Matzneff & De Villiers : Face à Daesh, ils appellent au retour de la transcendance
Depuis les attentats du 13 novembre, j'entends des commentateurs politiques se demander si nos sociétés occidentales ne manqueraient pas d'utopies à offrir, voire d'un absolu, qui pourraient détourner certains jeunes de rechercher cette utopie ou cet absolu ailleurs, dans la seule voie exaltante qu'offre le marché actuel des idéaux, à savoir le jihadisme.
Évidemment, nul ne dit ce que pourrait être ce nouvel absolu. Sauf ceux bien sûr qui voudraient réanimer l'ancien, celui du christianisme moribond (du moins l'est-il en France). C'est le cas de Philippe de Villiers, lorsqu'il déclare, suite aux attentats :
« Les laïcards font le vide et les islamistes le remplissent. Le nihilisme occidental, prenant congé d'une chrétienté flageolante, s'exprime comme la neutralisation religieuse de l'espace public. Résultat : c'est le vide. Il n'y a pas de réponse à la quête de l'absolu, et les jeunes Français, quelle que soit leur origine, ethnique ou religieuse, sont tentés de partir ailleurs pour chercher des drames, des gloires, des fiertés que la France ne leur offre plus. »
En dehors d'une réanimation du passé chrétien de la France, nul salut. C'est encore l'avis de l'écrivain Gabriel Matzneff qui, dans les colonnes du Point le 30 novembre, fustige la « médiocrité » de la « génération Bataclan ». Pourquoi médiocre ? Parce qu'elle serait peu portée sur les choses de l'Esprit, peu amatrice d'arrières-mondes :
« À part le pape de Rome et le patriarche de Moscou, qui, en Europe, fait appel aux forces de l'Esprit, invite les gens à la transcendance ? Personne. En tout cas, personne en France où les responsables politiques pleurnichent contre la montée de l'islamisme, mais leur unique réponse, pour endiguer cette montée, est d'interdire les crèches de Noël dans les mairies. Bientôt, j'en fais le pari, la passionnante fête de la Nativité, du mystère de l'incarnation, du Verbe qui se fait Chair, du Christ Dieu et homme, sera, comme en Union soviétique à l'époque de la persécution antichrétienne, remplacée par une fête du Bonhomme Hiver, Diadia Moroz, mouture léniniste du père Noël. »
On peut comprendre cette critique d'une laïcité excessive, qui veut effacer toute trace des traditions chrétiennes de la France. Ce qu'on admet plus difficilement, c'est la véritable détestation envers cette « génération Bataclan » dont fait montre celui qui, rappelons-le, se qualifiait autrefois lui-même de « pédéraste », soit d'« amant des enfants » :
« L'État ne parle jamais de leur âme aux Français de la « génération Bataclan », et ceux-ci persistent à n'avoir d'autre souci que de gagner de l'argent, en foutre le moins possible, partir en vacances et s'amuser. Les trois petits cochons tiennent à leur vie pépère, le tragique leur fait horreur, ils ne veulent pas entendre parler de la mort, ni de l'éternité, ni du salut de leurs âmes, ni de l'ascèse, ni du jeûne, ni de Dieu ; ce qu'ils désirent, c'est continuer à boire des bocks de bière et surtout, surtout, que les vilains terroristes du méchant calife Abou Bakr al-Baghdadi les laissent tranquilles, na ! »
Et Matzneff de conclure, après ce déluge d'amertume, dans une tonalité très proche de celle de Philippe de Villiers :
« Pendant ce temps-là, dans nos banlieues où l'on s'ennuie, où au lieu d'inviter les jeunes Français d'origine maghrébine à – comme le firent naguère les jeunes Français d'origine arménienne, russe, espagnole, italienne, polonaise – lire Les Trois Mousquetaires, visiter le Louvre, voir Les Enfants du paradis, l'État n'enseigne que le football et d'abstraites « vertus républicaines » qui ne font bander personne, c'est le méchant calife qui leur parle de leur âme ; leur enseigne la transcendance ; leur explique que ce qui fait la grandeur de l'homme, comme l'enseignèrent jadis le Bouddha, Épicure, le Christ, ce n'est pas le Sum, mais le Sursum ; non pas le soi, mais le dépassement de soi ; non pas le confort, mais le sacrifice. »
Il serait sans doute assez comique de voir M. Matzneff tenter d'aller faire lire Les Trois Mousquetaires ou d'aller faire voir Les Enfants du paradis aux « jeunes des banlieues » qui s'ennuient au bas de leurs tours... Souhaitons-lui bien du courage.
***
Plus sérieusement, on a comme l'impression que nos « grands hommes », le politique et l'écrivain, idéalisent ou fantasment quelque peu les Français d'autrefois, qui auraient tous fait preuve d'une bigotterie sans faille, auraient eu comme modèles au quotidien le Christ, Bouddha ou Épicure, auraient songé chaque jour au salut de leur âme, à la transcendance, au Verbe fait Chair, avec une passion pour le Louvre et les classiques de la littérature française et du septième art... Je n'ai connu à peu près aucun Français, même parmi les anciens, qui ressemblait à cela, et pourtant c'était des gens biens, qui n'avaient de leçon à recevoir de personne. Leur vie simple et tranquille ne réclamait aucun Père Fouettard céleste pour être redressée. Leur bonté naturelle ne se nourrissait d'aucune considération sur l'éternité.
Bien des hommes n'ont nul besoin de combler un vide métaphysique par quelque absolu. L'absolu dont Villiers et Matzneff nous entretiennent, c'est de l'illusion, ce sont des enfantillages, c'est une angoisse de la mort ingérable, qui pousse à toutes les faiblesses de l'esprit, à créer des enfers et des paradis bien regrettables. Est-ce cela que nous voulons pour notre génération et les générations futures (en France et en Europe) ? Doit-on répondre à l'arriération des jihadistes (qui n'ont que les mots « Enfer » et « Paradis » à la bouche) par d'autres arriérations ? Bien sûr, notre tradition est chrétienne, mais veut-on raviver une foi largement dépassée ? Et d'ailleurs, on ne rallume pas une foi artificiellement, en claquant des doigts. La Renaissance et les Lumières sont passées par là, et la science moderne. Alors, M. Matzneff, vos histoires de Verbe fait Chair, d'Incarnation, et autres billevesées, vous pouvez vous les garder.
Il y a déjà quelques années, Michel Onfray avait une rhétorique comparable, disant que l'Occident matérialiste allait être balayé par l'islam et sa soif de transcendance, d'absolu, comme si seules des illusions pouvaient donner de la force à une civilisation. Il arguait que nul en Occident n'était prêt à mourir pour ses valeurs, pour son canapé, son téléphone portable, le pouvoir d'achat... Propos caricatural. Évidemment, personne n'est prêt à mourir pour un canapé ou un téléphone, et c'est heureux. Mais faut-il à ce point nous mépriser pour penser que nous nous réduisons à cela ! Nos valeurs, n'est-ce que cela ? N'avons-nous pas le goût de la vie ? de la liberté ? Ne sommes-nous pas prêts à nous battre pour sauvegarder l'égalité des hommes et des femmes ? Notre liberté de conscience et d'expression ? Ne sommes-nous pas prêts à batailler pour maintenir leurs droits à la raison, à la science, à l'esprit critique, contre tous les obscurantismes ? Et c'est sans compter nos combats présents et à venir pour la préservation de la nature et des espèces animales menacées, pour l'amélioration de notre alimentation et l'appronfondissement de la démocratie ! et j'en oublie ! Qui ose dire que nous sommes vides ?
Nous sommes certes pacifiques et ne nous battrons que si nous sommes attaqués. Nous n'avons aucun dieu qui nous pousse à exterminer qui que ce soit. Et, en attendant, oui, nous revendiquons le droit de profiter de la vie, dans la mesure de nos moyens, sans songer à quelque sacrifice inutile, à quelque ascèse superflue, et au salut d'une âme qui ne survivra pas au corps. On le croyait révolu ce temps où l'on songeait que l'on ne pouvait pas être athée et vertueux, matérialiste (au sens philosophique) et moral. Vieille époque qui ne concevait d'homme droit que s'il se couchait devant quelque mauvaise superstition. Où l'on ricanait sur les « pourceaux » d'Épicure, le groin dans la terre... dans une mésinterprétaion complète de cette tradition. Nous avons, Dieu merci, évolué depuis, et savons qu'on peut être un grand homme sans croire à quelque Ciel, et être un parfait salaud en ne pensant qu'à y aller (les barbares de Daesh en montrent le parfait exemple). Alors bien sûr, nous pouvons avoir des modèles qui nous inspirent, qui nous guident : Épicure en est un, pourquoi pas, et tous ceux qui, à sa suite, ont su marier spiritualité et lucidité, ascèse certes, mais pour augmenter le plaisir dans le tout de la vie.
A tous les assoiffés de spiritualité, qu'ils se nourrissent des philosophes, des sages, des poètes et des musiciens ! Qu'ils lisent Omar Khayyam et ses Quatrains ! Nul besoin pour se rassasier d'imam, de curé ou de rabbin. Quant à l'Absolu, oublie-le, il est ton fantasme, et ton cauchemard bientôt si tu y crois. Il est ce qui calmerait ton angoisse devant la vie et la mort, mais tu dois, si tu es fort, accepter de ne jamais être calmé tout à fait. Tel est notre sort. Sois sensible à la délicatesse de toute chose, à sa fragilité, à sa beauté éphémère, et aime. Saisis-toi du mouvement du monde, mais cesse de tout vouloir régenter. Tu n'es pas le maître ici-bas, tu as seulement la chance d'être de passage dans cet écrin merveilleux. Sache dire merci.
***
Je vous laisse avec un documentaire diffusé hier soir sur Arte : « Face aux salafistes ». On entend (à la 47e min) le questionnement suivant :
« Pourquoi les jeunes se réfugient-ils dans ce monde de faux-semblant religieux ? Les raisons sont multiples : la quête désespérée d'un sens à sa vie, la volonté d'échapper à la criminalité et à la toxicomanie, la rébellion contre la génération de leurs parents, contre toute forme de hiérarchie, et finalemet la rupture avec un monde fait de distractions superficielles, la quête de spiritualité. »
Il semble assez clair que beaucoup de jeunes séduits par le salafisme cherchent une structure qui puisse les canaliser ; ce sont souvent des individus qui peinent à se maîtriser, qui sombrent dans des addictions ou dans la délinquance, et qui ne trouvent que le rigorisme religieux pour s'en sortir. Plus tard, ils ont le zèle du converti, et sont aussi durs dans leur foi qu'ils ont été excessifs dans leur débauche. Le juste milieu, la mesure, la modération, ils ne connaissent pas. Tel serait un grand enjeu de civilisation que de nous apprendre cela !
Dans ce documentaire, vous découvrirez le principal prédicateur salafiste en Allemagne, une véritable petite star, qui promet à sa gentille grand-mère (protestante) l'enfer si elle ne se convertit pas à l'islam. Mais Mémé résiste ! Gloire à elle ! Puisse-t-elle nous inspirer un peu de courage.
Si, au lieu de prétendre contenir un islam conquérant en misant sur un christianisme dont la foi s'est étiolée irrémédiablement dans nos contrées, nous faisions le pari, une fois de plus, de l'intelligence critique ? L'islam, on le sait, n'a pas connu sa Renaissance et ses Lumières, l'esprit critique face aux dogmes y est presque impensable. Malek Chebel est bien seul, et il le reconnaît, dans son rêve d'un islam des Lumières. Mais c'est la seule issue. Ce qu'a connu le christianisme, l'islam devra le traverser. Gare aux remous...
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