Mont-Saint-Vincent à Gourdon car les deux localités sont très proches ;
A suivre.
Extraits de mes ouvrages publiés en 1992. Eh oui, cela ne date pas d’aujourd’hui !
Les croquis sont de l’auteur.